Ilyasse Rhamir, lebrief.ma, 18/4/2025
Tantôt territoire d’émigration, tantôt terre d’accueil, l’Afrique se retrouve au cœur des dynamiques migratoires du monde arabe. Entre dépendance aux remises, mobilité intra-africaine et inégalités persistantes, les enjeux migratoires posent un défi majeur aux politiques publiques sur le continent.
L’Afrique est l’un des moteurs silencieux des flux migratoires mondiaux. Dans la région arabe, elle joue un rôle central à plusieurs niveaux, des millions d’Africains quittent leur pays pour rejoindre les États du Golfe, du Maghreb ou du Mashreq, tandis que d’autres trouvent refuge ou opportunité au sein du continent. À l’heure où les politiques migratoires peinent à suivre l’intensité des mouvements humains, le continent reste pris entre impératif de départ et nécessité d’accueil.
Le rapport 2025 sur les migrations dans le monde arabe, publié par la CESAO, rappelle à quel point la mobilité africaine est déterminante dans l’équation migratoire régionale. Ainsi, en 2024, environ 18,1 millions de migrants et réfugiés issus de pays arabes ont migré vers d’autres pays arabes, parmi lesquels une part importante vient des pays africains comme le Soudan, la Somalie, la Mauritanie ou encore le Maroc.
L’Afrique, premier partenaire migratoire du monde arabe
La relation entre le monde arabe et l’Afrique subsaharienne se matérialise par un chiffre décisif, les migrants originaires d’Afrique centrale et méridionale représentent près de la moitié des migrants vers les pays arabes en 2024. Cela en fait, devant l’Asie du Sud et l’Europe, la première région d’origine des flux migratoires vers le monde arabe.
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Ces flux sont en grande partie liés au travail. En 2022, 34,3 millions de travailleurs migrants vivaient dans les pays arabes, selon les estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT). Si les statistiques n’indiquent pas précisément la proportion venue d’Afrique, les pays arabes les plus demandeurs de main-d’œuvre peu qualifiée, en particulier ceux du Golfe, s’appuient fortement sur une main-d’œuvre africaine, souvent vulnérable aux abus, au manque de protection sociale et aux restrictions de mobilité.
Les pays africains, champions des transferts d’argent
L’un des impacts les plus concrets et mesurables de la migration africaine reste les remises migratoires, ces transferts d’argent envoyés par les diasporas à leurs familles restées au pays. Sur ce plan, plusieurs pays africains affichent une dépendance structurelle, qui en dit long sur les déséquilibres internes de leurs économies.
Parmi les plus dépendants figurent :
• Le Comores, avec des remises représentant 21% de son PIB
• Le Yémen, également à 21%
• La Somalie, à 15%
• Le Soudan, qui reçoit plus de 50% de ses remises depuis d’autres pays arabes
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Le graphique du rapport montre aussi que l’Afrique du Nord (notamment le Maroc, l’Égypte et la Tunisie) capte une part significative de ces flux, provenant majoritairement de pays du Golfe et d’Europe.
Mais si les montants augmentent, plus de 50 milliards de dollars d’inflows depuis le début du siècle, les coûts de transfert restent élevés. En 2024, envoyer de l’argent dans la région arabe coûtait en moyenne 6,07% du montant transféré, soit le double de l’objectif fixé par les Objectifs de développement durable (3%). Ce surcoût pèse lourd sur les foyers dépendant de ces fonds, et réduit leur potentiel de développement.
Failles des politiques migratoires africaines
Le rapport pointe un manque de structuration des politiques migratoires dans plusieurs pays africains de la région arabe (comme la Mauritanie, la Libye, le Soudan ou la Somalie). Très peu disposent d’une stratégie nationale de migration ou d’une intégration cohérente des questions migratoires dans leurs plans de développement.
Les lacunes sont nombreuses :
• 14 pays arabes excluent les travailleuses domestiques (dont beaucoup sont africaines) de leur législation du travail.
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• Seuls 5 pays interdisent la discrimination basée sur la nationalité.
• Très peu de législations garantissent l’accès à l’éducation ou à la santé pour les migrants, qu’ils soient africains ou non.
Sur le plan de la protection sociale, les migrants africains sont souvent exclus des systèmes de pensions, d’assurance chômage ou de soins médicaux. Une inégalité qui renforce leur précarité et alimente les tensions sociales.
Une jeunesse en quête de mobilité
Autre donnée révélatrice, en 2022, plus de 650.000 étudiants issus de pays arabes ont quitté leur pays pour faire des études à l’étranger. Une proportion importante vient de pays africains comme l’Égypte, le Maroc ou le Soudan. Cette fuite des cerveaux traduit à la fois une volonté d’émancipation individuelle et un désaveu des systèmes éducatifs et économiques locaux.
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Le rapport alerte sur la nécessité pour les pays africains de réformer en profondeur leurs systèmes éducatifs et de les arrimer aux exigences du marché du travail de demain. À défaut, la pression migratoire, notamment celle des jeunes peu ou moyennement qualifiés, ne fera que s’intensifier.
L’Afrique face à ses responsabilités migratoires
L’Afrique ne peut plus se contenter d’être un fournisseur de main-d’œuvre ou un réceptacle de crises. Elle doit devenir un acteur stratégique de la gouvernance migratoire régionale. Cela passe par plusieurs leviers :
• La reconnaissance des droits fondamentaux des migrants, quelle que soit leur origine.
• La réduction des coûts de transfert d’argent, afin de maximiser leur impact.
• Le développement de politiques migratoires inclusives, capables d’anticiper les besoins en compétences et de faciliter la mobilité intra-africaine.
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L’avenir du continent dépendra aussi de sa capacité à convertir sa jeunesse mobile en moteur de croissance, plutôt qu’en symbole d’exode.
Le rapport 2025 met en lumière une réalité longtemps ignorée, l’Afrique est au cœur des dynamiques migratoires du monde arabe. Par ses migrants, ses travailleurs, ses réfugiés, ses étudiants et ses diasporas, elle irrigue les économies et les sociétés de la région.
Mais sans un effort coordonné, structuré et volontariste, ces flux continueront de nourrir plus de déséquilibres que d’opportunités. Il revient aux pays africains de reprendre la main sur leurs trajectoires migratoires, pour que celles-ci cessent d’être subies et deviennent des instruments de souveraineté, de développement et d’espoir.
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