Fouad Belkacem et la ségrégation en Belgique
par Luk Vervaet 13 février 2018
Manifestation en France contre la déchéance de la nationalité Photo AFP/TeleSUR |
Il a fait part de ses regrets. Il a reconnu qu'il avait été
trop loin. Il a dit qu'il se sentait belge et qu'il voulait rester en Belgique
car il n'a plus de liens avec le Maroc. L'histoire de sa famille en Belgique
remonte à 50 ans. C‘est ainsi que l’avocate de Fouad Belkacem a résumé les
propos de son client après l’audience à huis clos devant la Cour
constitutionnelle en janvier 2018. Notons en passant que c’était la première fois
de son histoire, lutte antiterroriste oblige, que la Cour constitutionnelle n’examinait
pas un dossier en audience publique.
Il y a quelques années, le père de Fouad Belkacem avait déjà
plaidé pour son fils dans les journaux : « Moi-même, je suis un immigré marocain dont la famille est venue en Belgique.
Notre famille est ici depuis très longtemps. Déchoir Fouad de sa nationalité
n’est pas acceptable. Il est belge. Il est né à Reet (tout près d’Anvers), et
ça se trouve en Belgique que je sache. Tous les garçons de son âge sont belges. »[1]
Tout cela n’a pas empêché la Cour constitutionnelle, début février
2018, de juger qu’il n’y a « pas
d’objections légales » à une déchéance de la nationalité belge de
Fouad Belkacem. Maintenant ce sera à la
Cour d’appel d‘Anvers de prendre la décision.
La condamnation à
douze ans de prison ferme, 30.000 euros d’amende, la déchéance de tous ses droits
pour dix ans, tout cela ne suffit pas…
En février 2015, le groupe Sharia4Belgium a été interdit en
tant qu’organisation terroriste. En tant que dirigeant du groupe, Belkacem fut condamné
à douze ans de prison, 30.000 euros d’amende et à la déchéance de ses droits
civils pour dix ans. Une peine extrêmement lourde dont même la presse la plus
modérée ne manquait pas de reconnaître le caractère symbolique et politique : «
La sentence est sévère, la justice a
visiblement voulu marquer le coup, mettre en garde les jeunes tentés par le
terrorisme. »
Quand il sortira de prison, Belkacem aura presque
cinquante ans.
Normalement, les choses en restent là. Du moins pour
quelqu’un né ici, qui a grandi dans ce pays, qui a la nationalité belge. Mais
pas pour les Belges binationaux, même s’ils n’ont jamais sollicité cette autre
nationalité, qui leur a été collée d’office.
Pour les condamnés binationaux, douze ans de prison pour « mettre en garde les jeunes tentés par
le terrorisme » ne suffisent pas. Pour le parquet et la justice
antiterroriste, il faut frapper plus durement encore, en leur imposant une
double peine. Pour avoir « sérieusement
manqué à ses obligations de citoyen belge », Fouad Belkacem doit être banni
de son pays, de sa famille, de ses amis pour ainsi rendre possible son
extradition[2]
vers un pays de non-droit[3]
où il risque d’être condamné à nouveau, où il n’a jamais vécu et où il
deviendra à coup sûr un paria et un marginal.
Quel est l’intérêt, économique ou militaire ou autre, où est
la nécessité d’enlever la nationalité belge aux binationaux ? Il n’y
en a aucun. Quel est l’intérêt de la déchéance de la nationalité de Malika El
Aroud, une femme qui aura bientôt soixante ans ? Ou de Bilal Soughir, qui aura
bientôt quarante-cinq ans, et qui, tout comme les autres, a purgé sa peine et
son incarcération extrêmement dure, jusqu’au dernier jour ? En quoi la déchéance de la nationalité ajoute-t-elle
quoi que ce soit à leurs peines de prison qui brisent déjà leur vie et qui rendent
leur existence par après plus précaire et difficile ?
En leur enlevant la
nationalité, l’État belge envoie un triple message, justifié par la lutte
antiterroriste.
D’abord, la stigmatisation et le marquage au fer rouge des
condamnés binationaux. Avec la perte de la nationalité, ceux et celles qui
sortent de prison reçoivent le message qu’il n’y aura pas de retour, pas de
pardon, pas d’amnistie possible. Les autorités belges les rendent à
« l’état nu ». Aussi contradictoire que cela puisse paraître dans un
monde globalisé, avoir une nationalité, un document d’identité nationale est
devenu la seule preuve que vous êtes un humain et que vous existez. L’enlever signifie que vous n’appartenez plus à
la communauté humaine, que toute forme de protection vous est enlevée, que vous
n’avez plus de droits.
Ensuite, il y a l’envoi d’un message raciste et terroriste à
toute la société. Qui déclare officiellement que les binationaux ne sont pas égaux
aux autres Belges. Que les binationaux sont Belges, mais qu’ils soient
avertis : ils ne sont Belges que de seconde zone, n’appartenant qu’en
partie à ce pays, pouvant être refoulés à tout moment.[4]
Ainsi, le gouvernement installe un sentiment de terreur parmi les binationaux
et fait en même temps disparaître tout sentiment de solidarité de la part des
« vrais » Belges. Pour ces derniers, les déchus ne font plus partie
de « nous ». On peut en faire ce qu’on veut, comme ce fut le cas du
Tunisien Trabelsi, extradé vers les États-Unis sans problème.
Enfin, en leur enlevant la nationalité, l’État met fin à
toute discussion sur les raisons politiques et sociales, sur les responsabilités
partagées par notre pays, cachées derrière toutes les histoires individuelles
des condamnés. D’où viennent la rage et la colère des jeunes ? Pourquoi
les guerres ininterrompues contre l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, la Palestine ?
Pourquoi l’islamophobie ? Pourquoi tant de discriminations et de racisme
journalier et policier dont ils sont victimes ? En les expulsant, le débat
est clos.
La loi raciste rendant
possible la déchéance de la nationalité a été votée au parlement belge sans
aucune voix contre
La Loi du 20 juillet 2015 « visant à renforcer la lutte contre le terrorisme » se résume ainsi.
« Le terrorisme pouvant être interprété comme une forme de « rejet du
pays, de ses institutions et de ses valeurs », la loi étend la possibilité pour
le juge de prononcer la déchéance de la nationalité belge à toutes les
infractions terroristes commises en tant qu’auteur, coauteur ou complice. La
déchéance peut se faire contre une personne qui est condamnée à une peine de
prison d’au moins cinq ans effectifs, et à condition qu’elle ne crée pas des
apatrides. Le champ d’application est élargi : l’infraction terroriste ne doit
pas nécessairement avoir été commis dans les dix ans à compter de la date
d’obtention de la nationalité belge ».
Le parlement belge a approuvé ce projet de loi avec « pas moins de 96 ‘oui’ et 48 ‘abstentions’
(et 6 absents). Pas un seul député n’a voté contre le projet, signifiant
qu’aucun parti de l’opposition (cdH, FDF, Ecolo-Groen, PP, PS, PTB-go!, sp.a,
VB) ne s’y est opposé ». [5]
Sous le régime de Vichy... |
Même pas six mois plus tôt, le 28 janvier 2015, le ministre président de la
Région bruxelloise, Rudi Vervoort (PS), avait comparé la déchéance de la
nationalité belge des binationaux condamnés pour des faits de terrorisme à une
mesure du régime nazi : « La déchéance de
nationalité, c'est une recette qui a été utilisée par les Allemands pour
considérer que les Juifs n'étaient pas des citoyens à part entière. Le régime
de Vichy a fait la même chose: les lois d'exception de Vichy, c'était aussi la
déchéance de nationalité des Juifs français à qui on retirait tous leurs biens.
La déchéance de nationalité, ça a une histoire », avait-il affirmé. Propos que
le ministre-président bruxellois a dû retirer le soir même suite au tollé
politique et médiatique.
Pourtant, il avait tout à fait raison de faire cette
comparaison. Parce qu’il s’agit effectivement d’une pratique de l’Allemagne
nazie, suivie par nombre de pays fascistes européens.
Une loi qui n’est pas
passée en France
En décembre 2016, en France, à la suite des attaques
terroristes du 13 novembre 2015, une réforme de la constitution avait été
présentée au Conseil d'État sur le même sujet. Cette réforme rendait possible
une déchéance de nationalité « pour les binationaux nés Français, et plus
seulement pour ceux qui ont acquis la nationalité alors qu’ils sont nés dans un
autre pays. Contrairement à la Belgique, où cette loi est passée comme une
lettre à la poste, l'ancien président français, François Hollande, a dû enterrer
le texte de réforme après des débats agités.
Même si on n’éprouve pas de sympathie pour les pensées ou
les provocations de Fouad Belkacem, il s’agit de nous mobiliser contre la
déchéance de sa nationalité belge.
Et si les élections prochaines peuvent
servir à quelque chose, c’est qu’elles soient le moment d’interpeller les
candidats des différents partis sur leur intention de faire retirer cette loi.
Faisons-le.
[1] http://www.gva.be/cnt/aid1189642/vader-belkacem-fouad-is-een-belg
[2] Le
secrétaire d'Etat à l'Asile et la Migration Theo Francken (N-VA) n'a jamais
caché qu'il souhaitait obtenir l'extradition de Fouad Belkacem une fois sa
déchéance de nationalité tranchée. http://www.lalibre.be/actu/belgique/fouad-belkacem-la-cour-constitutionnelle-se-reunira-a-huis-clos-5a5772c5cd7083db8b822bbf
[3] Il
suffit de voir le cas du Belgo-marocain Ali Aarrass ou les peines de prison
pour les leaders, participants et avocats du mouvement démocratique du Rif
[4] Voir
Human Rights Watch : « Une loi permettant de déchoir des binationaux de la
nationalité belge pourrait laisser penser qu’il existe une couche de citoyens
de « seconde zone » qui relèveraient de cette catégorie du fait de leur origine
ethnique et de leur religion. » https://www.hrw.org/fr/report/2016/11/03/sources-dinquietude/les-reponses-antiterroristes-de-la-belgique-aux-attaques-de
[5] La déchéance de nationalité : comment un thème
de l’extrême-droite s’invite dans les campagnes électorales, http://analysesdesdiscours.blogspot.be/2016/02/la-decheance-de-nationalite-comment-un.html
citée dans http://lukvervaet.blogspot.be/2016/09/le-ptb-recolte-ce-quil-seme-80-de-son.html
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