Sabrina El Faiz, lebriefma, 16/5/2025
Pour les Français, ce n’était qu’un Dahir de plus. Côté Marocains, c’était la limite à ne pas dépasser. Il y a des dates comme ça. Le 16 mai 1930 en est une. Le 16 juin 1930 aussi. Ce jour-là, au Maroc, le peuple s’est levé, d’une même voix, d’une même prière, pour dire non. Non à une scission entre Arabes et Berbères.
Le « dahir berbère », comme on l’appellera ensuite, (dont voici la traduction complète) paraît anodin à première vue. Un simple décret, signé par le Sultan, mais pensé par le résident général Lucien Saint. L’idée derrière tout ça ? Appliquer dans certaines régions berbères une justice dite « coutumière », en lieu et place de la Charia. On prétend respecter les spécificités locales. En réalité, on cherche à dessouder le pays. Casser l’unité de la société marocaine en opposant Arabes et Berbères.

Dahir berbère du 16 mai 1930 © DR
Car ce que l’administration coloniale avait bien compris, c’est que le Maroc tenait debout grâce à l’Islam comme ciment commun. C’est lui qui liait le montagnard de l’Atlas au marchand de Fès. C’est lui qui rattachait les tribus berbères à l’autorité du Sultan, Commandeur des croyants. Supprimer cette liaison, c’était diviser pour mieux régner.
Le Latif contre le décret
La réaction ne s’est pas fait attendre. Des cercles de lettrés, des Oulémas, des notables, en premier lieu. Puis des étudiants, des jeunes, des artisans, des commerçants. Ils se réunissent dans les mosquées, les médersas, les ruelles sombres de Fès, Rabat et Salé, avec un seul mot d’ordre : « le Maroc est musulman ».
Ce n’est pas un slogan politique, juste une réalité commune. Et pour résister, ils choisissent la prière. Pas la violence. Une arme des plus douces, à savoir la récitation du Latif. Cette invocation suppliante, que l’on murmure dans les moments d’angoisse, devient l’étendard d’un peuple. Des enfants la récitent sur le chemin de l’école. Des adultes la chantent dans les souks.
Il n’y avait alors pas de parti, pas de leader, pas de stratégie. Juste un sursaut. Et c’est sans doute cela qui a rendu ce moment si fort, si vrai. Parce qu’il ne s’agissait pas de politique, mais d’identité.
Du 16 mai au 16 juin 1930, le Maroc découvre la force de sa foi et de son peuple. Avant même les grands manifestes, avant les partis organisés, avant l’indépendance rêvée, il y eut ce jour-là une résistance de l’intérieur. Une résistance sans drapeau, sans fusil, avec pour seule arme un verset.
L’écho aujourd’hui
Aujourd’hui, le Dahir berbère est étudié dans les manuels et dans les mémoires des plus âgés. Mais dans les cœurs, il reste surtout une alerte. Un rappel que le Maroc, dans sa complexité, n’a jamais supporté qu’on le découpe à la hache. Ni entre Arabes et Berbères, ni entre villes et campagnes.
Ce qui a fait sa force ce jour-là, c’est justement ce refus de la séparation. Une manière de dire que la foi, la culture, la dignité, ne se compartimentent pas. Qu’elles s’emmêlent, se mélangent, se répondent, comme les voix dans une prière du vendredi.
Alors non, ce 16 juin 1930 n’est pas qu’une vieille histoire. C’est toujours d’actualité. Le Maroc ne se laissera pas diviser.
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