Reportage de Marie-Stéphane Guy (textes) et Julien Benard (photos)
Humanité Dimanche, 2/2/2018
Plus
d'un millier de Briançonnais se sont mobilisés pour parer aux urgences
des migrants qui arrivaient à leurs portes dans les pires conditions.
Une chaîne exceptionnelle portée par la fraternité. Rencontre avec ceux
qui donnent sens à la dignité.
L'image
a fait la une de tous les médias. À l'appel des professionnels de la
montagne, plus de 350 personnes ont formé, le 17 décembre 2017, une
cordée solidaire lézardant sur les pentes abruptes du versant français
du col de l'Échelle (Hautes-Alpes). Partis du village de Névache, à 20
kilomètres de Briançon, ils sont venus crier leur refus que les Alpes
deviennent « le cimetière des personnes en détresse ». Un tombeau pour
migrants, en provenance pour l'essentiel d'Afrique de l'Ouest, en
majorité mineurs, qui, depuis la fermeture drastique de la vallée de la
Roya et de Vintimille, empruntent cet itinéraire excessivement
dangereux. Le col de l'Échelle (1 762 m), fermé à la circulation en
hiver ; une trouée entre l'Italie et la France particulièrement exposée
pour ceux qui ne connaissent rien aux dangers de la montagne. Un danger
accru par la présence de forces de gendarmerie qui, selon Stéphanie
Besson, accompagnatrice en montagne et l'une des coordinatrices du
mouvement Tous migrants, « ne les empêche pas de passer, mais, au
contraire, leur fait emprunter d'autres chemins plus risqués pour
échapper à la police, frôlant ainsi la mort ».
Marie-Stéphane Guy, 2/2/2018
Humanite.fr
Photo : Julien Benard
Le témoignage de Bruno Jonnard, pisteur-Dameur.
Janvier
2017, 6 h 30, col de l'échelle. Bruno Jonnard, 40 ans, pisteurdameur,
prépare les pistes du domaine de névache, tout proche de l'italie. « J'ai d'abord vu des traces de pas dans la neige. » au bout, deux jeunes africains frigorifiés. Baskets en toile trempées, ni gants, ni bonnet, ni blouson. «
Je les ai mis au chaud dans ma dameuse avant de les descendre chez moi.
ils marchaient depuis seize heures. Je ne les aurais pas secourus, ils
seraient morts. » il avait bien entraperçu les images des migrants affluant sur les plages grecques. Mais « quand tu te retrouves face à deux ados gelés... » Bruno contacte Tous migrants, leur confie ses rescapés, et perd le sommeil. «
J'en trouvais presque tous les jours : plus d'une cinquantaine pendant
l'hiver 2017. la police n'était pas encore au col. on a tous été pris de
court. » la situation se tend au printemps. « c'était jour et nuit, parfois 40 dans la journée. nous étions débordés. et la police aux frontières (PaF), sur les dents. »
Gendarmes et militaires envahissent la paisible vallée. « les
barrages et les contrôles étaient permanents... » Bruno et les autres ne
baissent pas les bras. les actions se multiplient. « À notre
demande, la mairie a ouvert la bergerie communale du col, nous y avons
déposé du bois, des vivres, des couvertures, des vêtements... Puis,
installé une tente sur le terrain de camping. » Bruno, pompier
volontaire, père de deux enfants de 8 et 12 ans, est fatigué de ramasser
des gosses dont la température descend sous 35 °c, de jouer au chat et à
la souris avec la police. « Notre engagement dépasse les clivages
politiques. on gère du concret. des enfants de 14 ans qui fuient la
guerre ou la misère, qui ont quitté leur famille, frôlé la mort, qui
arrivent dans des états épouvantables. Quand la police les cueille, ils
sont jetés de l'autre côté comme des chiens. et il faudrait qu'on ne
fasse rien ? » Bruno est las mais déterminé : « J'ai honte de mon pays, mais je suis fier de la solidarité de ses citoyens. »
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