Qu’il parte ou non, les amarres
sont rompues entre Nicolas Hulot et le gouvernement. La semaine qui
s’est achevée laissera des traces indélébiles, et pas seulement pour
lui-même et pour l’environnement. C’est l’ensemble du quinquennat que
son échec éclabousse.
Quelle semaine pour l’exécutif ! Avec sa loi sur l’agriculture
et l’alimentation il aura cédé aux lobbys, renoncé à ses promesses de
monde nouveau, et plongé à pieds joints dans la gadoue des renoncements.
Ce texte devait concrétiser le « make our planet great again »
lancé avec superbe, à la face du monde entier, par le président Macron,
après la sortie des États-Unis de l'accord de Paris sur le climat.
Et voilà une loi qui collectionne les vœux pieux, les
demi-mesures, les compromis qu’il dénonçait dans l’ancien monde.
Décision ferme ajournée sur le glyphosate, inconsistance sur la
malbouffe, recul sur la souffrance animale, Nicolas Hulot qui devait
assurer la transition écologique, se retrouve relégué au rang d’avaleur
de boas.
Restera-t-il ? Partira-t-il ? La question est dépassée. Son
maintien au gouvernement symboliserait son impuissance, voire sa
compromission, son départ serait l’image d’un divorce entre le pouvoir
élu au printemps 2017 et l’écologie, et pire encore, le symbole d’une
rupture entre le président de la République et le candidat Macron.
On savait, depuis le printemps 2017, que le conseil des
ministres hébergeait l’eau et le feu. Le feu (en tout cas médiatique) ?
Une star de l’écologie, Nicolas Hulot. L’eau, ou plutôt l’éteignoir ? Un
représentant des intérêts d’une certaine agriculture productiviste,
Stéphane Travert, ministre de l’agriculture.
Dès les premiers mois, Hulot avait déjà été contraint d’en
rabattre à propos du nucléaire, puis s’était consolé avec l’abandon du
projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. L’inévitable affrontement des
deux forces contradictoires était attendu sur cette fameuse loi dite « agriculture et alimentation », et le résultat est tombé. Hulot aussi.
Par l’ampleur de sa mise en scène, l’affaire avait rappelé le
Grenelle de l’environnement. Ce serait une révolution, et davantage
encore : une mise à feu vers le troisième millénaire. 74 réunions
préparatoires sur l’ensemble du territoire, 14 ateliers au niveau
national, 17 000 contributions sur Internet, battez tambours, sonnez
trompettes, on allait voir ce qu’on allait voir.
À peine cette phase préparatoire achevée, Nicolas Hulot avait
fait la grimace, et pire encore. Il avait boudé les conclusions et
prononcé des mots à la fois définitifs et provisoires, à l’image de sa
présence : « Le compte n’y est pas, ce n’était pas suffisamment conclusif et, donc, ce n’était pas pour moi le temps de conclure. »
Les médias avaient bruissé sur l’hypothèse de sa démission, et comme il
en a désormais l’habitude, il avait démenti en dénonçant un « fantasme médiatique ».
On a mesuré l’étendue du « fantasme »
pendant l’examen de la loi. Les avancées les plus attendues sont
devenues des reculs. Le plus frappant concerne le glyphosate, en raison
de la gravité du sujet, mais aussi parce qu’Emmanuel Macron s’était
personnellement engagé sur le sujet, pendant sa campagne, puis face aux
instances européennes. Cet herbicide classé « cancérogène probable » par l’Organisation mondiale de la santé devait être interdit en France dans les trois ans.
Fort de cette assurance, le député LREM Matthieu Orphelin
(proche de Nicolas Hulot) avait proposé un amendement qui inscrivait
cette disposition dans la loi. Amendement repoussé par 63 voix contre
20, sur intervention de Richard Ferrand, le président du groupe des
« marcheurs », qui ne pouvait l’avoir décidé sans la demande du ministre
de l’agriculture, ni le feu vert de l’Élysée. Les députés France
insoumise, communistes et socialistes auraient pu faire la différence,
mais ils dormaient pendant cette séance de nuit, et n’étaient
représentés que par une poignée de députés !
Ainsi, dans cette affaire, Emmanuel Macron avait non seulement
demandé à son ministre d’État, ministre de la transition écologique, de
manger son chapeau, son pardessus, son stylo et ses gants, mais
également autorisé sa majorité à ne pas concrétiser sa promesse
solennelle. Un sommet de contradictions qui ferait passer les couacs de
l’époque François Hollande pour du travail d’amateur.
L’effet a été si ravageur que dès le lendemain Christophe
Castaner, porte-parole du gouvernement et délégué général de La
République en marche, a ramé dans l’espoir d’inverser le courant. Il a
proposé la création d’une commission de suivi de la promesse
présidentielle censurée la veille et, s’il le fallait, promis une loi
d’interdiction du glyphosate, qui serait votée dans trois ans ! « P… trois ans », comme auraient dit les Guignols ! Une loi qui imposerait ce que la veille les députés de son groupe n’avaient pas accepté.
Il est clair que la loi espérée par Hulot avait été revue et
corrigée par les lobbys agricoles et de l’agroalimentaire, à un
niveau dont n’aurait pas rêvé la FNSEA…
Quel bilan !
L’interdiction de diffuser des publicités pour
l’alimentation transformée, facteur d’obésité ? Repoussée.
L’interdiction du broyage des poussins vivants ? Retoquée.
L’interdiction de la castration à vif des porcs ? À la trappe.
L’interdiction de l’élevage hors sol des poules pondeuses ? Rejetée.
L’interdiction des épandages de pesticides près des habitations ?
Refusée. Une défaite en rase campagne pour les écologistes, et un
affront pour le premier de leurs représentants, Hulot, l’homme qui siège
au gouvernement de la France.
Dès lors, la question de son maintien ou de son départ est
devenue secondaire, car strictement privée. Une affaire personnelle de
Hulot à Hulot, qui dépendra de l’image qu’il souhaite laisser de lui.
Car la dimension politique est d’ores et déjà acquise. Emmanuel Macron,
son gouvernement, et sa majorité, en sont arrivés au même point de vue
que Nicolas Sarkozy, deux ans après le Grenelle de l’environnement,
s’écriant dans un salon de l’agriculture : « L’environnement, ça commence à bien faire. »
Le tête-à-queue aurait pu s’arrêter là. Ne concerner pour cette
semaine que le domaine polémique de l’environnement. Mais le
renoncement est nettement plus global. C’est toute une politique qui se
déploie au grand jour, au nom du pragmatisme et de l’efficacité.
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Les prestations sociales sont devenues trop nombreuses dans la
bouche de Gérald Darmanin. La prime d’activité, créée pour permettre aux
salariés pauvres de sortir de la trappe du chômage, est désormais
considérée comme une trappe à bas salaires, qu’il faudrait raboter car
son coût est trop élevé.
Pendant ce temps, dans le cadre de la loi Elan sur l’évolution du logement, la loi littoral envisage de s’en prendre aux « dents creuses »
qui gênent les constructions. Quant à l’obligation d’adapter 100 % des
habitations nouvelles aux personnes handicapées, elle est réduite à
10 %, à la colère des associations comme APF France Handicap.
Le malaise est si lourd que des voix pourtant personnellement
proches d’Emmanuel Macron s’en inquiètent, tel l’économiste Philippe
Aghion, professeur au collège de France, le 1er juin sur France Inter : « Si
on libéralise sans protection sociale, on crée du populisme (...) Si on
fait du Thatcher, on obtient le Brexit, si on fait du Reagan, on
obtient Trump. »
À l’Assemblée, l’aile gauche du groupe LREM s’alarme de plus en plus ouvertement. Un parlementaire cité par Le Journal du dimanche s’interroge sur la stratégie de Matignon : « Le
premier ministre pense que le danger viendra de la droite aux
prochaines élections. Mais on est en train de se couper de notre
électorat du centre gauche. »
L’enjeu de cette folle semaine est là et il dépasse de loin la
personne emblématique de Nicolas Hulot. À ne plus courir que sur une
jambe, alors qu’il avait promis de dépasser les clivages en incarnant en
même temps la gauche et la droite, Emmanuel Macron est en train de
répéter la faute majeure de François Hollande. Contrairement à ce qu’il
affirme, et qui faisait sa force, il fait le contraire de ce qu’il avait
promis. C’est ce bilan qui s’inscrit lourdement dans son action.
Nouveau monde ou pas, le voilà qui s’est placé dans la lignée de ses
prédécesseurs, tous assis sur un siège éjectable, et qui furent tous
éjectés.
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