Diasporas
24 juillet 2018
Des fonctionnaires venus du Maroc sont actuellement
en mission à Paris, pour identifier les mineurs marocains qui errent
dans les rues du 18e arrondissement depuis deux ans.
Depuis le 18 juin, une équipe spécialisée de quatre
fonctionnaires marocains patrouille les rues de la Goutte d’Or, dans le
nord de Paris. Leur mission : auditionner les 813 mineurs marocains
placés en garde à vue au cours de la dernière année. C’est ce que
prévoit l’ « accord administratif » signé le 11 juin entre la préfecture
de police et l’ambassadeur du Maroc en France, Chakib Benmoussa.
Cette mission « se donne pour objectif de réaliser, sous l’autorité
et avec l’appui des services français de police et de justice,
l’identification des jeunes » et « tentera de rétablir un lien avec les
autorités du Maroc, les liens familiaux et, quand cela s’avérera
possible, d’envisager le retour » des mineurs, selon la chancellerie
marocaine.
« Ces quatre fonctionnaires, dont un seul policier, ont mené cette
mission depuis la mi-juin en coopération avec les autorités françaises,
précise de son côté le ministère français de l’Intérieur. Ils aident à
l’identification de ces mineurs marocains en procédant à des
vérifications de leur véritable nationalité, de leur minorité annoncée
et de leur région ».
Qui sont les mineurs de la Goutte d’Or ?
Venus du Maghreb, et du Maroc pour la plupart, une soixantaine de
mineurs isolés de 13 à 17 ans errent depuis deux ans dans les rues du
18e arrondissement de Paris. Une étude menée par l’association Trajectoires
retrace le parcours de ces enfants provenant souvent des quartiers
périphériques de Tanger, de Fès et de Casablanca. Délaissés par leurs
familles, influencés par les nouvelles de jeunes partis clandestinement
pour l’Europe, ils ont décidé, eux aussi, de quitter leur pays.
De passage en France sur la route d’autres pays d’Europe, ces groupes
de mineurs non accompagnés se retrouvent à la Goutte d’Or. Ils dorment
dans la rue, dans un square, et vivent de menus larcins. Ils consomment
des drogues en se livrant à des activités délinquantes comme des vols,
des cambriolages, voire à de la prostitution. Ces mineurs semblent
représenter un véritable danger pour le quartier, mais ils ne sont que
des « victimes de leur condition de précarité », selon le Bureau
d’accueil et d’accompagnement des migrants (Baam), une association active
dans le 18e arrondissement de la capitale.*
Pourquoi ils n’ont pas été pris en charge ?
Les conditions de vie de ces enfants restent intolérables pour le
Baam. « Nous les voyons chaque jour. Ils sont à la rue depuis longtemps
et ils n’ont jamais été pris en charge. Pour la plupart ils ont été
rejetés du dispositif d’évaluation des mineurs isolés. Au lieu de les
traiter comme des enfants avec des problèmes sociaux et de santé, on les
criminalise et on essaie de les expulser. L’État n’est-il pas capable
de traiter un groupe de jeunes ? », s’offusque Heloise Mary, présidente
du Baam. « Ces enfants sont des potentiels demandeurs d’asile. Au lieu
d’examiner leur situation et de les soigner, nous faisons appel à une
police étrangère. C’est la preuve des défaillance de notre système
d’accueil des mineurs », tranche-t-elle.
Mais pour la mairie de Paris ces jeunes refusent toute prise en
charge. Pierre Henry, directeur général de France Terre d’Asile,
constate en effet que « le dispositif de protection de l’enfance
implique que les jeunes soient collaboratifs, et ce n’est pas le cas à
la Goutte d’Or. Il s’agit d’une situation très ancienne et très
problématique. Je ne suis pas contre le fait de collaborer avec le
Maroc, parce qu’il n’y a pas de solution pour ces jeunes à Paris. Je ne
m’oppose pas à leur retour au pays, mais il faut les prendre en charge
une fois arrivés au Maroc », explique le directeur général. Ce qui n’est
pas évident : l’accord administratif ne contient aucune précision sur
le sort des mineurs une fois rapatriés au Maroc.
Les droits de l’enfant sont-ils respectés ?
C’est justement l’expulsion de ces mineurs qui pose beaucoup de
problèmes. D’un point de vue juridique, « il n’existe qu’un seul
précèdent de réacheminement de mineurs, de la France à la Roumanie. Mais
la loi [sur l’accord de coopération franco-roumain, NDLR] a été
déclarée inconstitutionnelle en 2010 parce qu’il n’existait pas
de voie de recours possible pour ces personnes », explique l’avocat
Emmanuel Daoud, spécialiste en droit pénal et en droits de l’homme.
« La convention de La Haye prévoit expressément que la loi applicable
est celle du pays où se trouve l’enfant. Dans la loi française,
lorsqu’un enfant est en situation de danger, l’intérêt supérieur du
mineur s’impose. L’intervention d’un juge spécialisé est nécessaire.
Mais les institutions judiciaires n’ont pas été saisies de la situation
de ces mineurs marocains dans le cadre de cet arrangement administratif.
Tout se passe dans la clandestinité, il n’y a pas eu de communication
officielle », dénonce Emmanuel Daoud.
Les juges pour enfant décideront de toute mesure adéquate à la situation des mineurs concernés, assure le ministère de l’Intérieur
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