Par Lucile Daumas, 30/12/2018
Lors de l’adoption du
« Pacte pour une migration sûre, ordonnée et régulière », à Marrakech le 10 décembre dernier, plusieurs pays ont
refusé de signer, tandis que les droites extrêmes –européennes notamment-
criaient au laxisme et alertaient sur la déferlante migratoire que ne
manquerait pas de susciter un tel pacte. A croire qu’aucun d’entre eux n’avait
lu le texte. Pourtant dès le titre, la perspective est donnée : ordre, régulation, sécurité. On est
bien loin des recommandations du Rapport mondial sur le développement humain,
présenté par le PNUD en 2009, traitant de la question migratoire :
« Lever les barrières : mobilité et développement humain ».
S’ils avaient vraiment lu le texte, ils auraient pu appréhender la vision
frileuse, protectionniste, sécuritaire et utilitariste d’un pacte qui se
positionne résolument du côté des gouvernements et des intérêts qu’ils
défendent, plutôt que de celui des personnes et des peuples. Le préambule de la
Charte des Nations unies commence pourtant par cette formule : Nous,
peuples des Nations Unies… Les Etats l’auraient-ils oublié ?
C’est en tous cas sur cette base que se fonde la critique que nous faisons
de ce pacte,déjà promis avant même d’être ratifié à n’avoir qu’un impact
limité, car il est non contraignant sur le plan juridique, et il réaffirme le
droit souverain des États de déterminer leur politique migratoire nationale et
régir les migrations relevant de leur juridiction comme ils l’entendent. Autant
dire que le Pacte renonce à l’affirmation de valeurs et principes forts, qui
ont toujours été les fondements des textes internationaux portés par les
Nations Unies, et auxquels tous les Etats du monde entier sont astreints de se
conformer, dans le strict respect des droits humains.
Lors de l’adoption du « Pacte pour une migration sûre, ordonnée et régulière », à Marrakech le 10 décembre dernier, plusieurs pays ont refusé de signer, tandis que les droites extrêmes –européennes notamment- criaient au laxisme et alertaient sur la déferlante migratoire que ne manquerait pas de susciter un tel pacte. A croire qu’aucun d’entre eux n’avait lu le texte. Pourtant dès le titre, la perspective est donnée : ordre, régulation, sécurité. On est bien loin des recommandations du Rapport mondial sur le développement humain, présenté par le PNUD en 2009, traitant de la question migratoire : « Lever les barrières : mobilité et développement humain ». S’ils avaient vraiment lu le texte, ils auraient pu appréhender la vision frileuse, protectionniste, sécuritaire et utilitariste d’un pacte qui se positionne résolument du côté des gouvernements et des intérêts qu’ils défendent, plutôt que de celui des personnes et des peuples. Le préambule de la Charte des Nations unies commence pourtant par cette formule : Nous, peuples des Nations Unies… Les Etats l’auraient-ils oublié ?
§ . Le pacte ne fait aucune référence à la liberté de circulation des personnes et au droit pour toute personne de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat et de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. (l’article 13 de la Déclaration universelle des droits humains).Il est par ailleurs muet sur l’érection des murs, barrières, dispositifs de surveillance et de répression qui freinent ou anéantissent l’exercice de ce droit.
§ Il fait référence à la Convention des Nations
Unies contre la criminalité transnationale organisée et insiste sur la lutte,
certes légitime, contre les mafias organisées et la traite des personnes,
pullulant dans les zones de non droit que sont devenues les frontières et
certains pays de transit. Mais au-delà, il légitime aussi la criminalisation de
la migration elle-même et de l’aide apportée aux migrants.
§ La Convention internationale sur la protection
des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles
ne fait pas partie des textes de référence cités dans le préambule. L’ensemble des droits des travailleurs
migrants et les devoirs des Etats vis-à-vis d’eux ne sont donc pas repris dans
ce Pacte. Cela constitue une régression de taille par rapport aux avancées du
système onusien en faveur des travailleurs migrants et une porte ouverte à la
poursuite des politiques et des pratiques discriminatoires vis-à-vis de cette
catégorie de travailleurs.
§ Il met en avant la migration sélective, tout en
entérinant la distinction entre migration régulière et migration irrégulière,
qui résulte largement de la fermeture des frontières, de la négation de la
liberté de circulation et de la négation de la possibilité pour les
travailleurs et travailleuses de se positionner librement sur le marché mondial
du travail, alors que la plupart des barrières à la liberté de circulation des
capitaux et des marchandises ont été ou sont en train d’être levées. Ce
faisant, Il réduit la personne migrante à un agent ou à un sujet anonyme au
service du développement des pays d’accueil et d’origine, sans aucune
considération pour tout ce qui fait que l’homme est l’homme, dans toutes ses
dimensions culturelle, affective, relationnelle, etc. Parallèlement il insiste
sur le rôle négatif des migrations qui « affectent nos pays »
§
. Il
entérine la distinction entre migrants et réfugiés alors que l’extension des
conflits armés, l’insécurité politique, économique, écologique, climatique et
sociale qui prévaut dans le monde tend à rendre de plus en plus ténu le
distingo entre ces catégories, et que se fait jour un discours qui voudrait que
seuls les réfugiés (au titre de la Convention de Genève de 1957) seraient
légitimes à être accueillis, tant en Europe qu’aux Etats-Unis.
§ . Il insiste sur la mise en place d’un partage
des données et des informations sur les migrantes et les migrants, qui, nous ne
pouvons en douter, constituera un outil interétatique redoutable de fichage, de
contrôle, de répression et de refoulement des personnes migrantes.
§ C’est pourtant l’excès de régulation et la
fermeture des frontières qui rend les migrations peu sûres et aussi dangereuses
et létales pour les personnes migrantes. Un pacte qui vise à renforcer ces
régulations et protections des frontières contribuera à rendre les routes
migratoires toujours plus dangereuses, voire mortelles, pour les personnes
migrantes et à ce que s’installent dans les zones frontalières, devenues des
zones de non-droit, de plus en plus militarisées, tous les trafics, toutes les
mafias, que ce même pacte prétend vouloir combattre.
§ Il entérine l’existence de camps de rétention
et de dispositifs de détention des personnes migrantes, et donc la
criminalisation de la migration et l’instauration de zones de non-droits et de
détention administrative.
Ce pacte, non contraignant et reflet des
politiques responsables de la « crise
migratoire » actuelle n’est pas un texte de réaffirmation des droits
des personnes migrantes, des valeurs et des principes devant régir les
relations entre personnes et communautés. Il se présente davantage comme une
boîte à outil légitimant les pratiques actuelles en matière d’obstacles à la
liberté de circulation, permettant aux Etats de réguler/freiner conjointement
les flux migratoires, plutôt que comme un texte de référence en matière de
droits des migrants et des migrantes. Il se met au service des Etats, et
derrière eux des tenants de la finance et des multinationales, au détriment des
personnes et de leurs droits fondamentaux. Il entérine une vision utilitariste
de la migration et réduit la personne migrante à un agent ou à un sujet anonyme
au service du développement des pays d’accueil et d’origine, sans aucune
considération pour tout ce qui fait que l’homme est l’homme, dans toutes ses
dimensions culturelle, affective, relationnelle, etc. Parallèlement il insiste
sur le rôle négatif des migrations qui « affectent nos pays ».
Face à cette vision frileuse, protectionniste, porteuse
de xénophobie et de racisme, il convient de réaffirmer
-
Que la
libre circulation des personnes est un droit et qu’il est illusoire de penser
pouvoir réfréner les mouvements internationaux des personnes. Une approche
positive de la migration consiste donc à donner à celle-ci le cadre principiel,
juridique et administratif lui permettant de se dérouler dans de bonnes
conditions pour les personnes migrantes, et à œuvrer afin que la migration ne
soit plus une nécessité mais un choix.
-
Que les
politiques migratoires doivent renoncer à toute approche discriminatoire,
sécuritaire et répressive de la migration et au contraire se fonder sur le
principe d’égalité des droits des personnes vivant sur un même territoire et la
mise en place de procédures administratives souples qui puissent faciliter la
régularisation des personnes migrantes.
-
Que seules
la démilitarisation du monde, la lutte effective contre le réchauffement
climatique et l’annulation de l’ensemble des mécanismes qui maintiennent les
pays du Sud dans la dépendance et le mal développement (dette illégitime,
accords de libre-échange, guerres et conflits) permettront de bannir les
migrations forcées et d’aller dans le sens de migrations réellement
volontaires.
De plus en
plus de personnes, à tous les niveaux des routes migratoires, au Sud comme au
Nord, s’impliquent dans une solidarité active avec les personnes migrantes,
scandalisées du sort qui leur est réservé, des conditions indignes, des
dispositifs d’enfermement qui leur sont imposés, révoltées par le sang versé
sur les routes migratoires, dans le désert, dans les mers ou les océans. Elles
montrent au quotidien comment la solidarité, l’humanité, le dialogue entre les
personnes et les peuples peuvent être à la base d’une politique migratoire
accueillante et hospitalière.
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