Pages

lundi 22 avril 2019

Notre-Drame d’ici et d’ailleurs


Nouvel article sur Le blog de Salah Elayoubi



De la fiction à l’apocalypse
Du haut de l’abîme qui les sépare du parvis, les gargouilles chimériques de Notre-Dame de Paris,  semblent n’avoir plus qu’un seul  but, sauter dans le vide. Leur physiognomonie  autrefois menaçante, n’est plus qu’un masque d’épouvante, conséquence du brasier qui  faillit les emporter,  un soir maudit d’avril 2019.
Victor Hugo avait ourdi cette apocalypse-là,  dans le plus prémonitoire de ses récits. Des circonstances, ou des individus, pour le moment,  inconnus,  l’ont mise en scène.  C’est ainsi que des heures durant, la Cathédrale, en proie au feu,  est devenue « La Dame du monde entier ».  D’un bout à l’autre de la planète,  l’humanité a retenu son souffle,  chacun priant son dieu,  afin qu’il épargne à ce joyau,  la disparition dans les flammes de l’enfer.
La réalité rejoignait si bien  la fiction,  que les spectateurs impuissants se persuadaient qu’il ne s’agissait-là,  que d’un nouvel exploit hollywoodien tourné en décor naturel.  Un Quasimodo titanesque allait surgir et de ses bras noueux et de sa force herculéenne,  allait tendre une toile gigantesque sur le brasier pour l’étouffer.
Mais à chaque fois que le monde se prenait à espérer cette fiction, les pompiers le  ramenaient  à la dure réalité, arrosant sans discontinuer  les ardeurs de l’incendie qui consumait les cœurs en même temps que  la charpente du grenier  qui servit naguère de  refuge à Esmeralda, le temps d’un chef-d’œuvre de  la littérature puis le temps d’un autre chef-d’œuvre, en cinémascope.
Sous les assauts des lances à incendie et les regards de pierre du Stryge et autre cerbère, les  gargouilles terrorisées vomirent la nuit durant,  l’eau dont les abreuvaient les hommes du feu.
Le monde se souviendra  qu’en cette soirée de printemps, les français d’habitude si friands de discorde et de zizanie, flanqués de leurs hôtes d’un jour ou de toujours, se rassemblèrent,  côte-à-côte, le long de la Presqu’île parisienne,  pour communier dans la douleur, chantant, à l’unisson, un si poignant « Je vous salue Marie », qu’ils firent pleurer la terre entière.
Le centre de gravité de toutes les tragédies
Alors que les flammes dévoraient la toiture de Notre-Dame de Paris, emportant sa flèche mythique, un autre incendie, celui de la Mosquée Al Aqsa,  vite circonscrit,  déplaçait le centre de gravité des tragédies du moment,  de quelques degrés  vers l’Est. Vers cette région du monde où l’apocalypse  semble désormais avoir définitivement pris ses quartiers, dans l’indifférence générale. Tant et si bien que l’on ne compte plus les villes dévastées,  dans cette région martyrisée par les appétits pétroliers, gaziers, ou géostratégiques.
Israël qui, en même temps qu’elle aura assassiné ou estropié des dizaines de milliers de palestiniens, a réussi à exaucer le vœu cher à  Ariel Sharon de renvoyer Gaza au Moyen-âge. L’Etat hébreux a détruit plus de soixante-quatorze lieux de cultes musulmans, en quelques semaines en 2014.
 Parmi ceux-ci, le plus vieux et le  plus grand, la Mosquée Al-Omari, Notre-Dame d’El Jabalyia, dont l’Etat hébreux tuait, au passage, le muezzin, pour mieux terroriser les vivants. L’ancienne église byzantine, convertie en mosquée,  datait du cinquième siècle.
En une nuit à Paris, il y eut plus de « justes »  pour pleurer Notre-Dame,  qu’en quatre ans d’un conflit abominable au Yémen. Un pays  soumis aux coups de boutoirs impitoyable d’une coalition de salauds qui combine incompétence militaire et aveuglement criminel  et qui, dans le doute, préfère toujours exterminer tout un peuple,  plutôt que de laisser lui échapper ceux qu’elle poursuit de ses assiduités. Les dizaines de milliers d’innocents affamés, martyrisés, froidement assassinés et le  patrimoine culturel pulvérisé, n’auront pas  ému grand monde.

 Pulvérisée également en octobre 2012,  la Grande Mosquée omeyyade d'Alep, Notre-Dame d’Alep, plus vieille d’un siècle que celle de Paris. Même les restes du père de Jean le BaptisteZacharie qui y reposent, n’auront pas suffi à réveiller, auprès de la chrétienté, un semblant d’empathie.
Mafias et indécence au pouvoir
Les braises n’étaient pas encore refroidies que les promesses de dons se mirent à pleuvoir,  par centaines de millions. Peu ou prou suscitèrent l’admiration des français, qu’un trop-plein de mensonges politiques et de promesses non-tenues, ont entraîné au bord d’une paranoïa, somme toute légitime et d’une révolution qui ne dit pas encore tout-à-fait son nom. D’autres dons scandalisèrent même, comme ceux de l’Arabie saoudite, des Emirats et du Maroc. Trois des coalisés qui ont mis à feu et à sang le Yémen.
Les deux premiers peuvent s’enorgueillir d’avoir largement contribué à exporter l’Islam des tyrans et financer le terrorisme islamiste qui a infecté la planète entière,  avant de revenir tel un boomerang, détruire l’Irak et la Syrie. Les deux pétromonarchies aux mains de clans mafieux,  ne se bousculeront  jamais,  pour reconnaître leurs crimes, ni pour financer la reconstruction des pays qu’ils ont ravagés.
Le troisième comparse, le  roi du Maroc connu pour sa légendaire avarice,  lorsqu’il s’agit de ses comptes personnels, puisera les fonds,  dans le Trésor public, au moment même où  la justice aux ordres du Palais vient de confirmer les lourdes peines de prison infligées aux militants rifains. Ces derniers avaient manifesté des mois durant, pour la construction d’hôpitaux, d’universités et d’infrastructures,  dans leur région frappée d’ostracisme par le gouvernement central d’un pays qui se trouve à la traîne de tous les indices de développement.
Rescapé du désastre,  le Stryge de Notre-Dame, toujours aussi impassible,  semble avoir déployé des trésors de thaumaturgie afin que soit sauvé du péril,  le perchoir depuis lequel il continuera encore longtemps, à veiller sur la ville lumière.
En bas, sur le Parvis et dans la cathédrale déshabillée de sa couverture, les travaux de déblaiement ont commencé. Le temps d’un incendie, les français ont oublié leurs différends et remisé au placard, leurs gilets jaunes et leur révolution qui tait son nom. Tandis qu’ailleurs, à quelques minutes d’avion du drame parisien,  la tragédie se poursuit pour ces peuples oubliés des dieux et des hommes, alors que s’abattent sur eux les flammes de « dix milles Notre-Dame ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire