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Mercredi 15 mai 2019 - 11:07 | Dernière mise à jour: il y a 2 jours 3 heures
La mise sur pied
d’une fiscalité équitable demeure un vœu pieux dans le royaume chérifien
où la fraude et l’évasion fiscales touchent même le plus haut sommet de
l’État
Pour Aziz
Chahir, vingt ans après son intronisation, à aucun moment le roi
Mohammed VI n’a pu se saisir de l’outil fiscal pour redresser un pays
traversé par les inégalités entre les riches et les pauvres (AFP)
« Le Maroc est le pays le plus inégalitaire d’Afrique du Nord » : tel est le constat implacable fait par l’ONG Oxfam dans un rapport intitulé « Un Maroc égalitaire, une taxation juste », publié lundi 29 avril.
L’expertise plaide pour une fiscalité plus équitable et établit par
là même un constat précis et consistant des inégalités de richesses qui
déchirent le pays.
Pure coïncidence ou action préméditée ? Une chose est sûre : le
rapport d’Oxfam est tombé à point nommé alors que gouvernement
s’apprêtait à lancer, les 3 et 4 mai à Rabat, des troisièmes assises de
la fiscalité sous le thème de l’« équité fiscale ». L’objectif déclaré
de cette entreprise à terme étant de fournir aux politiques une base de
travail pour l’élaboration d’un projet de loi-cadre (2020-2024) visant
la réforme du système fiscal.
Pour l’anecdote, la préparation de ces assises de la fiscalité a été
confiée à Mohamed Berrada, un homme du sérail, économiste et ex-ministre
des Finances. Durant les années 1980, ce dernier a été chargé par
Hassan II d’accompagner l’application du Plan d’ajustement structurel
(PAS), imposé par le Fond monétaire international (FMI) et la Banque
mondiale.
En 1988, le jeune ministre libéral, issu d’une grande famille fassie,
avait accusé à l’époque le patronat de défendre des rentes de
situation, en s’opposant à la libéralisation du commerce. Trois
décennies après, ce chantre du libéralisme économique est appelé, cette
fois-ci par le roi Mohammed VI pour empêcher le Maroc de basculer dans
le club des paradis fiscaux. Le challenge est de réfléchir à une
modernisation « par le haut » d’un dispositif fiscal archaïque fondé sur
les rentes et les privilèges.
On est loin ici de la philosophie de la justice sociale qui se
traduit par une redistribution juste et équitable des richesses. À
l’origine, l’équité fiscale a toujours été un principe fondateur des
régimes démocratiques. La légitimité de l’État dépendait ainsi de la
perception des impôts en vue d’assurer les services publics dans
l’intérêt général de la collectivité. Dans les régimes autoritaires, le
système fiscal est souvent considéré comme un outil régalien qui tend à
asseoir l’hégémonie du pouvoir en place, notamment à travers le
financement de son appareil répressif et son train de vie luxueux.
Aux origines du système fiscal : le makhzen
Dans l’imaginaire collectif des Marocains, le fisc renvoie
historiquement à l’appareil impitoyable du makhzen, qui collecte les
impôts pour renflouer les caisses de l’État et asseoir la domination du
sultan sur ses sujets.
Littéralement, le mot « makhzen » renferme la notion d’imposition,
dans la mesure où c’est un terme arabe qui désigne un entrepôt fortifié
utilisé jadis pour le stockage des aliments et des biens, et qui a donné
le mot « magasin » en français. Dans le langage courant et familier au
Maroc, le makhzen renvoie par ailleurs au pouvoir central et à ses
réseaux d’influence. Ceux-ci sont caractérisés par le clientélisme et le
népotisme, qui conduisent souvent à la corruption.
Depuis la moitié du XVIIe siècle, les alaouites sont
parvenus à ériger le système des impôts en mode de gouvernement de la
communauté. Ce faisant, les sultans contrôlaient la rareté des
ressources et assuraient le financement de leur trône.
Par ailleurs, la collecte des impôts fut souvent associée à des actes de violence ou d’humiliation (hogra) à l’encontre des tribus insurgées (siba). À l’époque, on ne comptait d’ailleurs plus les campagnes armées (el-harkate) diligentées par les caïds et les pachas contre les populations qui refusaient de payer les taxes imposées par le protectorat. Maroc : l’injustice fiscale à l’ère des privilégiés. En même temps, le makhzen utilisait les impôts afin d’assurer sa
survie financière, mais aussi et surtout pour dominer les notabilités et
les membres influents de la communauté, à l’instar des oulémas et des
saints.
En 1908, par exemple, le sultan Moulay Abdelaziz imposa un système exorbitant de taxation (moukouss)
qui froissa les notables et accéléra la montée des insurrections
populaires, ayant conduit, par la suite, à l’instauration du
protectorat.
La fiscalité érigée par le roi en mode de domination
Après l’indépendance, un système fiscal centralisé, sélectif et
arbitraire a permis à la monarchie d’assurer sa survie financière et
dominer les notabilités sociales et économiques du royaume.
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