samedi 18 mai 2019

Maroc : l’injustice fiscale à l’ère des privilégiés

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La mise sur pied d’une fiscalité équitable demeure un vœu pieux dans le royaume chérifien où la fraude et l’évasion fiscales touchent même le plus haut sommet de l’État
Pour Aziz Chahir, vingt ans après son intronisation, à aucun moment le roi Mohammed VI n’a pu se saisir de l’outil fiscal pour redresser un pays traversé par les inégalités entre les riches et les pauvres (AFP)
 
« Le Maroc est le pays le plus inégalitaire d’Afrique du Nord » : tel est le constat implacable fait par l’ONG Oxfam dans un rapport intitulé « Un Maroc égalitaire, une taxation juste », publié lundi 29 avril. 
L’expertise plaide pour une fiscalité plus équitable et établit par là même un constat précis et consistant des inégalités de richesses qui déchirent le pays.  
Pure coïncidence ou action préméditée ? Une chose est sûre : le rapport d’Oxfam est tombé à point nommé alors que gouvernement s’apprêtait à lancer, les 3 et 4 mai à Rabat, des troisièmes assises de la fiscalité sous le thème de l’« équité fiscale ». L’objectif déclaré de cette entreprise à terme étant de fournir aux politiques une base de travail pour l’élaboration d’un projet de loi-cadre (2020-2024) visant la réforme du système fiscal. 

Pour l’anecdote, la préparation de ces assises de la fiscalité a été confiée à Mohamed Berrada, un homme du sérail, économiste et ex-ministre des Finances. Durant les années 1980, ce dernier a été chargé par Hassan II d’accompagner l’application du Plan d’ajustement structurel (PAS), imposé par le Fond monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. 
En 1988, le jeune ministre libéral, issu d’une grande famille fassie, avait accusé à l’époque le patronat de défendre des rentes de situation, en s’opposant à la libéralisation du commerce. Trois décennies après, ce chantre du libéralisme économique est appelé, cette fois-ci par le roi Mohammed VI pour empêcher le Maroc de basculer dans le club des paradis fiscaux. Le challenge est de réfléchir à une modernisation « par le haut » d’un dispositif fiscal archaïque fondé sur les rentes et les privilèges.     
On est loin ici de la philosophie de la justice sociale qui se traduit par une redistribution juste et équitable des richesses. À l’origine, l’équité fiscale a toujours été un principe fondateur des régimes démocratiques. La légitimité de l’État dépendait ainsi de la perception des impôts en vue d’assurer les services publics dans l’intérêt général de la collectivité. Dans les régimes autoritaires, le système fiscal est souvent considéré comme un outil régalien qui tend à asseoir l’hégémonie du pouvoir en place, notamment à travers le financement de son appareil répressif et son train de vie luxueux.

Aux origines du système fiscal : le makhzen

Dans l’imaginaire collectif des Marocains, le fisc renvoie historiquement à l’appareil impitoyable du makhzen, qui collecte les impôts pour renflouer les caisses de l’État et asseoir la domination du sultan sur ses sujets. 
Littéralement, le mot « makhzen » renferme la notion d’imposition, dans la mesure où c’est un terme arabe qui désigne un entrepôt fortifié utilisé jadis pour le stockage des aliments et des biens, et qui a donné le mot « magasin » en français. Dans le langage courant et familier au Maroc, le makhzen renvoie par ailleurs au pouvoir central et à ses réseaux d’influence. Ceux-ci sont caractérisés par le clientélisme et le népotisme, qui conduisent souvent à la corruption. 

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Depuis la moitié du XVIIe siècle, les alaouites sont parvenus à ériger le système des impôts en mode de gouvernement de la communauté. Ce faisant, les sultans contrôlaient la rareté des ressources et assuraient le financement de leur trône. 
Par ailleurs, la collecte des impôts fut souvent associée à des actes de violence ou d’humiliation (hogra) à l’encontre des tribus insurgées (siba). À l’époque, on ne comptait d’ailleurs plus les campagnes armées (el-harkate) diligentées par les caïds et les pachas contre les populations qui refusaient de payer les taxes imposées par le protectorat. Maroc : l’injustice fiscale à l’ère des privilégiés. En même temps, le makhzen utilisait les impôts afin d’assurer sa survie financière, mais aussi et surtout pour dominer les notabilités et les membres influents de la communauté, à l’instar des oulémas et des saints. 
En 1908, par exemple, le sultan Moulay Abdelaziz imposa un système exorbitant de taxation (moukouss) qui froissa les notables et accéléra la montée des insurrections populaires, ayant conduit, par la suite, à l’instauration du protectorat. 

La fiscalité érigée par le roi en mode de domination 

Après l’indépendance, un système fiscal centralisé, sélectif et arbitraire a permis à la monarchie d’assurer sa survie financière et dominer les notabilités sociales et économiques du royaume. 

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