juillet 18, 2019
Algeriepatriotique :
Vous avez été expulsée du Maroc alors que vous vouliez rendre visite à
votre mari emprisonné, Naâma Asfari. Pourquoi les autorités marocaines
vous ont-elles refusé le droit de visite ?
Claude Mangin-Asfari : Je pense que c’est en raison
de mon engagement pour l’autodétermination du peuple sahraoui et contre
l’occupation du Sahara Occidental par le Maroc.
Avez-vous contacté les autorités françaises et marocaines à propos de votre droit de visite ?
Avant de partir, il y a trois mois, j’ai écrit au ministère français
des Affaires étrangères pour demander son soutien. Une semaine avant mon
départ, j’ai envoyé un e-mail à M. Eddouk, du Conseil national des
droits de l’Homme (CNDH) qui s’était occupé de ma visite en janvier. Le
ministère français m’a informée que j’allais être expulsée, une
information qu’il tenait du correspondant de l’ambassade du Maroc en
France. Quand au responsable du CNDH, ni il a répondu à mon e-mail ni il
m’a rappelée.
Que comptez-vous faire ?
Recommencer dans quelques semaines. Je ne vais pas lâcher. Nous
allons écrire au ministère des Affaires étrangères, au président Macron
et aussi au Comité contre la torture car cela fait partie des
représailles contre lesquelles le Comité contre la torture a demandé de
prendre garde quand il a condamné le Maroc au sujet des tortures qu’a
subies mon mari. Le Comité a mentionné trois recommandations dans son
rapport, dont celle de ne pas exercer de représailles contre les
familles des détenus. Ce que le Maroc fait depuis sa condamnation.
Ce n’est pas le moment de lancer des actions car tout le monde est en
vacances. Il faut trouver des idées pour faire le buzz. Je suis bien
connue en France. J’en suis à ma cinquième expulsion depuis 2016.
Quelle est la situation des prisonniers de Gdeim Izik, dont votre mari ?
Leur situation n’est pas bonne. Depuis la fin du deuxième procès en
appel, en juillet 2017, dans lequel les mêmes peines ont été prononcées
que lors du procès militaire, leur situation s’est sérieusement
dégradée. Cela fait deux ans, particulièrement, qu’ils sont constamment
humiliés et persécutés, ainsi que leurs familles. Les prisonniers de
Gdeim Izik ont été séparés et leurs familles ne peuvent plus leur rendre
visite comme elles le faisaient avant ; deux visites d’une demi-heure
chacune autorisée par semaine, alors qu’avant, nous pouvions y aller
autant de jours que nous voulions. Également, ils ne peuvent recevoir la
visite de personnes qui ne portent pas le même nom qu’eux. Et comme la
durée de la visite est réduite, ils ne reçoivent pratiquement personne
car les familles viennent de très loin et cela coûte cher. Il y a une
régression dans leur vie. Ils ne peuvent pas aller dans la grande cour
comme les autres prisonniers, ils leur font du chantage, ils n’ont pas
le droit d’aller à la bibliothèque ni à la salle des sports. Quand ils
ont besoin d’aller dehors pour des soins, on leur fait porter des tenues
de prisonniers condamnés alors qu’ils ne le sont pas encore puisque le
dossier est en cassation. Du coup, ils refusent de sortir et ne se font
pas soigner. Leurs avocats ont été expulsés à deux reprises.
Pourquoi toutes ces représailles ?
Parce que ce sont des prisonniers de Gdeim Izik. Et Gdeim Izik
représente le début de la fin du Makhzen. Ce dernier n’a pas supporté
que le monde entier sache que les Sahraouis existent bel et bien et non
pas, comme le faisait croire le Maroc, qu’il y aurait des Sahraouis
marocains comme les Rifains marocains. Pour les Marocains, Gdeim Izik
est une question insupportable et les prisonniers sont l’image même du
rassemblement de Gdeim Izik.
Pour le deuxième procès en appel, nous avons choisi de plaider le
droit international humanitaire. Nous avons parlé de puissance occupante
et de territoires occupés, si les prisonniers sont jugés en territoires
occupés, ils sont des prisonniers de guerre. Tout cela pour dire que le
procès 2016-2017 s’est transformé en une tribune qui parle de
colonisation et de torture.
Le Maroc avait signé la convention sur le droit humanitaire de Genève
en 1956 et le Sahara Occidental en 2015. Ce droit humanitaire doit être
appliqué au Maroc. Les puissances étrangères, signataires des
Conventions de Genève devraient obliger le Maroc à l’appliquer.
Seulement, nous sommes dans un paradoxe où aucune puissance ne reconnaît
la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental mais toutes le
soutiennent dans sa politique de colonisation.
Etant de nationalité française, comment expliquez-vous l’inertie des officiels de votre pays par rapport à cette affaire ?
La France a toujours soutenu le Maroc et ce depuis le traité de
protectorat de 1912. Nos officiels n’arrivent pas à obtenir du Maroc une
application du droit qui me permettrait d’entrer pour rendre visite à
mon mari. Je constate que le Maroc leur tient la dragée haute et que le
royaume a toutes les latitudes pour faire ce qu’il veut en France. Le
lobbying marocain en France est extrêmement puissant.
Il y a eu quatre événements importants en France cette année : une
exposition à Beaubourg en décembre, arrêtée au bout de trois jours sur
demande du directeur du musée marocain. Ensuite, la déprogrammation, en
mars, du concert de la chanteuse sahraouie Aziza Brahim à l’Institut du
monde arabe. Une conférence sur la non-liberté de la presse au Maroc,
organisée en février au Maltais rouge, ancien local du PSU, a été
brutalement arrêtée par des Marocains. Moi-même, j’ai été interdite de
parler dans une soirée à Strasbourg, en décembre, lors de la diffusion
d’un film en hommage à mon mari. J’ai été insultée et la soirée fut
interrompue.
Non seulement on m’interdit d’aller au Maroc, mais on m’interdit aussi de parler en France et dans toute l’Europe.
Propos recueillis par Mohamed El-Ghazi
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