De Xavier Dupret (https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/le-point-sur-la-spoliation-224521)
Lorsque
l’on parle de la colonisation à nos contemporains, ils se disent que
c’est du passé. L’Algérie n’est plus française (et, en vérité, elle ne
le fut jamais) depuis les accords d’Evian en 1962 et le Congo n’est plus
belge (et, en vérité, il ne le fut jamais) depuis le 30 juin 1960.
Pourtant,
il subsiste en Afrique un territoire considéré par les Nations Unies
comme non-autonome, c’est-à-dire dont les populations ne s’administrent
pas encore complètement elles-mêmes. Il s’agit du Sahara Occidental, la
dernière colonie d’Afrique.
Récapitulons[1]
En 1884,
l’Espagne établit, dans la foulée de la Conférence de Berlin, un
protectorat sur la terre des Sahraouis. Les frontières avec le
protectorat français au Maroc n’étaient, au début de la colonisation de
la région, pas clairement définies. Différents traités au cours du XXème siècle
vont permettre de délimiter les contours d’une frontière définitive
entre les deux colonies. Une stabilisation des relations entre le
protectorat français sur le Maroc et la colonie espagnole voit ainsi
progressivement le jour.
Dès 1974,
l’Espagne annonce souhaiter quitter le Sahara Occidental, territoire sur
lequel le Maroc a, depuis 1956 (date de son indépendance), des visées.
Le départ des Espagnols donne naissance à un conflit politique,
juridique et militaire qui dure encore aujourd’hui.
Le
Maroc revendique sa souveraineté sur le Sahara Occidental au prétexte
que des liens féodaux d’allégeance existaient entre certaines tribus
sahraouies et les sultans du Maroc. Ce raisonnement spécieux est
contesté par la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui a statué « que
les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent
l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le
territoire du Sahara Occidental d’une part, le Royaume du Maroc ou
l’ensemble mauritanien d’autre part. La Cour n’a donc pas constaté
l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la
résolution 1514(XV) quant à la décolonisation du Sahara Occidental et
en particulier l’application du principe d’autodétermination
grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations
du territoire »[2].
Lire le dossier https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/le-point-sur-la-spoliation-224521
De surcroît, la CIJ a relevé que les actes internes et les actes internationaux invoqués par le Maroc à l’appui de sa cause ne démontraient « pas que le Maroc ait exercé une activité étatique effective et exclusive au Sahara Occidental »[3].
Lire le dossier https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/le-point-sur-la-spoliation-224521
De surcroît, la CIJ a relevé que les actes internes et les actes internationaux invoqués par le Maroc à l’appui de sa cause ne démontraient « pas que le Maroc ait exercé une activité étatique effective et exclusive au Sahara Occidental »[3].
La réaction
des autorités marocaines ne se fit guère attendre. Le roi Hassan II va
alors lancer, le 6 novembre 1975, la Marche verte. Cette dernière
consiste en un déplacement en masse d’une partie de la population
marocaine (en fait, près de 350.000 volontaires) en direction du Sahara
Occidental.
A cette
époque, l’Espagne n’avait pas encore quitté le Sahara Occidental. La
légende entretenue par le pouvoir marocain veut que les pèlerins
mobilisés pour l’occasion étaient désarmés et n’avaient emporté avec eux
qu’un Coran et un drapeau national. La réalité est un peu moins
idyllique puisque 20.000 soldats de l’armée marocaine les
accompagnaient. De surcroît, il est clair que la Marche verte
correspondait à une opération de communication politique.
C’est
ainsi qu’Hassan II a conçu « avec son ami Alexandre de Marenches,
directeur général du Service de documentation extérieure et de
contre-espionnage (SDECE) français depuis 1970, une cause nationale
capable de mobiliser les Marocains, partis compris, autour de la
monarchie : la Marche verte pour la récupération du territoire du Sahara
Occidental, occupé par l’Espagne »[4].
La longue lutte des Sahraouis
La Marche
verte terminée, la pression était maximale sur les Espagnols, davantage
soucieux de régler la mise en œuvre de l’après-franquisme que d’octroyer
aux Sahraouis leur droit légitime à l’autodétermination. L’Espagne va
donc conclure, à la mi-novembre de 1975, les Accords de Madrid avec la
Mauritanie et le Maroc. Selon les termes de ces Accords, le Sahara
Occidental est partagé sans que les Sahraouis n’aient été à aucun moment
consultés. Le Maroc obtient le nord de l’ancienne colonie espagnole
tandis que la Mauritanie en reçoit la partie méridionale. C’est le Maroc
qui reçoit la plus grande portion du territoire, environ les 2/3.
Les Accords
de Madrid constituent une anomalie d’autant plus frappante que les
Sahraouis se sont dotés, dès 1973, d’un appareil politique qui s’est
donné pour mission de mener à bien le projet d’indépendance du Sahara
Occidental. En effet, le Front Polisario (Front Populaire de Libération
de la Saguia el Hamra et du Río de Oro) a été fondé le 10 mai 1973 « en
tant que mouvement de libération nationale sans orientation idéologique
particulière sauf l’objectif sacré et commun à tout un peuple, celui de
la libération du Sahara Occidental »[5].
Fin
février 1976, la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) est
officiellement proclamée par le Front Polisario. Une guerre va alors
éclater entre les représentants légitimes des Sahraouis et le Maroc,
d’une part, ainsi que la Mauritanie, d’autre part. Pour le Polisario,
les troupes marocaines et mauritaniennes représentent des forces
d’occupation, au même titre que l’armée espagnole auparavant.
Cette
guerre, dont peu de gens se souviennent en Belgique, va conduire une
partie de la population sahraouie à se réfugier dans la zone de Tindouf
en Algérie, pays qui soutient le Polisario depuis ses débuts. En août
1979, un traité de paix est signé entre le Front Polisario et la
Mauritanie. Cette dernière abandonne ses prétentions sur le Sahara
Occidental. Le Maroc s’empresse alors d’occuper la portion du territoire
sahraoui cédée par la Mauritanie. En 1979, le Polisario obtient une
victoire politique particulièrement importante. L’Assemblée générale de
l’ONU adopte, en effet, la résolution 34/37[6] qui reconnaît pleinement le Polisario comme le représentant du peuple du Sahara Occidental.
La guerre
entre le Polisario et le Maroc va connaître un tournant spectaculaire en
1980 alors que le pouvoir marocain érige un mur de défense de manière à
sanctuariser le territoire qu’il a arraché (c’est-à-dire près de 80% du
Sahara Occidental). Jusqu’aujourd’hui, le Polisario occupe la partie
orientale du Sahara Occidental. Le conflit s’enlise alors, faute de
troupes en mouvement.
Mais en
1982, les Sahraouis obtiennent une reconnaissance diplomatique qui
renforce la légitimité de leur lutte. L’Organisation de l’Unité
Africaine (OUA, renommée Union africaine en 2002), c’est-à-dire
l’organisation régionale qui regroupe l’ensemble des Etats africains, a
reconnu la République Arabe Sahraouie Démocratique en tant qu’Etat
membre à part entière. Cette décision a conduit le Maroc à quitter
l’OUA, organisation que le royaume chérifien ne réintègrera finalement
qu’en 2017.
L’enlisement
du conflit au Sahara Occidental va se prolonger tout au long des années
1980 et 1990. Cette situation n’a toutefois jamais entamé l’opiniâtreté
du Front Polisario qui va redéployer avec brio son action à un niveau
davantage diplomatique. Un cessez-le-feu est conclu en 1991. A cette
époque, l’ONU va mettre sur pied une Mission des Nations unies pour
l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (Minurso). Par la
suite, plusieurs initiatives visant à organiser un référendum se sont
soldées par un échec. Le Maroc refuse toute formule qui impliquerait de jure l’indépendance
pour les Sahraouis. Un premier plan a été proposé en l’an 2000. Il
offrait la seule autonomie locale aux Sahraouis. Ce plan correspondait
aux intérêts du Maroc. Il fut donc fort logiquement rejeté par le
Polisario et l’Algérie puisqu’il ne correspondait en rien à un objectif
d’autodétermination.
Un second
plan a été conçu en 2003. Il envisageait la création d’une Autorité du
Sahara Occidental pour une durée de cinq ans. Au terme de cette période,
un référendum serait organisé avec possibilité d’une autonomie
permanente pour le Sahara Occidental. Ce projet, bien qu’avalisé par le
Conseil de Sécurité de l’ONU, a été dénoncé Rabat alors qu’il respectait
parfaitement le droit international en accordant précisément une
possibilité d’autodétermination intégrale aux Sahraouis[7].
A l’époque, l’émissaire entre le Front Polisario et le Maroc était
l’ancien Secrétaire d’État américain, James Baker. Après ce nouveau
blocage marocain, James Baker a remis son tablier en juin 2004. Depuis,
c’est l’impasse[8].
En 2005, un
mouvement d’Intifada en faveur de l’indépendance a éclaté au Sahara
Occidental. Ces troubles démontrent à quel point la cause sahraouie est
ancrée dans la conscience de la population locale. Depuis, le Sahara
Occidental vit à l’heure de la répression. C’est ainsi qu’en novembre
2010, les gendarmes marocains ont démantelé un camp dressé en signe de
protestation par la population sahraouie à Laâyoune, la plus grande
ville du Sahara Occidental. Le bilan de cette opération fut
particulièrement lourd : 36 militants sahraouis ont été tués et 163
autres emprisonnés[9].
La dernière colonie d’Afrique
La nature
coloniale de la domination sur le Sahara Occidental se discutera
d’autant moins que l’implication de la France dans le conflit est une
constante depuis le retrait espagnol. L’implication des services
français dans l’organisation de Marche verte a déjà été mentionnée.
D’autres faits permettent davantage encore de souligner le rapport de la
question sahraouie avec le colonialisme que l’on croirait, à tort, mort
et enterré depuis l’ère des indépendances africaines de la deuxième
moitié du XXème siècle.
On
relèvera, tout d’abord, que la France fut un belligérant actif dans le
conflit au Sahara Occidental. C’est ainsi qu’entre décembre 1977 et
juillet 1978, Paris a dirigé l’opération Lamantin dans laquelle
l’aviation française a été mobilisée pour repousser les combattants
sahraouis qui tenaient tête, avec succès, aux forces mauritaniennes.
Malgré l’aide militaire française, le gouvernement mauritanien fut dans
l’impossibilité de mater les forces du Polisario.
En juillet
1979, un coup d’État à Nouakchott met définitivement fin aux visées
annexionnistes de la Mauritanie sur le Sahara Occidental. L’opération
Lamantin se solde donc par un cuisant échec[10].
On notera
également que la question sahraouie met aux prises deux puissances
régionales : d’une part, le Maroc qui est resté proche de Paris et
d’autre part, l’Algérie dont les relations avec la France sont plus
tendues en raison de la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962).
Les Sahraouis ont payé un lourd tribut à la volonté de Paris de mener
une politique de prestige dans la région. L’appui accordé par la France à
Rabat constitue, en effet, une constante dans l’épineux dossier
sahraoui.
Le
colonialisme, comme expérience historique, ne renvoie, par ailleurs,
pas qu’à des dimensions politico-diplomatiques. La spoliation économique
occupe, en effet, un rôle prépondérant dans le phénomène colonial. Il
en constitue même l’épine dorsale.
Cette
donnée se vérifie spécialement dans le cas français. « Le fait colonial a
de nombreux et ardents partisans dans les milieux politiques,
intellectuels, et industriels de la France du Second Empire. Cette
position colonialiste va davantage s’épanouir dans les premières années
de la IIIème République, se matérialisant notamment par l’existence du parti colonialiste »[11]. Force est de constater que ce parti colonialiste continue à faire sentir sa poigne de fer aux Sahraouis.
Le Sahara Occidental, un territoire stratégique pour l’économie mondiale
Le Sahara
Occidental n’est pas, loin s’en faut, un désert économique. En 1947, un
gisement de phosphate est découvert à Bou Craa. C’est en 1972 que les
mines de Bou Craa commencent à être exploitées. En 1975, l’Espagne,
pointée du doigt par la communauté internationale pour sa politique
coloniale, finit par quitter le Sahara Occidental. Cependant, « le
maintien d’une revendication sur les gisements de phosphate était un
facteur clé pour la puissance coloniale. Échouant à décoloniser le
Sahara Occidental correctement en permettant au peuple du territoire
d’exercer son droit à l’autodétermination, l’Espagne conclut les Accords
de Madrid. Elle transfère ainsi illégalement l’administration du
territoire au Maroc et à la Mauritanie, tout en conservant une part de
35% des mines de Bou Craa »[12].
Ce n’est qu’en 2002 que Madrid revendra cette participation. « Les
exportations [de phosphate] des dernières années ont généré pour le
Maroc un revenu annuel d’environ 200 millions de dollars US en moyenne,
provenant d’une mine qui ne lui appartient pas »[13].
Le
phosphate constitue une ressource stratégique pour les économies
contemporaines. Sans le phosphate, pour lequel il n’existe aucun produit
de substitution, il est impossible de fabriquer les engrais
indispensables à l’agriculture moderne. De ce point de vue, le Sahara
Occidental constitue une terre d’avenir. L’Institut d’études géologiques
des États-Unis, un organisme public chargé notamment d’une mission de
veille des ressources géologiques stratégiques, a évalué, en janvier
2020, les réserves commercialement exploitables de phosphate dans le
monde. Il apparaît que ces dernières sont de 69 milliards de tonnes et
que plus de 72% de ces dernières (50 milliards de tonnes) se trouvent
sur le territoire marocain, en ce compris le Sahara Occidental annexé
illégalement[14]. En 1975, les réserves propres de phosphate du Sahara Occidental étaient estimées à 10 milliards de tonnes[15].
Depuis, l’opacité la plus complète règne en ce qui concerne la
répartition exacte des réserves de phosphate entre le Maroc et la partie
du Sahara occupée en violation du droit international.
La
dépendance de l’Union européenne à l’égard des importations de phosphate
est importante. Les réserves de la Finlande sont les plus fournies du
continent mais elles ne représentent que 1,5% des réserves mondiales.
Cette bien inconfortable situation risque de se compliquer davantage à
l’avenir. Un risque de pénurie de phosphate se profile, en effet, à
l’horizon. En 2011, les scientifiques de « la Global Phosphorus Research
Initiative estimaient que d’ici 30 à 40 ans, il n’y aura pas assez de
phosphore provenant de l’exploitation minière pour répondre à la demande
agricole et prédisaient un pic mondial »[16].
Depuis, les réserves de phosphate ont été revues à la hausse tant et si
bien que le pic de la production devrait survenir aux alentours de
2070-2080, du moins si la consommation par l’agriculture intensive
continue à croître comme au cours des décennies passées. En tout état de
cause, la troisième liste des matières premières critiques dressée en
2017 par l’Union européenne reprenait explicitement la roche de
phosphate[17].
Or,
la pression politique du Polisario sur la filière du phosphate a
commencé à porter ses fruits. « Les groupes privés important des
phosphates depuis le Sahara Occidental violent les Principes directeurs
sur les Droits de l’Homme et les entreprises adoptés par l’ONU et cela
représente un risque pour leur image, [d’après Erik Hagen, de
l’association Western Sahara Resource Watch, qui relève que] sur les 15
entreprises qui importaient des phosphates sahraouis en 2012, il en
restait neuf en 2016. Et l’année prochaine, elles ne seront plus que
trois. Même le canadien Potash Corp pourrait bientôt se tourner vers
d’autres fournisseurs »[18].
Dans un
contexte de pression sur les matières premières, le Sahara Occidental
devient donc un territoire stratégique pour l’agriculture mondiale. Il
ne faut pas se faire d’illusions. La tentation restera grande, à
l’avenir, pour les Etats membres de l’Union européenne (spécialement, la
France) de considérer le Maroc comme l’interlocuteur de référence en ce
qui concerne les richesses du Sahara Occidental, quitte à spolier la
population sahraouie. Le secteur de la pêche constitue, à ce sujet, un
exemple méritant d’être analysé.
Union européenne et néocoloniale ?
L’exploitation
des ressources du Sahara Occidental ne se limite pas au phosphate. En
effet, la pêche représente 70% de l’activité économique du Sahara
Occidental et « lorsque l’UE a accordé 70 millions de dollars au Maroc
pour développer le secteur de la prêche, Rabat a dépensé la majeure
partie de ce subside au Sahara Occidental »[19]. La chose n’a rien d’étonnant au regard des impressionnantes ressources halieutiques des eaux sahraouies.
Le
moins que l’on puisse dire est que l’Union européenne ne s’est guère
embarrassée de scrupules dans sa volonté de rapprochement avec le
secteur marocain de la pêche. C’est ainsi que « l’Union européenne et le
Maroc ont successivement conclu un accord d’association en 1996, un
accord de partenariat dans le secteur de la pêche (…) en 2006 et un
accord de libéralisation des produits agricoles et de la pêche en 2012 »[20].
L’accord de 2012 avait pour caractéristique d’inclure le Sahara
Occidental dans son champ d’application et légitimait donc indirectement
l’occupation marocaine.
A ce
propos, la Cour de Justice de l’Union Européenne a statué que
« l’inclusion du territoire du Sahara Occidental dans le champ
d’application de l’accord de pêche enfreindrait plusieurs règles de
droit international général applicables dans les relations entre l’Union
et le Royaume du Maroc, notamment le principe d’autodétermination »[21].
En conséquence de quoi, la Cour a estimé que « compte tenu du fait que
le territoire du Sahara Occidental ne fait pas partie du territoire du
Royaume du Maroc, les eaux adjacentes au territoire du Sahara Occidental
ne relèvent pas de la zone de pêche marocaine visée par l’accord de
pêche »[22].
Cette
décision de la Cour revêt une importance fondamentale puisqu’elle
replace le Polisario au centre du jeu et partant, la question du droit à
l’autodétermination des populations sahraouies. En effet, cet arrêt
« conditionne toute activité au Sahara Occidental au consentement du
Front Polisario, y compris l’extraction de phosphates », selon Gilles
Devers[23],
un avocat français engagé aux côtés du Front Polisario pour la
reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.
Il
devrait en aller de même pour d’autres domaines d’activités présents
sur le territoire sahraoui. Par exemple, les fermes de Dakhla sur la
côte atlantique du Sahara Occidental. « Ce territoire s’est imposé,
depuis plusieurs années, en tant que producteur de primeurs sous serre
(tomates et melons). Ces cultures occupent une superficie de près de 700
hectares équipée en serres, destinée principalement à la production de
tomates cerises pour l’export avec un rendement de 80 à 120 tonnes à
l’hectare »[24].
A l’avenir,
le territoire de Dakhla occupera une place de plus en plus importante
dans les exportations marocaines. En effet, Rabat mise sur le
développement d’une « future zone agricole prévue sur 5.000 hectares »[25].
Les
nombreux cas de fraude dans l’étiquetage de tomates marocaines feront
sans nul doute couler beaucoup d’encre dans un proche avenir. Cette
réalité est bien connue de la presse économique. « Les irrégularités au
niveau de la chaîne d’approvisionnement des tomates (…) sur les marchés
agricoles nationaux et internationaux, ouvrent la voie à une question
(…). En effet, les tomates marocaines étiquetées espagnoles, alors que
cela est notoirement connu des professionnels, inquiètent également les
producteurs d’Almeria en Espagne. En effet, à l’ordre du jour se trouve
l’arrivée de tomates et d’autres légumes du Maroc rebaptisés et vendus
sous le nom d’Almeria. On parle déjà d’une route clandestine de la
tomate du Maroc »[26].
Et puisque
l’étiquetage des produits agricoles importés frauduleusement du Maroc
pose régulièrement problème de ce côté-ci de la Méditerranée, on peut et
on doit s’interroger sur la manière dont les productions en provenance
des fermes du Sahara Occidental seront renseignées aux consommateurs
européens. En ce domaine, le flou le plus complet semble, pour l’heure,
régner à Bruxelles.
« Le
17 mars 2020, la Commission européenne a publié pour la troisième fois
sa réponse à une question parlementaire sur l’étiquetage et les
contrôles de conformité des produits du Sahara Occidental. Cette fois,
la Commission européenne a réussi à passer à côté de l’essentiel.
Western Sahara Resource Watch a précédemment indiqué que la Commission,
le 5 février, avait répondu très précisément à une question
parlementaire sur le sujet, mais que le texte avait mystérieusement été
supprimé ultérieurement, puis republié, puis supprimé à nouveau. La
déclaration de la Commission publiée à l’origine précisait que les
produits du Sahara Occidental devaient être étiquetés comme tels.
Cependant, la nouvelle réponse publiée le 17 mars est totalement
différente et ne répond pas à la question posée à la Commission. Le
message très clair de la précédente version de la réponse a été
totalement supprimé »[27].
Sur ce
dossier, l’Europe, une fois encore, ne joue pas complètement la carte de
la transparence et du droit international. L’exploitation économique du
Sahara Occidental est de facto cachée aux yeux de l’opinion publique européenne.
Il en va de
même pour ce qui est du développement touristique de la région de
Dakhla. Il y a un peu plus d’un an, la presse marocaine se félicitait de
ce que des liaisons low cost seraient assurées toute l’année entre Paris et Dakhla[28].
La question du caractère éminemment non-éthique du tourisme à
destination du Sahara Occidental occupé devra également être posée dans
un avenir proche aux responsables politiques du Vieux Continent.
En
définitive, la marche des sahraouis vers l’autodétermination reste semée
d’embûches. Cependant, la décision de la Cour de Justice de l’Union
européenne de décembre 2018 relative à l’Accord de pêche avec le Maroc
accorde au Polisario une prééminence qui n’est pas sans déranger Rabat
et Paris. A terme, la présence dans cette partie du monde de ressources
stratégiques sera cruciale pour l’approvisionnement alimentaire et
énergétique des populations européennes. Cette nécessité d’ordre
économique devra, pour être réglée au mieux, envisager la question de
l’autodétermination du peuple sahraoui. En effet, « le Polisario
s’adresse à des instances supranationales pour dénoncer l’exploitation
des ressources économiques du Sahara. (…) Aujourd’hui, par lui-même ou
via des associations proches de la cause qu’il défend, il est devenu
audible sur des points de droit »[29].
La
chose risque de gêner de plus en plus aux entournures de nombreux
acteurs économiques dans un contexte de tensions structurelles sur les
matières premières. Or, ce dernier impliquera tôt ou tard une mise en
valeur du potentiel du territoire ouest-saharien qui « regorge d’autres
minerais tels que le fer, le titane, le manganèse et des pierres
précieuses. Parmi celles-ci, on peut citer l’uranium, le titanium et le
vanadium. Y sont probablement présents l’antimoine et le cuivre. La
façade atlantique de ce territoire se présente comme l’une des plus
poissonneuses du monde. Concernant le fond marin, il est de plus en plus
probable qu’il contient du pétrole »[30].
De
surcroît, le territoire de la RASD dispose également de réserves
hydrologiques importantes. La façade atlantique du pays reposerait,
d’ailleurs, sur un immense lac souterrain équivalant à près d’un quart
de la superficie de la France. On notera, toutefois, que
l’agro-industrie marocaine surexploiterait les réserves d’eau du pays,
spécialement dans la région de Dakhla[31].
Les
richesses du Sahara Occidental n’ont donc pas fini d’aiguiser les
appétits. Mais la stratégie d’action judiciaire du Front Polisario met
de plus en plus à mal l’unilatéralisme franco-marocain dans la région.
Il est vrai
que « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le
maître, s’il ne transforme sa force en droit » (Jean-Jacques Rousseau).
[1] Pour plus de précisions, lire Ismaïl Sayeh, Les Sahraouis, L’Harmattan, Paris, 1998.
[2] Cour International de Justice, Avis consultatif du 16 octobre 1975 sur le Sahara occidental. Url : https://www.icj-cij.org/files/case-related/61/6196.pdf. Date de consultation : 3 mai 2020.
[3] Ibid.
[4] Omar Brousky, Maroc. Hassan II, « pote » et despote, Orient Xxi, 22 juillet 2019. Url : https://orientxxi.info/magazine/maroc-hassan-ii-pote-et-despote,3201. Date de consultation : 1er mai 2020.
[5]
Communiqué de presse de Son Excellence Oubbi Bouchraya, représentant du
Front Polisario en Europe et dans l’Union européenne à l’occasion du
47ème anniversaire du Front Polisario, 10 mai 2020, Algérie Presse
Services, Url : http://www.aps.dz/monde/104926-l-objectif-sacre-du-front-polisario-est-la-liberation-du-sahara-occidental. Date de consultation : 11 mai 2020.
[6] ONU, résolution 34/37, 75ème séance plénière, Question du Sahara occidental, Point 7, 21 novembre 1979. Url : https://undocs.org/fr/A/RES/34/37. Date de consultation : 2 mai 2020.
[7] L’Obs, 4 décembre 2018.
[8] United States Institute of Peace, The United Nations and Western Sahara : A Never-ending Affair, 1er juillet 2016 , Url : https://www.usip.org/publications/2006/07/united-nations-and-western-sahara-never-ending-affair. Date de consultation : 8 mai 2020.
[9] L’Express, 15 novembre 2010.
[10]
Lire Evrard, Camille, « Les interventions extérieures, points saillants
de l’histoire de la présence militaire française : l’exemple
ouest-saharien (1958-1978) », Les Temps Modernes, 2017/2 (n° 693-694), pp. 267-287
[11] Clément, Alain, « L’analyse économique de la question coloniale en France (1870-1914) », Revue d’économie politique, 2013/1 (Vol. 123), p. 51
[12] Western Sahara Ressources Watch, P pour pillage, Bruxelles, 2020, p.6.
[13] Ibid.
[14] USGS, phosphate rock (data in thousand metric tons unless otherwise noted), janvier 2020. Url : https://pubs.usgs.gov/periodicals/mcs2020/mcs2020-phosphate.pdf. date de consultation : 14 mai 2020.
[15] Le Monde Diplomatique, août 1975.
[16] Chemistry World, January 2011, p.51.
[17]
European Union, Internal Market, Industry, Entrepreneurship and SMEs,
Third list of critical raw materials for the EU of 2017, Url : https://ec.europa.eu/growth/sectors/raw-materials/specific-interest/critical_en. date de consultation : 16 mai 2020.
[18] L’Usine Nouvelle, édition mise en ligne du 9 avril 2018.
[19] Forbes, édition mise en ligne du 30 mai 2018.
[20] Cour de Justice de l’Union européenne, Communiqué de presse, n° 21/18 Luxembourg, 27 février 2018.
[21] Ibid.
[22] Ibid.
[23] Cité par L’Usine Nouvelle, op.cit.
[24] L’Economiste, Dakhla : La course aux projets est lancée, Nadia Dref, édition N°5119, date de mise en ligne :04/10/2017.
[25] L’Economiste, op.cit.
[26] AgriMaroc, 17 février 2020.
[27] Western Sahara Resource Watch, La Commission de l’UE recule sur l’étiquetage des produits du Sahara, 23 mars 2020. Url : https://www.wsrw.org/a111x4686 Date de consultation : 14 mai 2020.
[28] Tel Quel, édition mise en ligne le 15 mars 2019.
[29] Le Monde, édition mise en ligne le 16 mai 2018.
[30] Denise Sollo, Origines, enjeux et perspectives de paix du conflit du Sahara occidental, Url : http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-18_fr.html. Date de consultation : 14 mai 2020.
[31] Western Sahara Resource Watch, L’agro-industrie épuise les réserves d’eau souterraine à Dakhla ?, édition mise en ligne le 15 avril 2013. Url : https://wsrw.org/a230x2560. Date de consultation : 16 mai 2020.
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