Jeudi 21 mai 2020
La gestion de la
crise du coronavirus illustre la nature du régime marocain : un roi
omnipotent qui ne rend pas de comptes et un gouvernement sans
prérogatives. Ce qui rend encore plus incertain tout projet de monarchie
parlementaire
Le Premier
ministre Saâdeddine El Othmani présente le programme du gouvernement
devant le Parlement, à Rabat, le 19 avril 2017 (AFP)
Depuis la fermeture des frontières, quelque 30 000 Marocains attendent, la mort dans l’âme, d’être rapatriés. Que leur dit le gouvernement ? « Soyez patients », propose Saâdeddine El Othmani, le chef de l’exécutif, pour toute réponse
à leur détresse. « J’espère que [le rapatriement] sera lancé très
prochainement », avait lancé Nasser Bourita, le ministre des Affaires
étrangères, en avril.
Ce qu’ils n’osent pas dire publiquement, c’est que le roi ne veut pas encore les rapatrier. Cette décision fait partie du plan global de gestion de la crise du nouveau coronavirus, lequel a été entièrement défini par le Palais.
Le problème, c’est que toutes les interrogations que suscite la gestion de cette crise se heurtent à un silence obstiné de Mohammed VI, qui ne s’est pas adressé à son peuple depuis le début de pandémie.
Pourquoi le confinement a-t-il été prolongé jusqu’au 10 juin ? Le confinement levé, une aide sera-t-elle mise en place pour les plus démunis ? Un plan pour relancer l’économie est-il prévu ? Quelles leçons ont été tirées de la crise ? Aucune réponse n’est donnée.
Dans un régime démocratique, une telle manière de gouverner relèverait de l’hérésie. Au Maroc, les institutions, les élites et une large majorité de la société semblent s’en accommoder. Si bien que toute critique, même légère, se voit désormais opposer cette formule quasi sacramentelle : « Ce n’est pas le moment de critiquer. »
La crise empêche-t-elle la communication et la reddition des comptes ? Ce qui est sûr, c’est que la crise jette une lumière crue sur la nature même du régime : une monarchie hégémonique dont le gouvernement fait office de simple instrument. L’espoir d’une monarchie parlementaire, longtemps caressé par une élite progressiste et entretenu par le Palais, paraît aujourd’hui bien lointain, voire chimérique.
Le 29 juillet 2019, après vingt ans de règne, l’heure était au bilan pour le roi Mohammed VI.
Un bilan mitigé, de l’aveu même de son entourage. Deux de ses conseillers, Abdellatif Menouni et Omar Azziman, étaient alors sortis de leur réserve habituelle pour exprimer « un mécontentement » : « Nous n’arrivons pas à trouver des emplois pour nos jeunes, nous avons des régions trop déshéritées », se désolait, dans un entretien donné à l’AFP, Omar Azziman, par ailleurs ancien ministre de la Justice et ancien ministre chargé des Droits de l’homme.
Les deux membres du cabinet royal concluaient, comme pour alimenter l’espoir, que le Maroc s’inscrivait « dans le trajet d’une monarchie parlementaire ». C’est-à-dire une monarchie aux prérogatives limitées, où « le roi règne mais ne gouverne pas », comme le criaient les manifestants du Mouvement du 20 février, né en 2011 dans le sillage du Printemps arabe.
Les déclarations des deux conseillers royaux laissaient ainsi entrevoir une embellie, un vœu pieux qui n’a pas résisté à l’épreuve des faits. La politique sécuritaire de plus en plus affirmée et assumée en 2019 et les condamnations à la chaîne d’activistes dont le tort est d’avoir critiqué le monarque en donnent à elles seules un démenti cinglant.
Le conseiller de Mohammed VI, Abdellatif Menouni, l’a exprimé sans ambages dans l’entretien accordé à l’AFP : « La nouvelle Constitution a offert des possibilités aux partis politiques leur permettant de s’imposer plus qu’auparavant. Mais dans les faits, le changement attendu n’a pas eu lieu, il faut peut-être du temps. Il y a des lenteurs. »
En réalité, loin de favoriser l’émergence de partis forts et indépendants, la puissance du roi se nourrit de la faiblesse de la classe politique, toute velléité d’indépendance étant sévèrement sanctionnée.
L’expérience d’Abdelilah Benkirane en est la parfaite illustration. Monarchiste jusqu’au bout des ongles et homme de consensus, l’ex-secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD, islamistes) a toutefois tenté à la fin de son mandat de résister à « l’autoritarisme » du Palais et à son émissaire, Fouad Ali El Himma.
Il s’est ensuivi un tir de sommation de Mohammed VI dans un discours du 30 juillet 2016, en plein campagne pour les législatives : « Ce qui est étonnant, c’est de voir certains se livrer, dans leur quête des voix et de la sympathie des électeurs, à des pratiques qui sont contraires aux principes et à l’éthique de l’action politique, proférer des déclarations et utiliser des termes préjudiciables à la réputation du pays et attentatoires à l’inviolabilité et à la crédibilité des institutions. Je saisis cette occasion pour attirer l’attention sur des agissements et des dépassements graves commis en période électorale. Il faut les combattre et en sanctionner les auteurs », menaçait le monarque.Ce dont n’a pas tenu compte Abdelilah Benkirane, qui a récidivé en février 2017 avec cette phrase assassine : « Il n’est pas acceptable que le roi aille aider les peuples africains pendant que le peuple marocain est humilié. C’est une humiliation pour le peuple marocain quand on n’accepte pas sa volonté pour la formation d’un gouvernement », tonnait l’ancien chef du gouvernement. Il peinait alors à constituer une majorité, gêné par son rival, Aziz Akhannouch, patron du parti du Rassemblement national des indépendants (RNI) et ministre réputé proche de Mohammed VI.
Il sera limogé sans ménagement un mois plus tard de son poste de chef du gouvernement et, plus tard, évincé par ses « camarades » de la tête du parti, dont il est pourtant la figure tutélaire. « Je suis plus royaliste que le roi et je n’ai jamais dit non à Mohammed VI mais je tiens à discuter avec lui quand je ne suis pas d’accord, ce que le Palais semble refuser », racontait Abdelilah Benkirane à ses visiteurs.
Bien avant lui, le socialiste Abderrahmane El Youssoufi l’avait appris à ses dépens. Après avoir accepté, en 1997, sous Hassan II, de conduire le gouvernement de l’alternance, l’ancien premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP, alors principale force politique au Maroc) avait été évincé par Mohammed VI au profit d’un gouvernement technocratique en 2002.
Dix-sept ans plus tard, le rêve d’un État démocratique et d’une monarchie parlementaire semble encore plus inaccessible. Usés par l’arrivisme et un sens excessif du compromis, les partis politiques ont peu à peu troqué la confiance des électeurs contre des strapontins.
Leur rôle se limite ainsi à donner un vernis démocratique à la politique conçue et définie par le Palais et à assumer des choix dont ils ne sont que les exécutants.
Quant à la monarchie, dont le temps n’est pas celui des partis, elle reste droite dans ses bottes, continuant de régner et de gouverner sans partage. Mohammed VI avait d’ailleurs choisi le cap dès son accession au trône en affirmant en 2001 : « Les Marocains veulent une Monarchie forte, démocratique et exécutive. »
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Ce qu’ils n’osent pas dire publiquement, c’est que le roi ne veut pas encore les rapatrier. Cette décision fait partie du plan global de gestion de la crise du nouveau coronavirus, lequel a été entièrement défini par le Palais.
Le problème, c’est que toutes les interrogations que suscite la gestion de cette crise se heurtent à un silence obstiné de Mohammed VI, qui ne s’est pas adressé à son peuple depuis le début de pandémie.
Pourquoi le confinement a-t-il été prolongé jusqu’au 10 juin ? Le confinement levé, une aide sera-t-elle mise en place pour les plus démunis ? Un plan pour relancer l’économie est-il prévu ? Quelles leçons ont été tirées de la crise ? Aucune réponse n’est donnée.
La situation est telle que l’on se trouve, d’un côté, face à un roi qui se mure dans le silence, et de l’autre, à un gouvernement qui n’a rien à direD’un côté, un roi omnipotent qui n’a pas de comptes à rendre au peuple, de l’autre, des ministres sans pouvoir que personne n’écoute.
Dans un régime démocratique, une telle manière de gouverner relèverait de l’hérésie. Au Maroc, les institutions, les élites et une large majorité de la société semblent s’en accommoder. Si bien que toute critique, même légère, se voit désormais opposer cette formule quasi sacramentelle : « Ce n’est pas le moment de critiquer. »
La crise empêche-t-elle la communication et la reddition des comptes ? Ce qui est sûr, c’est que la crise jette une lumière crue sur la nature même du régime : une monarchie hégémonique dont le gouvernement fait office de simple instrument. L’espoir d’une monarchie parlementaire, longtemps caressé par une élite progressiste et entretenu par le Palais, paraît aujourd’hui bien lointain, voire chimérique.
Le 29 juillet 2019, après vingt ans de règne, l’heure était au bilan pour le roi Mohammed VI.
Un bilan mitigé, de l’aveu même de son entourage. Deux de ses conseillers, Abdellatif Menouni et Omar Azziman, étaient alors sortis de leur réserve habituelle pour exprimer « un mécontentement » : « Nous n’arrivons pas à trouver des emplois pour nos jeunes, nous avons des régions trop déshéritées », se désolait, dans un entretien donné à l’AFP, Omar Azziman, par ailleurs ancien ministre de la Justice et ancien ministre chargé des Droits de l’homme.
Les deux membres du cabinet royal concluaient, comme pour alimenter l’espoir, que le Maroc s’inscrivait « dans le trajet d’une monarchie parlementaire ». C’est-à-dire une monarchie aux prérogatives limitées, où « le roi règne mais ne gouverne pas », comme le criaient les manifestants du Mouvement du 20 février, né en 2011 dans le sillage du Printemps arabe.
Les déclarations des deux conseillers royaux laissaient ainsi entrevoir une embellie, un vœu pieux qui n’a pas résisté à l’épreuve des faits. La politique sécuritaire de plus en plus affirmée et assumée en 2019 et les condamnations à la chaîne d’activistes dont le tort est d’avoir critiqué le monarque en donnent à elles seules un démenti cinglant.
Un sens excessif du compromis
Néanmoins, pour les adeptes de l’interventionnisme excessif du Palais, c’est la classe politique qu’il faut blâmer. Faible, incapable de remplir sa mission, elle aurait ainsi laissé un vide que le roi n’a d’autre choix que d’occuper.Le conseiller de Mohammed VI, Abdellatif Menouni, l’a exprimé sans ambages dans l’entretien accordé à l’AFP : « La nouvelle Constitution a offert des possibilités aux partis politiques leur permettant de s’imposer plus qu’auparavant. Mais dans les faits, le changement attendu n’a pas eu lieu, il faut peut-être du temps. Il y a des lenteurs. »
En réalité, loin de favoriser l’émergence de partis forts et indépendants, la puissance du roi se nourrit de la faiblesse de la classe politique, toute velléité d’indépendance étant sévèrement sanctionnée.
L’expérience d’Abdelilah Benkirane en est la parfaite illustration. Monarchiste jusqu’au bout des ongles et homme de consensus, l’ex-secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD, islamistes) a toutefois tenté à la fin de son mandat de résister à « l’autoritarisme » du Palais et à son émissaire, Fouad Ali El Himma.
Il s’est ensuivi un tir de sommation de Mohammed VI dans un discours du 30 juillet 2016, en plein campagne pour les législatives : « Ce qui est étonnant, c’est de voir certains se livrer, dans leur quête des voix et de la sympathie des électeurs, à des pratiques qui sont contraires aux principes et à l’éthique de l’action politique, proférer des déclarations et utiliser des termes préjudiciables à la réputation du pays et attentatoires à l’inviolabilité et à la crédibilité des institutions. Je saisis cette occasion pour attirer l’attention sur des agissements et des dépassements graves commis en période électorale. Il faut les combattre et en sanctionner les auteurs », menaçait le monarque.Ce dont n’a pas tenu compte Abdelilah Benkirane, qui a récidivé en février 2017 avec cette phrase assassine : « Il n’est pas acceptable que le roi aille aider les peuples africains pendant que le peuple marocain est humilié. C’est une humiliation pour le peuple marocain quand on n’accepte pas sa volonté pour la formation d’un gouvernement », tonnait l’ancien chef du gouvernement. Il peinait alors à constituer une majorité, gêné par son rival, Aziz Akhannouch, patron du parti du Rassemblement national des indépendants (RNI) et ministre réputé proche de Mohammed VI.
Il sera limogé sans ménagement un mois plus tard de son poste de chef du gouvernement et, plus tard, évincé par ses « camarades » de la tête du parti, dont il est pourtant la figure tutélaire. « Je suis plus royaliste que le roi et je n’ai jamais dit non à Mohammed VI mais je tiens à discuter avec lui quand je ne suis pas d’accord, ce que le Palais semble refuser », racontait Abdelilah Benkirane à ses visiteurs.
Bien avant lui, le socialiste Abderrahmane El Youssoufi l’avait appris à ses dépens. Après avoir accepté, en 1997, sous Hassan II, de conduire le gouvernement de l’alternance, l’ancien premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP, alors principale force politique au Maroc) avait été évincé par Mohammed VI au profit d’un gouvernement technocratique en 2002.
Le rôle des partis politiques se limite ainsi à donner un vernis démocratique à la politique conçue et définie par le Palais et à assumer des choix dont ils ne sont que les exécutantsExpérience amère qu’El Youssoufi avait relatée dans un célèbre discours prononcé à Bruxelles en 2003 et dont la conclusion était : « Espérons ne pas perdre dans le proche avenir la faculté de rêver. »
Dix-sept ans plus tard, le rêve d’un État démocratique et d’une monarchie parlementaire semble encore plus inaccessible. Usés par l’arrivisme et un sens excessif du compromis, les partis politiques ont peu à peu troqué la confiance des électeurs contre des strapontins.
Leur rôle se limite ainsi à donner un vernis démocratique à la politique conçue et définie par le Palais et à assumer des choix dont ils ne sont que les exécutants.
Quant à la monarchie, dont le temps n’est pas celui des partis, elle reste droite dans ses bottes, continuant de régner et de gouverner sans partage. Mohammed VI avait d’ailleurs choisi le cap dès son accession au trône en affirmant en 2001 : « Les Marocains veulent une Monarchie forte, démocratique et exécutive. »
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
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