Et PAF ! Dans ta margoulette !
Ce jeudi, se tenait au Tribunal de Gap le procès de deux policiers attachés à la PAF (Police de l’air et des frontières) de Montgenèvre au moment des faits qui leur sont reprochés. Le premier, gardien de la paix en arrêt maladie est soupçonné d’avoir commis des violences, enregistrement audio à l’appui, sur un mineur migrant et le second, désormais à son compte dans le civil, d’avoir fait un faux en écriture en annulant une contravention dont il a n’a pas rendu l’argent qu’il a encaissé.
Le jugement sera rendu le 30 juillet et jusque là, les inculpés bénéficient de la présomption d’innocence.
Pour faire court, et parce que les détails de l’affaire nous intéressent moins que les déclaration des policiers et des magistrats, dans la nuit du 4 au 5 aout 2018, 5 migrants son arrêtés à la frontière, ramenés au poste de la PAF, contrôlés, fouillés, et ramenés à la frontière italienne malgré la production d’acte de naissance d’au moins deux des personnes concernées affirmant leur minorité. (ce qui est illégal, puisque un mineur doit être pris en charge). Arrivé à Bardonnecchia, en Italie, l’un des deux jeunes maliens s’aperçoit qu’il n’a plus son argent dans son sac à dos. Il décide de retourner en France pour le récupérer. C’est là qu’il croise le chemin du premier policier et que les choses vont dégénérer.
Moussa, 16 ans, décide à la vue des policiers, de mettre son téléphone en mode d’enregistrement. Bien lui en a pris et la scène qui s’y déroule est en elle-même une somme d’actes illégaux « constitués » dira le procureur Florent Crouhy lors de ses réquisitions
Enregistrement:
Le gardien de la paix, Monsieur M, est accompagné d’un adjoint de sécurité. Il a une carrière irrégulière dans deux compagnies de CRS avant de tenter l’ouverture d’un bar lors d’une mise en disponibilité et revient dans la police où il sera détaché à la PAF de Montgenèvre.
La police accuse la police !
Lors de la première arrestation par les gendarmes, Moussa et son ami, ainsi que 3 autres personnes, recevront une signification de retour à la frontière. Les gendarmes consigneront que la minorité est « incohérente » sans expliquer en quoi elle l’est puisque l’acte de naissance produit est régulier et, est à ce jour, non remis en cause. Les gendarmes parlent « d’apparences »… On apprend donc que la police se fait juge sur des apparences malgré les pièces justificatives produites. Au nom de quoi, de qui? Ni de la loi, ni de… On ne sait pas.
Lorsque Moussa revient avec son ami et qu'ils croisent le chemin de l’agent M et son adjoint, étrangement, ils ne feront pas l’objet d’une vérification d’identité, d’un contrôle et seront sommés de retourner à la frontière. Monsieur M affirme qu’il s’agit de ne pas faire plus d’une assignation de retour à la frontière par période de 24 heures…
« Pourquoi? » demande la présidente de la cour,
« Parce que c’est ainsi qu’on pratique à Montgenèvre » répond le policier…
Madame la juge, pugnace et précise, repose la question « sur quelle base juridique vous êtes-vous appuyée pour décider qu’il n’y a qu’une assignation par 24 heures ? »
« c’est la pratique habituelle » répond Monsieur M. On apprend donc que la police dicte sa propre loi, que celle-ci n’est inscrite ni votée nulle part… C’est une habitude.
Le jeune Moussa accuse la police de lui avoir volé son argent, le policier et son adjoint le prennent de haut et menacent Moussa d’un aller simple pour Tripoli.
La juge pose la question « étiez vous habilité à prendre les plaintes, toutes les plaintes? « la réponse est affirmative.
« Pourquoi ne l’avez -vous pas prise? «
« parce qu’on ne peut pas prendre toutes les plaintes de ce genre d’accusation qui sont trop fréquentes » répond le policier…
Et c’est là que notre affaire prend un tour tout à fait intéressant… Un policier affirme donc devant une cour de justice que le racket des migrants, malgré les plaintes des associations, des citoyens militants depuis plusieurs années, ne sont pas considérées comme « sérieuses »…
« Pourquoi, sur quel fait précis et dans quel cadre juridique refusiez-vous de prendre la plainte et décidiez-vous derechef d’un aller pour Tripoli ? »…
« Aucune » répond le policier « c’est comme ça que l’on pratique même si je regrette d’être allé trop loin pour la menace d’expulsion vers la Libye ».
Monsieur M minimisera les violences enregistrées et affirmera à plusieurs reprises qu’il ne s’est jamais senti « menacé » par les deux jeunes. Il parlera d’un geste et de menaces liés à l’énervement. Mais à plusieurs reprises, il indiquera qu’il a suivi les procédures, non pas légales, mais habituelles de la PAF. Ces mêmes procédures dénoncées par les migrants, les associations, les bénévoles et les citoyens, maraudeurs, recueillants des migrants à Briançon comme à Bardonecchia.
Penaud, beaucoup moins sûr de lui qu’armé de son Glock et son uniforme badgé « République française », ses déclarations confirment que les procédures légales sont accessoires et que les menaces, les violences, les vols ne sont pas des choses « sérieuses » qui peuvent faire acte de plainte. Ce policier accuse la PAF de manquement à ses devoirs élémentaires en justifiant ses propres errements comme relevant des habitudes, des pratiques communes. C’est à ça que reviennent ces déclarations. Il ne s’agit, d’après lui, pas d’actes personnels mais bien d’un système de jugement à l’emporte-pièce, de procédure au doigt mouillé et d’abus de position de force légitime pratiqués par la PAF de Montgenèvre.
Comment cette affaire s’est retrouvée devant le tribunal correctionnel?
C’est à la suite de deux concours de circonstances, le premier par la diffusion et la contextualisation d’un article du Média Basta-mag, la plainte de Moussa, finalement reçue bien après grâce au soutien des association qu’il parviendra à rejoindre et le signalement d’un agent de la PAF (que nous nommerons Monsieur X)à sa hierarchie sur les pratiques étranges menées par un adjoint de sécurité, que nous appellerons Monsieur C et, qui, vous allez le voir, n’est pas sans rapport avec Monsieur M…
Monsieur C, simple adjoint de sécurité et très souvent en duo avec Monsieur M, contrôle des automobilistes à la frontière. Légalement, il ne peut le faire qu’accompagné d’un chef de poste, d’un gradé, d’un supérieur… Mais là encore, la « pratique habituelle » prend visiblement le pas sur la loi. Un beau jour, un automobiliste italien est contrôlé et reçoit une contravention de 90 euros pour non port de ceinture de sécurité… Jusque là, rien d’anormal si ce n’est que Monsieur C est seul. Son supérieur est dans « la cahutte » (le poste). Il encaisse, comme la loi l’exige, la somme de 90 euros directement, puisqu’il est étranger, en espèce et donne un reçu au « contrevenant ». La Présidente de la cour remarque que les talons des carnets de contraventions ne sont pas remplies. Cependant, il existe une feuille d’émargement pour confirmer les actes de contravention… Jusqu’ici tout va presque bien… Presque mais pas complètement puisque l’amende n’est pas inscrite le jour même. Quelques temps plus tard, Monsieur C demande à Madame G, régisseuse de la PAF (autrement dit, c’est elle qui fait les comptes, encaisse etc) comment faire pour « annuler » une contravention. Elle lui répond qu’il faut qu’il donne une raison valable comme, par exemple « erreur de remplissage » de l’amende. Vice de forme en gros. Madame G confirmera cette demande mais à aucun moment ne demandera où sont passés les sous de la contravention.
Une autre fois, Monsieur C avec Monsieur M arrêtent des allemands à la frontière, les contrôlent et décident de les emmener au poste sans qu’on sache, encore aujourd’hui, pourquoi. Monsieur X trouve cette venue au poste un rien étrange… Une petite alerte sonne en lui et il demande à Monsieur M ce qu’il en retourne… Celui-ci le rembarrera et lui indiquera qu’il n’est pas concerné. M X, ne suivant que son intuition, demande à un gradé de pouvoir contrôler le PV obligatoire et oh surprise… Il n’y en n’a pas ! Alors Monsieur X, jeune adjoint idéaliste et qui a une haute opinion de sa mission de service public fait un rapport à sa hiérarchie et les choses vont prendre un nouveau tournant… Ou plutôt l’arrivée d’un nouveau capitaine va changer la donne… Ce dernier prend très au sérieux les rapports et décide de saisir le procureur de la République pour que celui-ci diligente une enquête de l’IGPN. Il faut préciser, si vous suivez encore, que ces rapports datent d’avant l’histoire de la rencontre avec Moussa (début 2018) et que les associations dénoncent depuis 2017 officiellement les actes étranges de cette brigade. En février 2019 commence une enquête interne qui va mener la police des police sur une affaire de gagne-petits, de minables comportements et que les témoignages d’une partie de la brigade iront tous dans le sens de celui de Monsieur X. Courant 2019, un nouveau procureur, Florent Crouhy est désigné et décide de poursuivre l’affaire, et les deux protagonistes identifiés par l’IGPN, et qui reconnaissent les faits en les expliquant de manière contradictoire, pour ne pas dire… un peu bêtement.
Ah ! j’allais oublier… Madame G, qui a conseillé à Monsieur C sur l’annulation de l’amende, est aussi la concubine de Monsieur M. Si elle n’est pas poursuivie, c’est une info importante tout de même…
L’avis de la rédaction:
Après 4 heures d’auditions des deux inculpés, Me Vincent Brengarth, qui représente Moussa pour la partie civile aura, finalement la même conclusion que le défenseur de Monsieur M: On a visiblement affaire à une problématique systémique liée à une chaîne de commandement mais nous allons plus loin… Il y a une forme de sentiment d’impunité et de loi « hors LA loi » qui mine la mission de service public de la police et de la gendarmerie dans son ensemble à tous les niveaux.
Nous ne sommes pas certains que de simples ajouts de caméras ou même de nouveaux commandants suffisent à régler ces dérives. La police (dans son ensemble) est un bien commun qui ne peut pas être à part des débats citoyens et mérite, à tout le moins, une refondation complète tant dans sa philosophie que dans ses pratiques. Les deux inculpés ne sont pas aujourd’hui condamnés (le verdict sera prononcé le 30 juillet prochain) et sont donc innocents jusqu’à ce jour, mais ce qu’ils affirment du fonctionnement des « pratiques habituelles » hors champ des procédures corroborent les alertes des associations et de citoyens lambda mais également de policiers eux-mêmes dont la parole peine à se libérer.
Il y a quelque chose de pourri au royaume de France et on ne peut pas indéfiniment se voiler la face et encore moins se laisser diviser. Pourquoi pas, à l’instar de l’environnement, un comité citoyen ou, mieux encore, un grand débat national sincère et dépassionné mais passionnant sur « quelle police pour quelle société? »
La question des frontières doit aussi être posée… Elles n’ont pas toujours été fermées et sont le fruit originel d’un acte de guerre. Moussa a réussi et est aujourd’hui apprenti cuisinier à Montélimar. Il va avoir 18 ans et passera son CAP l’année prochaine. Voilà la France qu’on aime !
Nous laissons le dernier mot au procureur Florent Crouhy (parce qu’on est sympas) « La police doit être exemplaire avec tous les citoyens, d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur situation administrative »… . A bon entendeur…
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