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jeudi 18 février 2021

Témoignage. "Je ne trouve pas d'alpage pour mes 600 bêtes", alerte un berger à quatre mois de la transhumance

Thomas Charrier est berger depuis 20 ans, entre le littoral et les Alpes de Haute-Provence. Une vraie passion pour cet enfant du pays, qui a découvert ce métier aux côtés de son père. Mais depuis plusieurs années, les alpages se font plus rares, il s'inquiète pour l'avenir de son troupeau. 

Thomas Charrier est berger depuis ses 15 ans, mais depuis plusieurs années, il a beaucoup de mal à trouver des terres pour effectuer avec ses bêtes la transhumance.
Thomas Charrier est berger depuis ses 15 ans, mais depuis plusieurs années, il a beaucoup de mal à trouver des terres pour effectuer avec ses bêtes la transhumance. © Thomas Charrier

Mars, avril, mai, juin, il ne reste que quatre mois avant le début de la transhumance estivale. Cette migration périodique du bétail de la plaine à la montagne, pour trouver de la fraicheur et de l'herbe verte pendant l'été, est primordiale pour Thomas Charrier, berger à son compte depuis sept ans. 

Je fais ce métier depuis mes 15 ans, ça va faire 20 ans que c'est ma passion, Thomas Charrier, berger

Mais voilà, cette année, comme beaucoup d'autres, difficile de trouver un alpage dans les hauteurs pour accueillir son troupeau de 600 bêtes (les troupeaux sont en moyenne constitués entre 300 et 450 brebis, selon un rapport du Sénat). Une situation qui préoccupe beaucoup ce berger. 

Pourquoi trouver des terres devient une mission quasi-impossible ? 

Thomas Charrier : dans cette région, les terres sont construites ou alors les terrains agricoles sont loués et vendus au prix du constructible. Les enfants d'agriculteurs ne reprennent pas systématiquement les terres de leurs parents. Ils revendent les parcelles à des promoteurs immobiliers, c'est plus avantageux.

Ça crée un déséquilibre, pour trouver des alpages à des prix raisonnables, c'est un véritable casse-tête. Ici, il pousse des maisons comme il pousse des champignons. Il me reste 600 bêtes pour faire la transhumance, après avoir vendu mes agneaux. Il me faut donc une grande superficie pour que je puisse loger l'ensemble de mon troupeau. 

Thomas est parfois aidé par son fils Mathieu de 8 ans pour s'occuper du troupeau.
Thomas est parfois aidé par son fils Mathieu de 8 ans pour s'occuper du troupeau. © Thomas Charrier

Cette situation entraîne quels risques pour votre profession ? 

Je crains de devoir me séparer de certaines brebis, la profession devra se contenter de troupeau de plus en plus petit. La transhumance est une pratique inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO depuis 2020, c'est une tradition importante ! L'hiver la ville d'Hyères-les palmiers me loue un terrain communal pour mes bêtes, je suis assuré d'avoir cet espace chaque année, mais je ne veux pas laisser mon troupeau en sédentaire. Monter dans les hauteurs chaque été, c'est non seulement pour le bien-être des brebis car elles ont moins chaud, elles peuvent ruminer et aussi c'est un rythme de vie ancré en moi.  

Il y a aussi le risque de voir les jeunes se démotiver, déjà que ce n'est pas un métier facile... C'est 365 jours par an, pas de vacances, même si pour la transhumance, j'ai un ouvrier avec moi et on se relaie. J'ai aussi mes six chiens qui m'accompagnent. J'ai deux fils, le premier qui a huit ans, m'a dit qu'il voulait être berger plus tard. Mon rêve aujourd'hui, c'est de trouver une terre dans les montagnes à louer chaque année au moment de la transhumance estivale. Comme ça, j'assure une sécurité pour la relève. 

Où en sont vos recherches ? 

Grâce aux réseaux sociaux, j'ai eu trois propositions. Mais il faut que j'étudie ces offres car c'est parfois très loin, on m'a contacté en Haute-Savoie par exemple. Je me sens démuni alors que pourtant je m'y suis pris à l'avance, on peut m'appeler du jour au lendemain, je ne désespère pas.

Si mes bêtes restent sur la côte, c'est une catastrophe elles vont passer quatre mois invivables. Il a beaucoup de bergers dans ma situation. Moi je me sens comme un résistant, je continuerai de croire en 

Terres agricoles : c'est la taille d'un département français qui disparait tous les 10 ans 

Préserver les terres agricoles est un véritable enjeu national, puisqu'en 40 ans, le nombre d'agriculteurs a été divisé par quatre, selon l'INSEE. Pour les surfaces, c’est quasiment l’équivalent d’un département français qui disparaît tous les 10 ans.

Certaines mairies, se mobilisent alors pour préserver les parcelles pour les agriculteurs, c'est notamment le cas à Saint-Martin-du-Var. Un moyen aussi de lutter contre la bétonisation des espaces.

Les mouvements citoyens ne sont pas en reste. Terre de Liens rachète des terres agricoles et  les loue ensuite à moindre côut à des agriculteurs. 

Il est possible également d'investir dans une ferme sous forme d'un groupement foncier agricole, et ainsi de devenir actionnaire d'un bout de terrain.

Le parc national du Mercantour propose quant à lui des postes de "berges remplaçants" pour la saison d'estive à venir. Une solution envisagée par Thomas Charrier si aucun terrain ne lui convient d'ici au mois de juin. "Je ne me ferme aucune opportunité", ajoute-t-il. 

Le loup, un facteur à risque supplémentaire ? 

"Ça fait bien longtemps que les bergers,  ne se posent même plus la question de savoir si le terrain comporte un risque de prédation, depuis 30 ans c'est un fait, les loups sont de retour", affirme Thomas Charrier.  Pour ce berger c'est en moyenne 10 attaques par an.  

Précédé par sa réputation de bête sauvage, nourrie par la littérature et la culture populaire, le loup gris a été éradiqué en France, dans les années 1930, avant de revenir dans les Alpes par l'Italie dans 60 ans plus tard. 

Depuis, les éleveurs, les défenseurs de l'environnement, et les pouvoirs publics peinent à trouver une solution. En 2021, 580 loups seraient présents sur le territoire français. 

Le loup est un animal magnifique ça il ne faut pas le nier maintenant comment cohabiter ? La question est posée...

Paul Davin, berge dans les Hautes-Alpes

 

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