| L’énigme
Macron devient complexe à résoudre. Difficile en effet pour un esprit
rationnel de faire sens de la politique “africaine” du président
français. Dès 2017, Emmanuel Macron avait semblé rompre avec la fameuse
Françafrique. Un système intégré d’intérêts militaires et économiques,
dont la partie immergée de l’iceberg recouvre passe-droits, renvois
d’ascenseur et, surtout, une tolérance à peine voilée envers les
autocrates. La mansuétude de l’ancienne puissance coloniale vis-à-vis de sa zone d’influence
cache bien entendu la volonté de la France de maintenir intactes ses
positions dans ce qu’elle considère comme sa chasse gardée. Et il faut dire que la France fait face à une concurrence féroce.
L’étendue de l’influence militaire russe, à travers Wagner ;
l’hégémonie économique chinoise ; les intérêts turcs de plus en plus
prégnants, la présence marocaine, voire l’appétit d’un nouvel acteur, le
Brésil, atomisent ce qui fut jadis le pré carré hexagonal. | | | | | |
| En vérité, l’Afrique n’est plus ce bloc indistinct
auquel le vocabulaire postcolonial et de Guerre froide se référait sans
distinguo comme un pays unique, sans aspérités. De nos jours, pour
reprendre une expression lue dans Le Monde Diplomatique, les États
africains “picorent au banquet des alliances.” Cela s’est
particulièrement vu, à la sidération des puissances occidentales, lors
de l’éclatement du conflit russo-ukrainien. Boudées par de nombreux pays du continent,
les résolutions onusiennes anti-russes ont dessillée les regards
anachroniques des dirigeants occidentaux. Le Sud global s’émancipe des
vieilles tutelles et c’est heureux. L’ablation de l’appendice qui
reliait l’Afrique aux anciennes forces impérialistes brouille la donne,
génère un nouvel ordre mondial qui prend de court les puissances
installées. Avec une boussole qui se détraque, nombre de ces puissances perdent leurs repères.
La France actuelle en donne un exemple éclatant. Le président Macron
contemple, en 2023, une Afrique méfiante, et surtout, plus soucieuse
d’échapper à l’emprise d’un néocolonialisme qui évolue à pas feutrés,
mais qui n’en est pas moins résistant. L’échec patent de l’opération Barkhane, censée stopper l’avancée du radicalisme islamiste au Mali,
a démontré que l’interventionnisme militaire de la France ne passe
plus. Le vocabulaire arrogant du président n’a fait qu’accentuer ce
rejet. Nul n’oublie la manière cavalière dont Macron, en 2017, s’était
adressé au président burkinabé à Ouagadougou, s’interrogeant si ce dernier était allé “réparer la climatisation”. Nul n’oubliera la posture de donneur de leçons qu’il a eue en face du président de la RDC,
Félix Tchisekedi, dont Macron accusera ouvertement le pays d’avoir
échoué à bâtir des institutions solides depuis 1994. Oubliant au passage
le soutien de la France au Rwanda qui équipe et appuie les rebelles du
mouvement M23 dans leurs tentatives de déstabilisation de la RDC. La récente tournée éclair de Macron en Afrique Centrale, sous couvert d’une distanciation affichée avec la Françafrique,
aura paradoxalement emmené le président dans la géographie qui la
caractérise le plus. Au Congo Brazzaville, chez un pilier de la
Françafrique, Denis Sassou N’guessou, au pouvoir depuis 1992 ; chez Ali
Bongo au Gabon dont le père en était littéralement le symbole. Il y a donc là un deux poids deux mesures qui semble coller à la peau d’Emmanuel Macron.
Sa personnalité paradoxale, teintée d’une arrogance en roue libre, rend
ardue toute lecture de la stratégie française pour le continent. Si
Macron s’érige comme le champion des mémoires oubliées, et se veut le
guérisseur des blessures coloniales, il ne semble pas prêt à assumer
clairement la responsabilité de la France dans la guerre du Cameroun,
bien qu’une commission ait été mandatée à ce sujet, avec cinq décennies
de retard. S’il s’est dit prêt à couper avec le système franc CFA,
sur le plan de la pratique, très peu a été effectué pour sauter
définitivement le pas de la tutelle monétaire. S’il admet volontiers que
la présence militaire de la France en Afrique doit être revue, aucune
base n’a été démantelée, le contingent hexagonal dénombrant toujours à
6000 soldats. Certes, Macron a fait de la restitution des œuvres culturelles africaines aux pays d’origine une profession de foi,
mais, très honnêtement, là n’est pas le plus important. Marquée par la
plaie coloniale, dont le souvenir a été transmis à sa jeunesse,
l’Afrique s’attend à des actes concrets de la part de la France. Dont le
président, fort d’un double langage et de postures contradictoires, ne
fait qu’attiser le rejet, voire la haine. | | | | | |
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