Par Cyril Castelliti
Détournée de sa fonction première, la voiture offre un refuge aux jeunes couples en quête de discrétion. Comment l’automobile est devenu l’espace d’intimité privilégié de la jeunesse marocaine ?
"Depuis qu’il n’a plus de voiture, il a carrément arrêté de
rencontrer des femmes". Sourire au coin de la lèvre, Nora décrit avec
ironie les tumultes de son ami. A l’instar de nombreuses jeunes femmes,
la Casablancaise de 26 ans ne compte plus dans son entourage les
relations nouées grâce à l‘intimité qu’offre la voiture. Un espace
privilégié par la jeunesse pour se rencontrer, échanger, voire jouer
avec les interdits. Ce procédé témoigne d’un véritable phénomène de
société, comme le confirme son ami Assia, 24 ans: "Avec mon mec actuel,
nous nous sommes rencontrés au travers de ces fameux tours en voiture",
se souvient-elle . Les cafés ? "Trop de monde", les cinémas ? "Trop
lycéen", son domicile ? "Impossible avec les parents". Heureusement, il
restait la voiture de la jeune femme pour que le couple file le parfait
amour.
Garçonnière sur roue
Face à la pression sociale et familiale endurée par certains jeunes
couples, les véhicules font ainsi souvent office de garçonnière sur
roues. Un procédé bien connu par la jeunesse, qui n’étonne pas la
sociologue Soumaya Naamane Guessous, auteure de nombreux ouvrages sur
la sexualité des jeunes Marocaines : "Les jeunes couples souffrent de
cette difficulté à se retrouver dans l’intimité. Dans un café, les
marques d’affection se résument aux caresses. Impossible de s’embrasser.
Sans parler du risque de croiser un parent, ou un proche. Quant à la
location d’une garçonnière, ce n’est financièrement pas à la portée de
tout le monde".
Une contrainte difficilement compatible avec les
attentes de la nouvelles générations. "Aujourd’hui, les expériences
amoureuses sont de plus en plus précoces. Pour autant, l’âge moyen du
mariage a reculé à 28 ans pour les femmes, et 31 pour les hommes. Les
individus sont donc plus exigeants dans le choix de leur conjoint. Cela
nécessite de prendre le temps de le connaître afin de déterminer s’il
répond à certains critères qui ne sont pas toujours physiques",
analyse-t-elle. Pour déjouer ce paradoxe, la jeunesse a trouvé son
remède : "Le tour en voiture".
Une seule règle : Ne pas s’arrêter
"C’est un phénomène très répandu ! Comment faire autrement quand
chacun vit chez ses parents ? La voiture est le seul endroit pour éviter
le regard des autres. Même dans les coins isolés comme la plage, le
risque de croiser quelqu’un est toujours présent. En voiture, on peut se
poser tranquillement. Et si une situation devient compliquée, on peut
rapidement fuir", explique Nora. Un procédé également plébiscité par les
jeunes filles souhaitant s’offrir un espace d’intimité entre amies. "Se
retrouver dans des bars peut nuire à la réputation des jeunes filles.
Fumer en public nous expose à la critique. Faire des tours en voiture
nous permet donc de nous retrouver et nous comporter telles que nous
sommes, sans souffrir de la pression des autres". La seule contrainte ?
"Ne pas s’arrêter pour éviter d’attirer les regards" précise la jeune
femme.
Roulez jeunesse
Comment un tel fonctionnement s’est-il progressivement immiscé dans
la jeunesse ? Pour la sociologue Soumaya Naamane Guessous, ce phénomène
ne s’explique pas uniquement par l’évolution des mentalités
"Contrairement à la jeunesse, la génération de leurs parents n’étaient
que peu motorisée. Aujourd’hui, cet accès s’est démocratisé alors même
que les jeunes sont en recherche constante d’intimité. S’ils pouvaient
profiter les uns des autres sans souffrir de la pression sociale, le
pays ferait de belles économies en carburant", ironise-t-elle. Un
constat partagé par Assia : "Ce phénomène illustre bien l’hypocrisie de
notre société. Les tabous sont nombreux, mais tout le monde sait que peu
de personnes les respectent. Résultat, les jeunes détournent le système
dans la mesure où celui-ci ne leur permet pas de se rencontrer
convenablement", dénonce-t-elle. Mais si les tabous ont la peau dure, la
volonté des jeunes couples l’est tout autant. Entre quatre portières ou
quatre murs, difficile d’empêcher à la jeunesse de se découvrir, de
s’apprécier, et s’aimer en toute intimité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire