Rédacteur en chef de Reporterre.net, auteur du livre
“Notre-Dame-des-Landes” paru en 2014, Hervé Kempf analyse la décision du
gouvernement d'abandonner le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes
comme une victoire inspirante pour les luttes écologiques.
Comment accueillez-vous la décision prise par le couple exécutif ce 17 janvier d’abandonner le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes ? Est-ce une victoire des zadistes ?
Hervé Kempf – Je reçois cette décision comme une
très bonne nouvelle. Ce n’est pas une victoire des zadistes, c’est une
victoire de milliers de personnes qui se sont rebellées contre un projet
absurde. Des paysans, des citoyens, des associations, des élus, des
architectes, des naturalistes, et des habitants de la ZAD [“zone à défendre”, ndlr],
venus vivre au fil des années sur ce lieu. C’est la victoire d’un grand
mouvement collectif, qui a aussi impliqué des dizaines de milliers de
gens à travers la France, qui soutenaient la lutte de loin, et qui
savaient à quel point il était important de défendre ce lieu.
Vous attribuez donc cette décision à la mobilisation citoyenne autour du projet ?
Il est clair que c’est grâce aux gens qui se sont bagarrés depuis des
dizaines d’années, qui ont fait des manifestations, qui parfois ont été
en prison ou ont vu leur tracteur détruit, qui ont fait la grève de la
faim, qui se sont opposés avec ce qu’ils pouvaient à la violence
policière, ces gens qui se sont obstinés à vivre dans la boue et qui en
même temps cultivent, réfléchissent, discutent, essayent d’inventer de
nouvelles façons de vivre. C’est clairement tout un mouvement qui a
remporté cette victoire.
Est-ce un encouragement pour les luttes écologiques de manière générale ?
Bien sûr, cela signifie qu’on ne perd pas toutes les batailles. Des
batailles moins connues ont d'ailleurs été gagnées, sur le gaz de
schiste, sur un projet absurde de Décathlon près d’Orléans, sur un projet de stade absurde près de Dunkerque.
Là c’est une très grande victoire, qui doit encourager tous ceux qui
savent que la question écologique est absolument prioritaire, et qu’on
ne peut pas continuer à bétonner, à détruire, à artificialiser, à faire
des aéroports et des zones commerciales sans arrêt. Car la situation de
la biosphère, et donc de la société, sont mises en danger par ce
développement fou. C’est un encouragement formidable.
“On ne peut pas continuer à bétonner, à détruire, à artificialiser, à faire des aéroports et des zones commerciales sans arrêt”
Cela prouve-t-il l’efficacité de la stratégie de la “Zone à défendre” ?
Encore une fois, cette ZAD a été défendue non seulement par ceux qui y
vivaient, parmi lesquels des paysans, mais aussi par tout un mouvement
d’alliances. Il y a plein de formes de lutte possible, par le droit,
l’expertise, la manifestation, l’action politique – des élus, des
députés ont joué leur rôle dans cette affaire -, et aussi parfois la
désobéissance civile. C’est l’ensemble de ces moyens qui, quand ils
travaillent ensemble, sont efficaces. Ce n’est pas une victoire de la
stratégie de la ZAD, mais de l’union, de la coopération de toutes les
formes de luttes de gens qui, même s'ils ne partagent pas la même
culture, savent qu’il faut s’unir pour atteindre l’objectif commun.
Emmanuel
Macron a-t-il pris cette décision pour être cohérent avec ses choix en
matière de politique climatique, ou son choix a-t-il été guidé,
contraint par la division que suscitait l’aéroport ?
Je fait crédit à Emmanuel Macron d’avoir suivi le bon sens et le
sérieux du dossier, car le projet d’aéroport ne tenait pas debout quand
on rentrait dans son détail technique. Je pense qu’ils ont été
contraints cependant. M. Macron est quelqu’un d’extrêmement brillant,
c’est un excellent communicant, un très bon politique, mais il est
personnellement totalement indifférent
aux enjeux écologiques. Il avait simplement tout à perdre à poursuivre
un projet aussi mal ficelé, face à une opposition populaire réelle. Le
rapport de force se serait très fortement accentué si le projet avait
été maintenu.
“Macron avait simplement tout à perdre à poursuivre un projet aussi mal ficelé, face à une opposition populaire réelle”
C’est un choix contraint, mais au terme d’une vraie analyse politique
et d’une intelligence politique stratégique. Je crains malheureusement
que le climat n'a pas été pris en compte dans cette décision. Dans le
discours d’Edouard Philippe, qui est au demeurant pondéré et mesuré, il
continue à parler de croissance, de développement du trafic aérien, de
nécessité de développer des infrastructures… Je ne sais même pas s’il
emploie le mot “climat”. Il n’utilise pas celui de “zone humide” en tout
cas. C’est encore très loin de leur culture. Ils sont arrivés à cette
situation parce qu’il y a eu une résistance populaire très forte, et que
l'expertise des dossiers plaidait clairement en faveur des opposants.
Quelles leçons devront tirer les responsables politiques par rapport aux “grands projets inutiles” de manière générale ?
Dans l’idéal ces responsables devraient mettre la question écologique
au cœur de leurs préoccupations. Cela implique un changement du système
économique. Il faut réduire les inégalités profondes dans lesquelles la
France est engagée. Malheureusement ils ne le veulent pas. Macron vient
de la finance, son gouvernement a fait un budget et des réformes à
l’avantage des riches. C’est contradictoire avec la nécessité de changer
l’économie pour aller vers une société plus juste, où tout le monde
trouve sa place, et qui respecte l’environnement. Dans un monde idéal
ils changeraient de fusil d’épaule. Dans la réalité il faut qu’il y ait
des luttes vigoureuses, pacifiques, coopératives pour faire évoluer la
politique.
Édouard Philippe laisse jusqu’au printemps prochain aux
occupants pour partir. Selon vous que doit devenir la ZAD ? Doit-elle
s’enraciner ou disparaître ?
On va lui trouver un autre nom. On pourrait dire que c’est une “zone à
imaginer”, une “ZAI”. On pourrait regarder ce qu’ont dit José Bové et
Matthieu Orphelin [respectivement eurodéputé écologiste et député La République en Marche du Maine-et-Loire, ils ont signé une tribune commune, ndlr].
Écouter aussi ce que dit le mouvement, qui comprend des paysans, des
habitants de la ZAD, et qui ont un regard pertinent sur ce qu’ils font.
C’est un endroit où les naturalistes ont montré que l’agriculture se
développait en très bonne harmonie avec le respect de l’écosystème, qui
est remarquable. C’est une expérience qui se vit, qui est en œuvre.
Faisons leur confiance. Tentons de faire en sorte qu'il y ait un vrai
dialogue entre l’État et les gens qui vivent sur place, qui montrent
depuis des années qu’on peut faire des choses en accord avec les
paysans. Plutôt que de chercher à expulser, ça vaut le coup de suivre
l’intuition des uns et des autres, qui prouvent qu’on peut faire de ce
lieu une zone d’expérimentation, une “zone d’alternative démocratique”.
Voilà ! Une “ZAD”.
Notre-Dame-des-Landes, de Hervé Kempf, éd. Seuil, 10 euros, 160 p.
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