Par Gideon Levy | 20/12/2017 | Haaretz
Mardi dernier, les Forces de défense d’Israël [FDI] ont
abattu Hamed al-Masri, 15 ans, d’une balle dans la tête, blessant
grièvement l’adolescent de Salfit qui, par ailleurs, ne portait pas
d’arme. Vendredi, les militaires ont fait de même avec Mohammed Tamimi,
de Nabi Saleh, sans arme lui aussi, le blessant tout aussi grièvement à
la tête. Vendredi encore, les militaires ont tué – toujours d’une balle
dans la tête –Ibrahim Abu Thuraya, amputé des deux jambes. Et, le même jour, Ahed Tamimi était dans la cour de sa maison avec une amie et a giflé un soldat des Forces de défense d’Israël qui avait fait irruption chez elle.
Du coup, Israël est sorti de sa colère vasouilleuse : Mais comment
ose-t-elle ? Les trois victimes de cette fusillade barbare n’intéressent
pas les Israéliens et les médias ne prennent même pas la peine d’en
parler. Mais la gifle – et le coup de pied – d’Ahed Tamimi ont déclenché
une colère furieuse. Comment peut-on oser gifler un soldat des FDI ?
Un soldat dont les amis [soldats israéliens] giflent, tabassent,
kidnappent et – bien sûr – abattent presque quotidiennement des
Palestiniens ?
Vraiment, elle a tous les toupets, la Tamimi. Elle a violé les
règles. Gifler n’est permis que de la part des soldats. C’est elle, la
véritable provocation, et non pas le soldat qui a fait irruption dans sa
maison. Elle, qui a eu trois proches parents tués par l’occupation,
elle dont les parents ont été arrêtés d’innombrables fois et dont le
père a été condamné à quatre mois de prison pour avoir participé à une
manifestation à l’entrée d’une épicerie – et c’est elle qui a osé
résister à un soldat !
Voilà le culot des Palestiniens. Tamimi était
censée tomber amoureuse du soldat qui avait forcé la porte de sa maison
et, ingrate qu’elle a été, elle l’a récompensé d’une gifle. Tout cela, à
cause de « l’incitation à la violence ». Sans quoi, elle n’aurait certainement pas manifesté cette haine à l’égard de son conquérant.
Mais cette pulsion de revanche à l’égard de Tamimi a d’autres sources (Le ministre de l’Éducation, Naftali Bennett a déclaré : « Elle devrait finir ses jours en prison. »).
La fille de Nabi Saleh a fait éclater plusieurs mythes chers
aux Israéliens. Le pire de tout, elle a osé détériorer le mythe
israélien de la masculinité. Brusquement, il se fait que le soldat
héroïque, qui veille sur nous jour et nuit avec audace et courage [?],
se fait vilainement contrer par une fille aux mains nues. Que va-t-il
advenir de notre machisme, si Tamimi le met en pièces si facilement, et
de notre testostérone ?
Tout d’un coup, les Israéliens ont vu l’ennemi cruel et dangereux
auquel ils sont confrontés : une gamine bouclée de 16 ans. Toute la
diabolisation et la déshumanisation des médias flagorneurs ont volé en
éclats d’un seul coup en étant brusquement confrontées à une gamine
vêtue d’un sweater bleu.
Les Israéliens ont perdu la tête. Ce n’est pas ce qu’on leur a
raconté. Ils sont habitués à entendre parler de terroristes et de
terrorisme et de comportement criminel. Il est difficile d’accuser Ahed
Tamimi de tout cela ; elle n’avait même pas de ciseaux en main. Où est
la cruauté des Palestiniens ? Où est le danger ? Où est le mal ? On en
perdrait la tête. Brusquement, toutes les cartes ont été rebattues :
Pendant un rare instant, l’ennemi avait l’air si humain. Bien sûr, on
peut compter sur la machine israélienne de propagande et de lavage de
cerveau, si efficace, pour assassiner sans attendre le personnage
de Tamimi. Elle aussi se verra coller l’étiquette de terroriste née pour
tuer ; on dira alors qu’elle n’avait pas de motifs justifiables et
qu’il n’y a pas de contexte pour expliquer son comportement.
Ahed Tamimi est une héroïne, une héroïne palestinienne. Elle est
parvenue à rendre dingues les Israéliens. Que diront les correspondants
militaires, les incitateurs de droite et les experts de la sécurité ?
Quelle est l’efficience de 8200, Oketz, Duvdevan, Kfir et toutes ces
autres unités spéciales si, à la fin de la journée, les Forces de défense d’Israël sont
confrontées à une population civile désemparée, fatiguée de
l’occupation et incarnée par une jeune fille portant un keffieh sur
l’épaule ?
Si seulement il y en avait bien davantage comme elle ! Peut-être des
filles comme elle seraient-elles en mesure de secouer les Israéliens.
Peut-être l’intifada des gifles réussira-t-elle là où toutes les autres
méthodes de résistance, violente ou non violente, ont échoué.
Dans l’intervalle, Israël a réagi de la seule façon qu’il connaît :
un enlèvement nocturne de son domicile et son arrestation ainsi que
celle de sa mère. Mais, dans le fond de son cœur, tout Israélien décent
sait sans doute non seulement qui a raison ou qui n’a pas raison, mais
aussi qui est fort et qui est faible. Le soldat armé de pied en cap qui
fait irruption dans une maison qui ne lui appartient pas, ou la gamine
sans armes qui défend sa maison et son honneur perdu à mains nues, par
une gifle ?
Publié le 20/12/2017 sur Haaretz sous le titre : A Girl’s Chutzpah: Three Reasons a Palestinian Teenage Girl Is Driving Israel Insane.
Traduction : Jean-Marie Flémal
Gideon Levy, est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du quotidien Haaretz.
Traduction : Jean-Marie Flémal
Gideon Levy, est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du quotidien Haaretz.
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