Le Conseil constitutionnel a donné raison, vendredi 6 juillet, à ceux
qui viennent en aide aux immigrés illégaux en donnant au terme
« fraternité » une valeur constitutionnelle et en demandant au Parlement
d'en tirer les conséquences dans la législation.
Si le gouvernement estime que cette décision est compatible avec la
position défendue par la majorité dans le cadre du projet de loi asile
et immigration, des députés Les Républicains n'ont pas tardé à dénoncer
de dangereuses « dérives jurisprudentielles ».
« Cette décision revient ainsi à condamner la politique
d’intimidation et de répression des aidants solidaires que subissent
quotidiennement à Calais, à la Roya ou dans le Briançonnais celles et
ceux qui apportent leur aide désintéressée aux personnes migrantes », se félicite un collectif d'associations, dont le Gisti, dans un communiqué commun (publié dans le Club de Mediapart).
Les « Sages » ont été saisis le 11 mai par la Cour de cassation d'une
question prioritaire de constitutionnalité présentée par l'agriculteur
Cédric Herrou, condamné à quatre mois de prison avec sursis par la cour
d'appel d'Aix-en-Provence en août 2017 pour avoir transporté des
migrants de la frontière italienne jusqu'à chez lui et organisé un camp
d'accueil.
De nombreux migrants tentent de passer d'Italie en France par les
Alpes et certains d'entre eux y ont trouvé la mort. Trois autres
plaignants, dont le chercheur Pierre-Alain Mannoni condamné à deux mois
de prison avec sursis à Nice, et une douzaine d'associations d'aide aux
migrants, dont la Cimade, se sont joints à la requête.
Selon le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit
d'asile, l'aide à « l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers,
d'un étranger en France » est passible d'un emprisonnement de cinq ans
et d'une amende de 30 000 euros. L'immunité pénale est toutefois
accordée à toute personne physique ou morale ayant apporté une telle
aide à un étranger lorsque cet acte « n'a donné lieu à aucune
contrepartie ».
Pour les avocats des plaignants, ces dispositions violent le principe
de « fraternité » inscrit dans la devise française parce que l'immunité
ne s'étend pas explicitement aux étrangers en situation irrégulière sur
le territoire français.
Le Conseil constitutionnel a estimé vendredi que la devise française s'appliquait de manière globale. « Il
découle de ce principe la liberté d’aider autrui, dans un but
humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le
territoire national », peut-on lire dans un communiqué qui précise : « Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a jugé que la fraternité est un principe à valeurLe Conseil censure donc les mots « au séjour irrégulier » dans l'article 1er du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile parce qu'en réprimant toute aide, « le
législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre le
principe de fraternité et l’objectif de valeur constitutionnelle ».
Cette décision, ajoutent les « Sages », ne change toutefois rien au fait que « l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public ». Le Conseil juge donc « qu'il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l'ordre public », précisant que « l'exemption
ne doit pas nécessairement être étendue à l'aide à l'entrée
irrégulière, qui, à la différence de l'aide au séjour ou à la
circulation, fait naître par principe une situation illicite ».
Pour donner au Parlement le temps de modifier la législation sans
encourager l'aide à l'entrée irrégulière sur le territoire français, le
Conseil reporte au 1er décembre 2018 la date de l'abrogation
des mots « au séjour irrégulier » dans le code de l'entrée et du séjour
des étrangers et du droit d'asile.
Le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, a assuré dans un
communiqué que cette décision confortait la position prise par le
gouvernement lors de l'examen du projet de loi asile et immigration,
encore en cours au Parlement. La majorité a en effet porté un amendement
visant à élargir le champ de l’exemption pénale existante, justifiée
par un motif humanitaire, à l’aide à la circulation sur le territoire
dans un but purement humanitaire et pour peu qu'elle ne fasse pas
obstacle à l’application de la loi.
Opposé à cette disposition, le Sénat – où la droite est majoritaire – l'a supprimée (lire notre compte-rendu des débats) et Gérard Collomb souhaite qu'elle soit rétablie en seconde lecture. Le parti Les Républicains voit des « problèmes majeurs » dans la décision du Conseil constitutionnel.
Pour Guillaume Larrivé et Éric Ciotti, « c’est une victoire idéologique pour ceux qui considèrent que l’immigration illégale est légitime » et « un
encouragement politique pour ceux qui pensent que la République
française n’a pas le droit de prendre des mesures énergiques afin de
protéger les frontières ».
« Cette décision, de plus, illustre une nouvelle fois les dérives
jurisprudentielles qui sont celles du Conseil constitutionnel », disent-ils dans un communiqué. « Le moment est venu de mettre un terme à ces dérives »,
ajoutent-ils en annonçant le dépôt d'un amendement au projet de
révision de la Constitution qui sera débattu la semaine prochaine à
l’Assemblée nationale. Cet amendement prévoit que la majorité des
députés et sénateurs puissent confirmer une disposition déclarée
anticonstitutionnelle par les Sages ou jugée illégale par une
juridiction française ou européenne.
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