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dimanche 8 juillet 2018

Le Conseil constitutionnel consacre un principe de «fraternité»














Cédric Herrou, lors de son procès en appel le 19 juin 2017. © LF
Cédric Herrou, lors de son procès en appel le 19 juin 2017. © LF
Par La rédaction de Mediapart avec Reuters

Le Conseil constitutionnel a donné raison, vendredi 6 juillet, à ceux qui viennent en aide aux immigrés illégaux en donnant au terme « fraternité » une valeur constitutionnelle et en demandant au Parlement d'en tirer les conséquences dans la législation.
Si le gouvernement estime que cette décision est compatible avec la position défendue par la majorité dans le cadre du projet de loi asile et immigration, des députés Les Républicains n'ont pas tardé à dénoncer de dangereuses « dérives jurisprudentielles ».
« Cette décision revient ainsi à condamner la politique d’intimidation et de répression des aidants solidaires que subissent quotidiennement à Calais, à la Roya ou dans le Briançonnais celles et ceux qui apportent leur aide désintéressée aux personnes migrantes », se félicite un collectif d'associations, dont le Gisti, dans un communiqué commun (publié dans le Club de Mediapart).
Les « Sages » ont été saisis le 11 mai par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée par l'agriculteur Cédric Herrou, condamné à quatre mois de prison avec sursis par la cour d'appel d'Aix-en-Provence en août 2017 pour avoir transporté des migrants de la frontière italienne jusqu'à chez lui et organisé un camp d'accueil.
De nombreux migrants tentent de passer d'Italie en France par les Alpes et certains d'entre eux y ont trouvé la mort. Trois autres plaignants, dont le chercheur Pierre-Alain Mannoni condamné à deux mois de prison avec sursis à Nice, et une douzaine d'associations d'aide aux migrants, dont la Cimade, se sont joints à la requête.
Selon le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'aide à « l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France » est passible d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 euros. L'immunité pénale est toutefois accordée à toute personne physique ou morale ayant apporté une telle aide à un étranger lorsque cet acte « n'a donné lieu à aucune contrepartie ».
Pour les avocats des plaignants, ces dispositions violent le principe de « fraternité » inscrit dans la devise française parce que l'immunité ne s'étend pas explicitement aux étrangers en situation irrégulière sur le territoire français.

Le Conseil constitutionnel a estimé vendredi que la devise française s'appliquait de manière globale. « Il découle de ce principe la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national », peut-on lire dans un communiqué qui précise : « Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a jugé que la fraternité est un principe à valeurLe Conseil censure donc les mots « au séjour irrégulier » dans l'article 1er du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile parce qu'en réprimant toute aide, « le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l’objectif de valeur constitutionnelle ».

Cette décision, ajoutent les « Sages », ne change toutefois rien au fait que « l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public ». Le Conseil juge donc « qu'il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l'ordre public », précisant que « l'exemption ne doit pas nécessairement être étendue à l'aide à l'entrée irrégulière, qui, à la différence de l'aide au séjour ou à la circulation, fait naître par principe une situation illicite ».
Pour donner au Parlement le temps de modifier la législation sans encourager l'aide à l'entrée irrégulière sur le territoire français, le Conseil reporte au 1er décembre 2018 la date de l'abrogation des mots « au séjour irrégulier » dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, a assuré dans un communiqué que cette décision confortait la position prise par le gouvernement lors de l'examen du projet de loi asile et immigration, encore en cours au Parlement. La majorité a en effet porté un amendement visant à élargir le champ de l’exemption pénale existante, justifiée par un motif humanitaire, à l’aide à la circulation sur le territoire dans un but purement humanitaire et pour peu qu'elle ne fasse pas obstacle à l’application de la loi.
Opposé à cette disposition, le Sénat – où la droite est majoritaire – l'a supprimée (lire notre compte-rendu des débats) et Gérard Collomb souhaite qu'elle soit rétablie en seconde lecture. Le parti Les Républicains voit des « problèmes majeurs » dans la décision du Conseil constitutionnel.
Pour Guillaume Larrivé et Éric Ciotti, « c’est une victoire idéologique pour ceux qui considèrent que l’immigration illégale est légitime » et « un encouragement politique pour ceux qui pensent que la République française n’a pas le droit de prendre des mesures énergiques afin de protéger les frontières ».
« Cette décision, de plus, illustre une nouvelle fois les dérives jurisprudentielles qui sont celles du Conseil constitutionnel », disent-ils dans un communiqué. « Le moment est venu de mettre un terme à ces dérives », ajoutent-ils en annonçant le dépôt d'un amendement au projet de révision de la Constitution qui sera débattu la semaine prochaine à l’Assemblée nationale. Cet amendement prévoit que la majorité des députés et sénateurs puissent confirmer une disposition déclarée anticonstitutionnelle par les Sages ou jugée illégale par une juridiction française ou européenne.


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