Une centaine de mineurs étrangers, pris
en charge par le département des Bouches-du-Rhône, sont logés depuis
plusieurs mois dans des hôtels bon marché, faute de place en foyer.
Censée être provisoire, cette solution s’installe, alors qu’un Malien de
15 ans a tenté début août de se suicider en sautant du 4e étage de son hôtel à Marseille.
Cours de mathématiques au local du collectif Al Manba à Marseille, septembre 2018. © LF
Arrivé début 2018 par les cols enneigés derrière Briançon (Hautes-Alpes), l’adolescent a vécu le parcours du combattant des mineurs étrangers non accompagnés. Après l’évaluation de son âge, il est passé par un foyer à Gap (Hautes-Alpes), puis a été envoyé à Marseille pour être pris en charge par le département des Bouches-du-Rhône avec une ordonnance de placement provisoire (OPP) de la justice.
Un éducateur se souvient l’avoir accueilli à la gare Saint-Charles. « Il était discret et réservé, ne parlait pas très bien le français, dit-il sous couvert d’anonymat. Après, il a fait le circuit comme les autres, on se les renvoyait entre le commissariat, la Dimef et l’Addap 13 [les deux structures chargées de la prise en charge des mineurs par le département des Bouches-du-Rhône – ndlr]. Il a fait partie cet hiver des gamins gazés devant le commissariat de Noailles et à qui les policiers ont envoyé les chiens. »
Moussa*, 16 ans et lui aussi malien, a rencontré Adama à l’hôtel Sainte-Marie, à son arrivée à Marseille, fin avril 2018. « Comme tout le monde, il voulait quitter l’hôtel, il voulait un foyer ou un appartement pour continuer les études », explique-t-il. Depuis son arrivée, Moussa en est à son « 4e ou 5e hôtel ». « On n’a plus d’espoir », dit le jeune homme, hébergé près de la Joliette.
Soigné pour une maladie infectieuse, Adama était, selon ses amis, très angoissé par les prises de sang qu’impliquait son suivi médical. La veille de sa chute, selon Moussa, « les éducateurs l’ont appelé pour qu’il aille faire une prise de sang et il a refusé, alors ils sont venus et lui ont dit que ce serait pour le lendemain ». « Quand j’ai pu le voir, en août à l’hôpital de la Timone après sa chute, la première chose qu’il m’ait dite, c’est : “On me prend mon sang”, se souvient Muriel. Cela l’obsédait, il s’imaginait plein de choses. » « Dans leur tête, les prises de sang sont liées au trafic d'organes », explique Anne Gautier, militante au Réseau éducation sans frontières (RESF) (lire sa tribune sur les maltraitances départementales).
Adama, un jeune Ivoirien de 16 ans, avait rencontré son homonyme malien, dans un foyer à Gap, puis l’avait retrouvé à Marseille. Les deux amis avaient l’habitude d’aller à la plage des Catalans, la plus proche du centre-ville, et de jouer au football au stade Vallier. « C’est un gars super cool, décrit-il. Chaque fois, c’est lui qui allait embêter l’Addap 13 pour avoir des tickets. S’il n’en avait pas, il revenait toute la journée. » Il y a des tickets pour tout, pour laver le linge, manger ou se faire couper les cheveux. « Depuis que nous sommes arrivés, on ne vit que de tickets », soupire Adama.
Après cette chute, plusieurs jeunes étrangers ont manifesté à deux reprises en août devant le conseil départemental afin d’avoir des nouvelles de leur ami, que certains pensaient mort, et dénoncer leurs conditions de vie. « Rien n’a changé depuis, nous sommes toujours en hôtel », soupire Abdulaye, 15 ans, installé dans le canapé défraîchi d’un hôtel du cours Lieutaud. Compréhensive, la jeune gérante de l’hôtel, elle-même immigrée d’Arménie voilà six ans, leur donne accès au petit salon du rez-de-chaussée.
Certains ont pu effectuer, début septembre, leur rentrée scolaire en collège ou lycée professionnel, mais d’autres, pourtant parfois arrivés plus tôt, ne sont toujours pas scolarisés. Les jeunes disent ne voir qu’en coup de vent des éducateurs débordés, dont ils ne connaissent pas toujours les prénoms. « Ils sont désespérés, certains sont là depuis plusieurs mois sans suivi éducatif », confirme un éducateur sous couvert d’anonymat, qui ajoute que le dispositif départemental est « complètement saturé ».
Les départements sont censés mettre à l’abri tous les jeunes se présentant comme mineurs jusqu’à leur évaluation. Puis ils doivent prendre en charge ceux reconnus comme mineurs non accompagnés (MNA) par la justice. Les jeunes sont alors normalement hébergés, selon leur degré d’autonomie, dans des maisons d’enfants à caractère social (MECS) ou dans des appartements partagés, dans le cadre d'un projet éducatif personnalisé.
Lors de l'occupation de l’église Saint-Ferréol, à Marseille, fin novembre 2017. © LF
En 2017, le nombre de mineurs migrants confiés aux départements
français a augmenté de 85 % pour dépasser 25 000 mineurs pris en charge
contre 4 000 en 2010. La plupart viennent d’Afrique, en particulier
d’Afrique de l’Ouest francophone.L’État a débloqué en juillet une aide exceptionnelle de 96 millions d’euros pour les départements qui avaient accueilli plus de jeunes en 2017 qu’en 2016. Les Bouches-du-Rhône, qui ont accueilli 263 jeunes supplémentaires en 2017, doivent ainsi toucher 3,1 millions d’euros, soit 12 000 euros par jeune supplémentaire.
«Leur maman leur manque»
À Marseille, l’hiver dernier, des centaines de jeunes se sont retrouvés à la rue. À la suite de plusieurs condamnations en justice, le département des Bouches-du-Rhône semble avoir pris le parti de les loger dans des hôtels avec « un certain niveau de service – étage réservé, présence physique H24, vidéosurveillance si possible », selon David Le Monnier, chef de service à l’Addap 13. Sur 130 jeunes hébergés par l’Addap 13, « environ une soixantaine » le sont dans des hôtels à Marseille et alentour.« Ce n’est pas le standard habituel de la protection de l’enfance, reconnaît David Le Monnier. On cherche des modalités nouvelles pour voir comment on peut faire de l’accompagnement éducatif à partir d’un hôtel. On fait un pas de côté pour répondre à une première nécessité, les héberger le plus rapidement possible, afin ensuite de les amener à la scolarisation, de réfléchir à un emploi. L’enjeu du travail éducatif, c’est la régularisation après 18 ans. Donc la priorité, c’est l’autonomie, une formation qualifiante ou un emploi. »
À l’origine association de prévention spécialisée œuvrant surtout dans les quartiers Nord avec des éducateurs de rue, l’Addap 13 a dû s’adapter. En deux ans, son service MNA est passé de six travailleurs sociaux à une trentaine. « Cela ne va pas assez vite, on court toujours pour se mettre à niveau », dit David Le Monnier. Venue en renfort, la Direction des maisons de l’enfance et de la famille (Dimef), un service départemental dédié à l’accueil des mineurs en urgence absolue, a quant à elle en charge environ 70 mineurs étrangers, mais ne nous a pas répondu sur le nombre de jeunes hébergés en hôtel.
Peut-on imaginer que ces adolescents, déjà à bout, passent toute l’année scolaire à l’hôtel ? « Pour proposer une réorientation, il faut que des places se libèrent, indique David Le Monnier. C’est un dilemme permanent dès qu’on a une place : comment faire pour que cette place soit occupée par la personne la plus vulnérable dans un contexte général de très grande vulnérabilité. »
Tout l’été, des jeunes avec des OPP sont arrivés de Toulouse, Grenoble, Gap ou Mâcon, selon une clef de répartition nationale, contestée pour sa « logique purement administrative ». « Cela part d’un principe d’équité territoriale qui est légitime, estime le directeur de service. Mais on voit arriver, sans aucune préparation, ni place vacante, des jeunes gens qui étaient déjà installés, scolarisés dans d’autres départements. »
Un des tickets remis par les éducateurs pour manger dans un snack, septembre 2018. © LF
Certains
n’ont jamais choisi de quitter leur pays, mais ont été emmenés par un
aîné dont ils ont été séparés au cours du voyage, dans le désert ou à
l’arrivée en Libye. Souvent ce sont des problèmes familiaux d’héritage,
de menaces, après la mort d’un parent, qui sont à l’origine du départ. « C’est effarant de n’avoir à ce point pas le contrôle sur sa vie, souligne Laura, 30 ans, une bénévole intervenante musicale à la batucada. Ils cherchent à avoir un éducateur avec un grand E. On oublie que ce sont des adolescents avant d’être des étrangers : leur maman leur manque, ils ont envie de pleurer, ils font des cauchemars. Ils sont très complexés par rapport aux autres jeunes, ont le sentiment d’être des enfants au rabais. »
Plusieurs portent des cicatrices des tortures subies en Libye, mais de cela, comme de la traversée de la Méditerranée, ils évitent de parler entre eux. « On ne demande pas, car tout le monde sait comme c’est dur », dit Jean-Joël, 16 ans, Ivoirien.
Pour ceux qui ne sont pas scolarisés, les journées à l’hôtel sont longues. Les jeunes se rendent visite, font le siège de l’Addap 13 pour tenter d’obtenir, qui une paire de chaussures ou une brosse à dents, qui une carte de transport, qui une scolarisation. Ils mangent au kebab du coin ou au snack de l’hôtel, où l’ordinaire de pâtes, frites, et sandwichs semble peu adapté à des adolescents.
Le 11 juillet, trois jeunes à la rue en train de discuter devant un local de l’Addap 13, dans le centre-ville, ont été agressés par un motard armé d’un couteau. Drissa, un jeune Ivoirien de 16 ans, a reçu une vingtaine de points de suture sur le bras, un autre jeune a été encore plus grièvement touché à la main. « Il nous a dit de ne pas regarder sa copine, puis il a sorti un couteau du coffre de la moto », explique-t-il. Depuis, Drissa a revu leur agresseur plusieurs fois près de son hôtel et il est inquiet.
La cicatrice de Drissa, après son agression en juillet. Il est soigné par un kiné. © LF
«Ces jeunes, ce n’est que du bonus»
Autour des mineurs étrangers s’est tissé un réseau de militants marseillais, soudé par l’occupation, en novembre 2017, de l’église Saint-Ferréol, sur le Vieux-Port. À la suite de cette action, le département a ouvert un hébergement temporaire dans le quartier Belsunce, permettant de mettre à l’abri jusqu’à 75 mineurs. Une trentaine dorment toujours dans ce lieu, qui devrait être fermé.Certains militants et militantes ont hébergé les jeunes cet hiver. Ils ont monté une batucada nommée « Mulêketú » et peuvent emmener les jeunes en vacances, avec l’autorisation de la justice. Stéphane et sa compagne, parents marseillais de deux jeunes enfants, ont accueilli chez eux pendant cinq mois Aboubakar, un jeune Guinéen de 17 ans passé par la rue, avec lequel ils ont noué des liens forts.
Tee-shirt de super héros sur le dos, Stéphane, ingénieur et chansonnier de 45 ans, réfute pourtant toute « générosité ». « C’est le même discours que le FN de dire qu'on est bien sympas de les accueillir, estime-t-il. En réalité, ces jeunes, ce n’est que du bonus. Ils arrivent à 16 ans, pleins d’énergie et de bonne volonté, ils sont structurés, connaissent leurs racines, leur identité, et ils ne coûtent rien. Il n’y a qu’en les mélangeant vraiment à la population que ça marchera. »
Aboubakar est désormais hébergé dans un appartement du 10e arrondissement avec deux jeunes Maliens et un Ivoirien. Il commence une formation en alternance en logistique et travaille dans les entrepôts d’une brasserie artisanale marseillaise. Passé par la rue, puis divers hébergements provisoires, le jeune homme a toujours de gros moments de blues. Sa mère lui manque. Le racisme lui pèse.
« Dans la rue, certains te provoquent, te poussent, te regardent bizarrement. On nous parle comme à des esclaves, comme ce qui s’est passé en Libye. Quand je suis avec la famille ou à la batucada, je me sens à l’aise, mais parfois, je suis comme gelé, je ne sais plus quoi faire et je ne peux même pas en discuter avec ma maman. »
Sur les murs du collectif Al Manba, dans le 1er arrondissement de Marseille, septembre 2018.
Au local du collectif Al Manba, dans le 1er
arrondissement, des bénévoles tiennent tous les jeudis une permanence
juridique destinée aux mineurs, en lien avec des avocates. Bangali, un
jeune Ivoirien de 14 ans, tend une fiche de vie scolaire. Son école lui
réclame des papiers qu’il n’a pas, explique-t-il. La veille, une
éducatrice, dont il ne connaît pas le prénom, devait l’accompagner pour
se rendre à une unité d’apprentissage intensif du français, mais elle
n’était pas au rendez-vous.Faut-il aller réclamer les papiers à l’Addap 13 le lendemain et manquer une journée de cours ou se rendre à l’école sans les papiers ? Arrivé de Mâcon (Saône-et-Loire) début août, l’adolescent, qui arbore un tee-shirt « I am a super hero », est hébergé avec 14 autres jeunes dans un hôtel près de la place Castellane. Il y a jusqu’à quatre lits superposés par pièce, sans aucune intimité.
« Je veux le foyer, répète-t-il en boucle. On ne peut pas rester à l’hôtel. Même le sac à dos n’est pas à moi, on me l’a prêté. » « On va à l’école, mais comment on fait les devoirs ? Il n’y a pas de table », renchérit son camarade ivoirien, un « grand » de 15 ans qui vit dans le même hôtel et s’appelle également Bangaly. Désarmée, la bénévole promet d’appeler l’Addap 13 et peste : « Quand on essaie de les joindre, les éducateurs ne répondent pas. »
Faute d’éducateurs en nombre suffisant, ce sont bien souvent les militants qui se démènent pour leur trouver un hébergeur solidaire, un téléphone portable, les accompagner au centre d’information et d’orientation (CIO, appelés à disparaître), à l’inspection académique pour accélérer leur scolarisation, ou pour trouver des stages. « Contre notre volonté, nous faisons le travail du département », regrette Muriel.
« Leur préoccupation principale est d’aller à l’école, mais tout est d’une lenteur extrême, les mois passent et on a l’impression qu’ils font traîner pour attendre leurs 18 ans », dit une autre bénévole, qui préfère rester anonyme. L’enjeu est de taille : pour pouvoir prétendre à un titre de séjour à leur majorité, les jeunes doivent pouvoir justifier d’une formation professionnelle qualifiante d’au moins six mois.
De son côté, David Le Monnier se dit favorable à ces initiatives de « bonne volonté » si elles se font en « intelligence » avec le travail engagé par les éducateurs. « Parfois, cela perturbe, dit-il. Par exemple, on fait une demande d’autorisation de travail pour un mineur et la Direccte [direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi – ndlr] refuse, car une demande a déjà été faite pour le même jeune dans un métier différent. »
Jean-Joël, 16 ans, cours Belsunce à Marseille, septembre 2018. © LF
Il
n’empêche que c’est grâce aux démarches des militants que plusieurs des
jeunes ont effectué des stages cet été. Écouteurs sur le cou, Bacary,
17 ans, montre le chapeau de paille sur mesure qu’il a moulé tout seul
lors de son stage chez une chapelière de la Canebière. Arrivé en mars
2018 de Rodez, Bacary vient seulement d’être scolarisé et suit une
formation aux métiers de la mode dans un lycée professionnel des
quartiers Nord. Jean-Joël, 16 ans, a passé, lui, le mois d’août chez un
boulanger pâtissier marseillais. Il suit désormais une formation
d’orthoprothésiste dans un lycée professionnel éloigné du centre-ville,
mais faute de carte, il ne peut manger à la cantine le midi.
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* Le prénom a été modifié.
Contacté, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône présidé par Martine Vassal (LR), ainsi que la Dimef, n'ont pas donné suite à nos demandes d'entretien.
Contacté, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône présidé par Martine Vassal (LR), ainsi que la Dimef, n'ont pas donné suite à nos demandes d'entretien.
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