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mardi 5 février 2019

Gilets jaunes: contre les violences policières, une trentaine de blessés ouvrent le cortège parisien

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Acte XII, pour le douzième samedi. Les « gilets jaunes » se sont à nouveau mobilisés dans plusieurs villes de France. À Paris, une marche blanche était dédiée aux manifestants blessés, avec pour revendication l’interdiction des armes type LBD (lanceur de balle de défense) et grenades, à l’origine des mutilations des victimes.  
« Qu’est-ce qui justifie d’arracher des mains, d’éborgner des personnes, de fracturer leurs mâchoires ? Aujourd’hui, manifester n’est plus un droit respecté en France », dénonce Antonio Barbetta, 40 ans, un des principaux organisateurs avec d’autres victimes de tirs policiers de la marche blanche, qui défile pacifiquement dans les rues de Paris, ce samedi 2 février. 
Marche blanche – gilets jaunes - Samedi 2 février - Paris © Pascale Pascariello Marche blanche – gilets jaunes - Samedi 2 février - Paris © Pascale Pascariello

Il est 10 heures, place Felix-Éboué dans le XIIe arrondissement de Paris, après trois semaines de préparation, Antonio a convaincu près de trente personnes blessées au cours des manifestations des gilets jaunes de se retrouver à Paris pour ouvrir le cortège de l’acte XII de la mobilisation. 
Vingt-huit blessés doivent arriver, de Bordeaux, Montpellier… et d’autres villes de France. « Ça n’a pas été simple pour eux d’accepter parce que la plupart des mutilés sont traumatisés. Moi-même, je ne supporte plus le moindre bruit. Une porte qui claque me fait sursauter et je revois toujours le moment où la grenade est venue taper mon pied », explique Antonio. C’était le 24 novembre dernier. Venu à Paris pour manifester, cet intérimaire de Pimprez, près de Compiègne, a reçu une grenade GLI-F4, à charge explosive, composée de TNT, qui lui a arraché les ligaments. Plus de deux mois après, la blessure nécessite encore des soins quotidiens et il s’est vu prolonger son arrêt d’un mois, par l’orthopédiste qui le suit. 
« Dans le constat médico-légal, le médecin certifie que ma blessure a été causée par une grenade. Le gouvernement ne peut nier cette réalité : les armes utilisées par la police française sont létales. Elles blessent, mutilent et tuent parfois, comme ce fut le cas de Rémi Fraisse [qui manifestait en 2014 contre le barrage de Sivens – ndlr]. C’est pourquoi, nous organisons cette marche aujourd’hui en hommage aux blessés et pour que soit interdit l’usage des grenades et des lanceurs de balles de défense (LBD). Nous souhaitons également que justice soit faite. Depuis le début du mouvement, aucun policier n’a été mis en garde à vue ou poursuivi pour avoir arraché une main ou éborgné un manifestant », explique Antonio.  
Selon le décompte réalisé par David Dufresne, journaliste, spécialiste des questions du maintien de l’ordre, et mis en ligne sur Mediapart, une personne est décédée, 168 ont été blessées à la tête, quatre ont perdu une main, dix-sept sont éborgnées, depuis le début du mouvement.  
Plusieurs collectifs qui luttent contre les violences policières participent à la marche de ce samedi. Parmi lesquels Désarmons-les !, créé en 2014 et qui réclame également l’interdiction des LBD et des grenades à l’origine de graves blessures et le Comité Adama, emmené par Assa Traoré qui milite pour connaître la vérité sur la mort de son frère Adama Traoré, décédé à 24 ans, le 19 juillet 2016, dans les locaux de la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise), à la suite d’une interpellation par des gendarmes. Robin Pagès dont le pied a été mutilé le 15 août 2017 par une grenade GLI-F4 lors d’une manifestation à Bure (Meuse), contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires, est également présent. 
En fauteuil roulant qu’il échange parfois avec Antonio, se soulageant des béquilles, Robin est en tête de cortège, aux côtés de la trentaine de gilets jaunes blessés. Ils ouvrent une marche difficile à faire pour certains d’entre eux et très encadrée, afin de les protéger et d’éviter tout heurt. 
« Il est nécessaire que les victimes des tirs policiers se fassent entendre et montrent comment la France traite ses citoyens. Nous sommes mutilés à vie. C’est une catastrophe humaine et un traumatisme au sein des familles, raconte Robin. Je sais que je ne pourrai plus jouer au foot avec mes enfants qui ont 10 et 5 ans. J’ai été blessé il y a 16 mois et ma fracture n’est toujours pas consolidée. Je dois subir encore deux greffes osseuses dans quatre jours. » 
Marche blanche – gilets jaunes - Samedi 2 février - Paris © Pascale Pascariello Marche blanche – gilets jaunes - Samedi 2 février - Paris © Pascale Pascariello
 
Robin mène depuis un combat quotidien pour réinventer sa vie et penser à une reconversion professionnelle. « J’étais paysagiste mais je dois changer de profession sans savoir encore vers laquelle je vais pouvoir me tourner, étant handicapé à vie. Aujourd’hui, je suis au RSA, la situation est devenue très compliquée. »
« Laissez passer les blessés », scande le service de sécurité, mot d’ordre inhabituel pour une manifestation qui s’ouvre sur des personnes aux yeux bandés, ou en fauteuil roulant, ou en béquilles. Il est midi la marche vers la place de la Bastille démarre lentement.  

 Parmi les premiers, Antoine Boudinet, interviewé par Mediapart lors du live du 16 janvier. Ce jeune manifestant de 26 ans a eu la main droite arrachée par une grenade GLI-F4, le 8 décembre à Bordeaux et a déposé plainte contre le ministre de l’intérieur Christophe Castaner pour sa responsabilité dans « la mise à disposition » de cette arme aux forces de l’ordre.
« La décision rendue par le Conseil d’État refusant d’interdire l’usage des LBD et des grenades est regrettable. La police française est l’une des plus armées d’Europe et utilise des armes interdites ailleurs. Les policiers qui en font usage ne sont même pas formés pour cela. On va vers une escalade de la violence », s’inquiète Antoine. Sa mère va le rejoindre pour cette marche afin de veiller sur lui.
Il ne souhaite pas être vu comme « la gueule cassée », ou « celui qui a perdu sa main » : « On ne me voit plus comme Antoine mais comme le mec à la main arraché. C’est aussi cela la violence qu’on subit. Chaque blessé est devenu un symbole qui nous enlève toute notre individualité », regrette-t-il.

« Ça fait des années qu’on connaît cette situation dans les banlieues »

« Le droit de manifester est un droit inaliénable. Ce gouvernement tente de faire taire les manifestants par la répression et provoque colère et violence. C’est une escalade de la violence qui m’inquiète. Comment instaurer un débat si l’État canarde ses propres citoyens avec lesquels il est censé parler ? » À ses côtés, des gilets jaunes venus de banlieue parisienne acquiescent.
« J’ai travaillé dans des quartiers populaires et cela fait des années qu’ils subissent cette violence policière sans que les Français ne s’en soucient. On retrouve la précarité et la misère sociale que dénoncent les gilets jaunes et là encore le gouvernement veut stigmatiser ses opposants sous l’étiquette casseurs. Aujourd’hui, nous devons faire converger nos luttes pour que cessent ces violences », poursuit Antoine. 
Cyrille et Sébastien – gilets jaunes – Samedi 2 février - Paris © Pascale Pascariello Cyrille et Sébastien – gilets jaunes – Samedi 2 février - Paris © Pascale Pascariello
C’est ce que tente d’expliquer Sébastien, 32 ans, venu de Carrières-sur-Seine (Yvelines), à Cyrille, 43 ans, intérimaire chaudronnier, originaire de Montluçon : « Quand les médias et le gouvernement vous expliquaient que nous étions des casseurs pour justifier les tirs qu’ils faisaient sur nous ou pour faire oublier les bavures policières, vous l’acceptiez. Aujourd’hui, vous vous rendez compte qu’il s’agit d’une façon de légitimer la violence policière pour faire taire les Français les plus précaires, comme vous, qui osent se plaindre de leur situation économique et des décisions de l’État en faveur des plus riches. »   
Sébastien, cuisinier, participe au mouvement depuis le 17 novembre. « J’ai vu ma mère trimer avec six enfants pour s’en sortir. Ça fait des années qu’on connaît cette situation dans les banlieues. Et aujourd’hui, certains hésitent à rejoindre le mouvement de peur de devoir subir encore les violences policières. Forcement quand tu as une gueule de banlieusard, tu sais que tu seras le premier arrêté. »
Face à lui, Cyrille l’écoute et découvre une réalité qu’il ne percevait pas jusqu’à présent. « Avec ce que fait la police et le gouvernement aux gilets jaunes, c’est sûr que ça fait réfléchir désormais sur la façon dont on perçoit les banlieues. » Cyrille poursuit : « J’ai reçu un tir de lanceur de balle de défense dans la mâchoire, le 12 janvier. J’étais tranquille en train de quitter la manifestation lorsque j’ai reçu ce tir sans sommation, sans rien. »  
Il a dû interrompre sa mission d’intérimaire et est encore à l’arrêt pour deux mois. Sa femme étant au chômage, « avec trois enfants à charge de 18 à 7 ans, financièrement j’ai les deux pieds dans le ciment. Les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale sont minimes et très irrégulières. Mon frigo se vide sans que je ne sache comment je pourrais le remplir. Et je n’ose pas penser à la suite. » Ému, il s’interrompt. 
Cyrille, comme nombre de blessés, a déposé une plainte administrative : « Je n’ai pas beaucoup d’espoir sur l’IGPN [l’inspection générale de la police nationale, la police des polices – ndlr]. Il couvre les agissements de leurs collègues. Pour la plainte au pénal, j’ai lancé une cagnotte qui est à 700 euros, mais les frais d’avocat s’élèvent à 2 000 euros. Une autre galère. La priorité étant surtout de subvenir aux besoins de mes enfants, pour le reste on verra ».
Redoutant les gaz lacrymogènes, Cyrille a prévu de quitter la marche vers 14 h, « d’autant que je ne peux plus courir, j’ai perdu des kilos suite à ma blessure, ce qui m’a affaibli encore un peu plus ». 
« Les 116 enquêtes ouvertes par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) depuis le 17 novembre ont peu de chance d’aboutir », explique Maître Arié Alimi, avocat de plusieurs blessés, et présent lors de la marche. « L’IGPN a du mal à retrouver les policiers qui ont tiré faute de déclaration spontanée faite normalement par le policier lui-même ou ses collègues. C’est une obligation qui n’est pas respectée. »
C’est lui qui, en tant que membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme, avait, avec la CGT, déposé le 30 janvier des recours en urgence auprès des juges administratifs pour suspendre l’utilisation des lanceurs de balles de défense dans les prochaines manifestations. 
 « Le refus d’interdire ces armes était prévisible. Tout d’abord parce que cette juridiction administrative [le Conseil d’État – ndlr] protège majoritairement l’État. Ce sont des énarques qui préparent les lois, conseillent l’État et même si la section contentieux est relativement indépendante dans les textes, elle prend parti le plus souvent en faveur de l’État. La procédure d’urgence, avec des critères compliqués, rend difficile également l’obtention d’une décision positive. Et enfin, il faut noter que le Conseil d’État est très éloigné, sociologiquement, des gilets jaunes, des personnes qui sont blessées et mutilées », poursuit l’avocat avant de conclure : « Il faut bien se dire que la responsabilité de l’État, au niveau politique comme judiciaire, sera engagée dans les mutilations futures. » 
Concernant les réactions politiques, l’avocat les juge « misérables ». Il alerte sur le danger de la loi anti-casseurs votée cette semaine à l’Assemblée nationale. « Restreindre le droit de manifester et transformer un équilibre historique en France en donnant à l’exécutif le pouvoir de choisir ses opposants politiques dans la rue est un bouleversement complet. C’est un outil qui constitue une arme, qui en cas d’alternance politique, pourrait être utilisé par des gouvernants, aux mauvaises intentions et qui auraient une tentative autoritaire. En gros, Marion Maréchal-Le Pen pourrait l’utiliser pour ficher ses opposants politiques. »
Ce samedi, les manifestants étaient 13 800 à 15 h 45 selon le cabinet Occurrence, qui réalise un comptage indépendant pour un collectif des médias, auquel Mediapart participe (lire notre article à ce sujet). La préfecture de police de Paris annonce de son côté 10 500 manifestants. Le ministère de l’intérieur estime à 17 400 manifestants dans toute la France à 14 h. Ils étaient, selon l’AFP, 4 000 à Bordeaux et plus d’un millier à Montpellier.  Certains blessés n’ont pas souhaité participer à la marche. La violence policière exercée contre les manifestants en a dissuadé plus d’un. Rencontré la veille, lors d’une réunion organisée avec plusieurs blessés pour préparer cette journée, David, 31 ans, n’ira pas. « J’ai peur. J’ai reçu un tir de LBD le 1er décembre et je ne veux pas voir de policiers. Je veux protéger aussi ma compagne. J’ai peur également de mes réactions à l’égard des policiers. Ma vie est bousillée. J’ai perdu mon emploi et je suis obligé de tout vendre pour éviter de tomber à la rue. Je ne sais pas comment je pourrais réagir face à eux. L’État leur donne des ordres. Ils les appliquent sans se rendre compte des conséquences. Policiers contre manifestants, c’est criminel de diriger ainsi un pays. Ma colère est trop forte. »
 https://www.mediapart.fr/journal/france/020219/gilets-jaunes-contre...

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