Une femme ayant filmé la police risque deux ans de prison
(New York) – Les autorités marocaines
se servent d’une loi visant à prévenir l’usurpation de fonction pour
attaquer pénalement ceux qui tentent de dénoncer des violations des
droits humains, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
Dans la dernière affaire en date, Nezha Khalidi, affiliée au groupe d’activistes Equipe Media
à El-Ayoun, au Sahara occidental, sera jugée le 20 mai 2019, après
avoir été accusée de ne pas remplir les conditions requises pour
affirmer être journaliste. La police l’a arrêtée le 4 décembre 2018
alors qu’elle diffusait, en direct sur Facebook, une scène de rue au
Sahara occidental tout en dénonçant la « répression » marocaine. Elle risque deux ans de prison.
« Ceux qui s’expriment pacifiquement ne devraient jamais craindre la prison pour avoir ‘‘prétendu’’ être des journalistes », a déclaré Eric Goldstein, Directeur adjoint Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les
autorités ne devraient pas utiliser une loi conçue pour empêcher
quelqu’un de non qualifié de prétendre être un médecin, par exemple,
pour punir ceux dont les positions leur déplaisent. »
L’article 381 du code pénal marocain interdit à « quiconque, sans remplir les conditions exigées pour le porter » de faire usage ou de se réclamer « d’un
titre attaché à une profession légalement réglementée (…) ou d'une
qualité dont les conditions d’attribution sont fixées par l’autorité
publique » et punit les contrevenants d’une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans.
L’article 381, quand il est invoqué
pour restreindre le journalisme, est incompatible avec l’obligation du
Maroc de respecter le droit — garanti par le droit international relatif
aux droits humains — de rechercher, recevoir et communiquer
informations et idées, a rappelé Human Rights Watch.
Le Parlement marocain devrait
amender l’article 381 pour exclure le journalisme de son champ
d’application, afin de garantir le droit de communiquer librement
informations et commentaires.
Le 4 décembre 2018, la police a
libéré Nezha Khalidi après quatre heures de détention, mais lui a
confisqué le smartphone sur lequel elle avait filmé et enregistré une
scène de rue, qui s’est terminée par un policier la pourchassant. Le 15
mai, elle a déclaré à Human Rights Watch qu’elle n’avait jamais récupéré
son smartphone. Le tribunal de première instance d’El-Ayoun jugera de
son affaire.
Dans une autre affaire, en avril
2019, la Cour d’appel de Casablanca a confirmé la condamnation d’au
moins deux journalistes pour usurpation du titre de journaliste (entre
autres chefs d’accusation). La condamnation est intervenue après qu’ils
aient diffusé des vidéos de manifestations dans la région du Rif, dans
le nord du Maroc, a déclaré leur avocate Bouchra Rouissi à Human Rights
Watch. Le tribunal a condamné Mohamed El Asrihi, le directeur du site
web d’informations Rif 24, et Fouad Essaidi, l’administrateur de la page
Facebook Awar TV, respectivement à cinq ans et trois ans de prison.
El Asrihi et Essaidi n'avaient pas
d’accréditations officielles en tant que journalistes (ce qu’on appelle
au Maroc des « cartes de presse ») et leurs plateformes n'étaient pas
officiellement enregistrées. Selon un document judiciaire consulté par
Human Rights Watch, El Asrihi était en train de demander une carte de
presse et d'enregistrer son site Web lorsqu'il a été arrêté. Rouissi a
déclaré que son arrestation était intervenue peu après avoir filmé une
tentative d’arrestation de Nasser Zefzafi, leader du mouvement
protestataire, en mai 2017.
L’article 19 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Maroc, garantit
le droit à la liberté d’expression. Le Comité des droits de l’homme,
qui interprète ce traité, a clairement indiqué que « les systèmes généraux d’enregistrement et d’accréditation des journalistes par l’État »
sont incompatibles avec la liberté d’expression. Au Maroc, les cartes
de presse sont attribuées aux journalistes des médias nationaux par un
organe principalement composé de journalistes et d’éditeurs, créé par
une loi adoptée en 2016. L’enregistrement des journalistes imposé par la
loi, quels que soient ceux qui président au processus d’octroi des cartes de presse, est considéré comme un enregistrement d’état, a déclaré Human Rights Watch.
Equipe Media est un collectif de
militants qui adhèrent ouvertement à la cause de l’autodétermination du
Sahara occidental, territoire dont la plus grande partie est de facto
sous contrôle du Maroc depuis les années 1970. Rabat considère le
territoire comme marocain et refuse tout référendum d’autodétermination
qui offrirait l’indépendance pour option. La communauté internationale
ne reconnaît pas l’annexion de facto du Sahara occidental par le Maroc.
Khalidi avait également été arrêtée
en 2016, alors qu’elle couvrait une manifestation de femmes à El-Ayoun
pour le compte d’Equipe Media. Les autorités l’avaient détenue toute la
nuit et lui avaient confisqué son appareil photo et sa carte mémoire
avant de la relâcher sans inculpation, a-t-elle déclaré à Human Rights
Watch.
« Fournir des informations, des
images et des commentaires sans accréditation officielle ne devrait pas
être criminalisé comme devrait l’être l’exercice de la médecine sans
diplôme ou la conduite d’un camion sans permis », a déclaré Eric Goldstein.
https://www.hrw.org/.../16/maroc-une-loi-instrumentalisee-contre-la-liberte-de-la-presse
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