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jeudi 16 mai 2019

Européennes: sur le droit d’asile, les partis divergent



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Entre externalisation du traitement des demandes d’asile en dehors du territoire européen et ouverture de l’accueil à tous ceux qui sont contraints à « l’exil forcé », les propositions des partis en campagne pour les européennes en matière migratoire varient du tout au tout. Un seul constat fait consensus : celui que la réglementation de Dublin n’est plus adaptée à la situation actuelle.

Nathalie Loiseau a le don de s’embourber sans même s’empourprer. « Personne ne doit rentrer en Europe s’il n’y est pas invité », a tranquillement lâché, le 9 mai, la tête de liste LREM aux élections européennes, sur BFM-TV. Cette position reviendrait à interdire jusqu’aux réfugiés politiques de descendre de leur Zodiac. « Nathalie Loiseau fait du FN », a aussitôt dégainé Ian Brossat, numéro un de la liste communiste.
Mais faisons grâce à l’ancienne ministre d’avoir déformé sa propre pensée, puisqu’elle s’est corrigée dans la foulée, précisant : « Il y a deux choses très différentes. Les réfugiés, c’est l’honneur de l’Europe, c’est le devoir de l’Europe, nous avons inventé le droit d’asile, nous devons mieux accueillir ceux qui fuient la guerre et la persécution ; en revanche, s’agissant des migrations économiques illégales, il faut les empêcher. »
Soit rien d’autre que la dichotomie habituelle chez LREM en matière migratoire, rien d’autre que le mantra du chef de l’État dans son duel – celui qu’il met en scène – contre Marine Le Pen et son « populisme » antimigrants.
L’épisode révèle toutefois le degré de confusion qui règne, dans cette campagne, sur le sujet des politiques migratoires. Alors pour s’y retrouver, Mediapart a lu les programmes des principales listes aux européennes, et zoome sur quelques points clés.
  • Noyés
Même si le nombre de morts en Méditerranée baisse depuis 2017, des hommes et des femmes, y compris éligibles à l’asile dans l’UE, coulent toujours (415 décès recensés depuis le début de l’année, contre 1 300 sur la même période en 2017). Or aucune opération militaire européenne n’a pour mission exclusive, ni même principale, de porter secours à ces embarcations.
Pire : depuis la fin mars, les États membres ont décidé de retirer les navires déployés dans le cadre de l’opération Sophia (visant à lutter contre les trafiquants), qui servaient « accessoirement » à sauver des vies.
À gauche d’En marche, toutes les listes proposent donc, avec des nuances, d’y remédier : EELV veut « créer une flotte de sauvetage européenne », de même que la liste Printemps européen, proche de Benoît Hamon ; La France insoumise (LFI) propose « un corps européen civil », plutôt que militaire ; le PCF songe à « réorienter » l’agence Frontex (aujourd’hui chargée d’aider les pays de l’UE à contrôler leurs frontières extérieures) vers des missions de « sauvetage en mer » ; tandis que la liste menée par Raphaël Glucksmann (Envie d’Europe, avec le PS) imagine de faire appel à Frontex, mais sans le priver de ses autres missions.
Une femme et son enfant, arrêtés après leur arrivée dans une embarcation de sauvetage au port espagnol de Malaga, le 15 janvier 2019. © ReutersUne femme et son enfant, arrêtés après leur arrivée dans une embarcation de sauvetage au port espagnol de Malaga, le 15 janvier 2019. © Reuters
 
Chez En marche, pas un mot. On sait que le gouvernement français, avec l’UE, a choisi une autre option : équiper les garde-côtes libyens pour qu’ils fassent le « travail », malgré les violences dont ces derniers font preuve sur l’eau, malgré les risques de corruption, malgré le sort indigne réservé aux naufragés interceptés et ramenés sur le sol libyen. 




La proposition de LR, elle, est plus explicite : « Ramener systématiquement les bateaux de migrants sur les côtes africaines. » On croit comprendre que l’UE devrait s’en charger elle-même – pourquoi donc déléguer ? Pour respecter un minimum le droit international, encore faudrait-il trouver un « port sûr » sur ces « côtes africaines » (la Libye n’en disposant pas, selon l’ONU), ainsi qu’un pays preneur (les États du Maghreb ont tous fait savoir qu’ils n’étaient pas demandeurs à ce stade). Quant au RN et à Nicolas Dupont-Aignan, pas un mot dans leur programme sur ces morts-là.
À vrai dire, il faut attendre la page 7, côté RN, pour que soit abordée la question migratoire – alors que Les Républicains en font leurs vingt premières pages (sous la bannière « Europe Frontière ») et jugent que « les inquiétudes » exprimées par les électeurs de Salvini (en Italie) ou Orbán (en Hongrie) constituent « de salutaires électrochocs ».
  • Droit d’asile
Personne n’ose écrire (façon « bourde » de Nathalie Loiseau) qu’il faudrait sortir de la Convention de Genève, celle qui oblige les États signataires à protéger, au travers du statut de réfugié, toute personne risquant dans son pays des « persécutions » du fait « de sa race », « sa religion » ou « ses opinions politiques ».
Mais toutes les listes jugent urgent que l’UE change les règles fixées par le fameux règlement de Dublin sur l’asile, celui qui rend responsable d’un dossier le premier pays où le demandeur a enregistré ses empreintes (laissant peser l’essentiel de la charge sur les pays d’entrée comme la Grèce ou l’Italie). Changer, mais pour quoi ? Faciliter l’accès à l’asile pour les uns, le compliquer pour les autres. En jouant d’abord sur l’accès au territoire européen.
Sans surprise, LREM prône ainsi la création de « centres d’examen dans les pays [de l’UE] exposés » (soit Malte, l’Italie, la Grèce, etc.), où les migrants sauvés en mer seraient contenus pour être triés, d’où ils seraient expulsés en cas de rejet de leur dossier. Dans le cas de la Grèce en réalité, ces centres ont déjà été mis en place sur cinq îles proches des côtes turques ; ils sont surpeuplés depuis leur création en 2016 et les conditions de vie y sont déplorables.
Cette proposition d’En marche a été adoptée par les Vingt-Huit au Conseil européen de juin 2018 (après la fermeture des ports italiens et la crise de l’Aquarius), mais elle se heurte pour l’instant à l’absence de candidatures de pays pour en accueillir. Dans l’esprit de la liste Renaissance, ce premier filtre n’interdirait pas aux migrants qui réussissent à rallier Lille ou Paris de déposer directement leur dossier en France.
Si on lit le programme de LR à la lettre, il faudrait pourtant. « Les demandes d’asile doivent être traitées en dehors de nos frontières [européennes], en amont », est-il prescrit. En clair : l’Europe devrait externaliser le traitement des demandes d’asile, organiser ce tri dans des pays tiers (comme l’Australie se l’autorise déjà) – une proposition qui fera rosir de plaisir le « groupe de Visegrad » (Hongrie, République tchèque, Pologne, Slovaquie). La liste LR, concrètement, imagine des « centres internationaux d’étude de l’asile », délocalisés « sur la rive sud de la Méditerranée ou au Proche-Orient »

Un statut de réfugié climatique

De leur côté, plutôt que de bloquer les demandeurs d’asile dans les pays de départ ou de transit, les principaux concurrents à gauche de Nathalie Loiseau souhaitent, au contraire, faciliter l’arrivée des réfugiés potentiels (sachant que certains pays de l’UE accordent déjà l’asile depuis le Niger au sud de la Libye, mais au compte-gouttes).
Les écologistes d’EELV veulent ainsi « élaborer des voies d’accès sûres au territoire européen » (« fermer les frontières ne sert à rien »), en créant des « visas humanitaires » pour les demandeurs. Une idée qu’on retrouve chez Raphaël Glucksmann, au PCF, ou sur la liste Génération Europe. Cette dernière imagine même, pour l’ensemble des consulats européens partout dans le monde, « une obligation légale » de délivrer des visas humanitaires aux « personnes nécessitant une protection internationale ».
Elle insiste par ailleurs sur la nécessité de rompre l’accord signé par l’UE avec la Turquie en 2016, qui a autorisé la Grèce à renvoyer de l’autre côté de la mer Égée des migrants supposés ne rien risquer sur le sol turc (Pakistanais, Syriens, etc.), avant même qu’ils aient pu déposer une demande d’asile en Europe. Coût du deal ? 6 milliards d’euros de subventions accordées à Ankara. « Un accord honteux », selon LFI aussi.
  • Répartition
Alors que 500 000 personnes ont obtenu le statut de réfugié dans l’UE en 2017 (ou une protection approchante), RN dénonce un véritable « laxisme dans l’octroi » – même si les critères et les pratiques varient beaucoup d’un État à l’autre. La liste LREM, en tout cas, veut « harmoniser les critères » d’attribution entre Européens et créer un « office européen de l’asile ». Mais harmoniser vers le haut ou vers le bas ?
Dans une Europe plombée par le groupe de Visegrad, les conservatismes de l’Autriche ou du Danemark, la pente est glissante. À titre d’exemple, LREM suggère de forger une liste commune, à négocier tous ensemble, des « pays d’origine sûrs », cette catégorie de pays tiers dont les ressortissants voient leur demande d’asile examinée en accéléré, sinon à la va-vite (en général pour être écartée). Une piste qui ne favorisera pas vraiment le « laxisme »…
Pour sa part, la liste Génération Europe aimerait plutôt que « les décisions d’asile positives [soient] mutuellement reconnues par les différents pays européens, permettant aux réfugiés reconnus comme tels de se déplacer librement où ils ont des opportunités d’emploi, des liens familiaux, ou des facilités linguistiques ».
Surgit surtout une question : une fois les réfugiés reconnus, faut-il se les répartir au nom d’une solidarité entre États membres ? Cela supposerait de réécrire le règlement de Dublin, dont la révision est complètement gelée, faute d’accord entre gouvernements – même si le Parlement de Strasbourg a réussi à voter, de son côté, un schéma de réforme prévoyant que le pays d’entrée ne serait plus automatiquement responsable de la demande d’asile, avec une forme de répartition des réfugiés obligatoire et une perte de subventions européennes pour sanctionner les récalcitrants. C’est sur la table depuis 2017, mais la liste En marche n’en pipe mot.
Tandis que celle de Glucksmann, qui plaide pour « mettre fin au règlement de Dublin », défend cette « solution alternative mise au point par le Parlement européen ». Dans la même veine, les candidats d’EELV parlent de « garantir l’accueil équitable à travers l’Union, de manière contraignante pour les États membres, et en tenant compte des demandes des migrant·e·s ».
Pour aller plus loin, c’est la catégorie de « réfugié », jugée trop rigide, inapte à saisir l’ensemble des situations méritant protection dans l’UE, que certains candidats espèrent élargir, voire faire exploser. En créant « un statut de réfugié climatique » d’abord, pour LFI ou EELV.
En créant, par ailleurs, un « statut de détresse humanitaire » sous l’égide de l’ONU, propose en plus La France insoumise. Son idée ? L’exil est parfois contraint par d’autres causes que les persécutions politiques ou religieuses, en particulier la famine due aux « accords commerciaux et économiques inégaux » que l’UE impose à certains pays en développement. Les ressortissants de ces derniers devraient donc être éligibles à une forme de protection.
De son côté, le programme de la liste PCF énonce carrément : « Ouvrir le statut de réfugié·e·s à toutes celles et tous ceux qui sont contraints à l’exil forcé. »
  • Schengen
Mais l’obsession de LR et de l’extrême droite est ailleurs : comment expulser davantage, en particulier les migrants déboutés de l’asile dans un pays de l’UE qui passent chez le voisin pour retenter leur chance ? La liste conduite par François-Xavier Bellamy croit tenir une solution : « Européaniser les obligations de quitter le territoire. » En clair : une décision d’expulsion prise en Allemagne ou en Suède vaudrait pour la France, et inversement (malgré des critères d’examen différents).
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Surtout, pour éviter que les « sans-papiers » circulent en Europe, Les Républicains revendiquent quasiment la fin des accords de Schengen (sur la libre circulation des marchandises et des personnes), qui ont mis fin aux contrôles aux frontières entre 22 États de l’UE. Par dérogation, Paris a déjà rétabli ces contrôles en 2015 (comme l’Allemagne ou l’Autriche), au motif de « menaces graves pour l’ordre public », théoriquement pour six mois – une procédure d’exception depuis systématiquement reconduite. Désormais, LR veut « pérenniser [ce] rétablissement des contrôles aux frontières ». Le RN, lui, est encore plus direct : « Rétablir les contrôles aux frontières nationales. » De même que Nicolas Dupont-Aignan : « Supprimer les accords de Schengen. »
Si le PS espère au contraire « sauver l’espace Schengen », La France insoumise y voit plutôt une « impasse ». Emmanuel Macron lui-même, d’ailleurs, plaide pour « une remise à plat », selon le deal suivant : « Un pays qui souhaite bénéficier de la libre circulation pour ses habitants [devra] prendre toute sa part à [la] politique commune d'asile. » Donnant-donnant. Un deal qui n’intéressera que les capitales voulant encore un minimum de Schengen… Et idem pour les électeurs. Combien seront-ils encore le 26 mai au soir ?
  https://www.mediapart.fr/journal/international/150519/fiche-n-5-entre-negation-du-droit..


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