Monsieur le ministre,
À ma très grande surprise, vous m’avez adressé la semaine dernière un
courrier pour m’annoncer que vous me décerniez le grade de chevalier des
arts et lettres.
Je vous remercie de cette délicate attention, mais j’ai bien peur de devoir refuser cet « honneur ».
Je vous remercie de cette délicate attention, mais j’ai bien peur de devoir refuser cet « honneur ».
Déjà, spontanément, je n’ai jamais été très excité par les médailles.
Pierre Desproges disait « les décorations, c’est la libido des vieux ».
Je me plais à penser que je n’en suis pas encore là. Il y a cependant
des distinctions plus réjouissantes que d’autres, et celle-ci a
l’inconvénient, monsieur le ministre, d’être remise par un représentant
politique.
Or, comment accepter la moindre distinction de la part d’un gouvernement qui, en tout point, me fait honte ?
Or, comment accepter la moindre distinction de la part d’un gouvernement qui, en tout point, me fait honte ?
Car oui, il s’agit bien de honte.
J’ai honte de ce que votre gouvernement fait des services publics, au
nom du refus dogmatique de faire payer aux grandes entreprises et aux
plus grosses fortunes les impôts dont elles devraient s’acquitter. « il
n’y a pas d’argent magique » martèle votre leader. Il y a en revanche un
argent légal que monsieur Macron refuse d’aller chercher pour ne pas
déplaire à ceux qui ont financé sa campagne.
J’ai honte, lorsque
j’entends monsieur Castaner s’indigner que l’on puisse « s’attaquer à un
hôpital », comme il l’a fait récemment, alors que c’est bien votre
gouvernement qui fait le plus de mal aux services de santé, et pas trois
gilets jaunes qui cherchent à se mettre à l’abri au mauvais endroit.
J’ai honte de ce gouvernement qui en supprimant l’ISF, a divisé par deux
les ressources des associations qui prennent à leur charge les plus
faibles, les plus démunis, les laissés pour compte, à la place de
l’état.
J’ai honte lorsque votre gouvernement refuse d’accueillir
l’Aquarius et ses 160 réfugiés qui demandent de l’aide, et encore plus
honte lorsque monsieur Castaner, encore lui, accuse les ONG qui tentent
par tous les moyens de sauver des vies d’être « complices » des
passeurs.
J’ai honte lorsque je vois la police « escorter » les militants de Génération Identitaire après leur coup de com’ au col de Briançon pour les « protéger » contre les militants favorables à l’accueil des réfugiés. Certains de ces derniers furent d’ailleurs interpelés, alors que tous les membres de Génération Identitaire sont rentrés chez eux fêter leur coup de publicité.
J’ai honte lorsque je vois la police « escorter » les militants de Génération Identitaire après leur coup de com’ au col de Briançon pour les « protéger » contre les militants favorables à l’accueil des réfugiés. Certains de ces derniers furent d’ailleurs interpelés, alors que tous les membres de Génération Identitaire sont rentrés chez eux fêter leur coup de publicité.
J’ai honte de
votre politique indigne d’accueil des migrants, et en particulier des
mineurs isolés. Le gouvernement auquel vous appartenez a accéléré le
rythme des expulsions, voté l’allongement à 90 jours de la période de
rétention pour les étrangers en situation irrégulière. De la prison,
donc, pour des personnes n’ayant commis aucun crime, hommes, femmes,
enfants, nouveaux-nés. Pendant ce temps, des préfets plusieurs fois
condamnés pour non respect du droit d’asile sont maintenus en poste.
Pour de sordides calculs électoraux, le gouvernement auquel vous
appartenez foule aux pieds tous les principes philosophiques et moraux
qui sont à la base de la constitution et de l’histoire de ce pays, et
passe à côté du sens de l’Histoire. Soyez certain que l’Histoire s’en
souviendra.
J’ai honte de l’incapacité de ce gouvernement à
prendre en compte l’urgence écologique, qui devrait pourtant être le
seul sujet à vous préoccuper vraiment. En dehors d’effets d’annonce,
rien dans les mesures prises depuis deux ans n’est à la hauteur des
enjeux de notre époque. Ni sur la sortie des énergies fossiles, ni sur
le développement du bio, des énergies renouvelables ou la condition
animale. Votre gouvernement reste le loyal service après-vente des
lobbies, de l’industrie agroalimentaire, des laboratoires, des marchands
d’armes…
J’ai honte, monsieur le ministre, de ce gouvernement
mal élu ( le plus mal de la l’histoire de la cinquième république) qui
ne tient plus que par sa police ultra violente.
J’ai honte de
voir, depuis des mois, partout en France, éclater des yeux, exploser des
mains ou des visages sous les coups de la police, de Notre Dame des
Landes aux Champs-Elysées, à Toulouse, Biarritz, Nantes. Le monde entier
s’alarme de la dérive sécuritaire de votre gouvernement, de
l’utilisation abusive d’armes de guerre dans le maintien de l’ordre,
mais vous, vous trouvez que tout va bien.
Je pense à Maxime
Peugeot, 21 ans, et à sa main arrachée par une grenade dans un champ de
Notre Dame des Landes. Qu’est-ce qui pouvait bien menacer à ce point la
sécurité de la France, dans ce champ à vache du bocage breton, pour
qu’on en arrive à faire usage d’une telle violence ? 2500 gendarmes, une
opération de guerre à plusieurs millions d’euros menée pour détruire
une trentaine de cabanes en bois (« il n’y a pas d’argent magique »…) et
procéder à une dizaine d’expulsions… Je pense à Lola Villabriga, 19
ans, défigurée à Biarritz par un tir de LBD que rien ne justifiait et
qui vit désormais avec des plaques d’acier dans la mâchoire, alors que
c’était sa première manifestation. Je cite deux noms, mais vous le savez
sûrement, ils sont aujourd’hui des centaines. Suivez le travail de
David Dufresne si le sujet vous intéresse.
Comme vous le voyez,
nous avons peu de points communs, politiquement. Et dans un monde où les
distinctions culturelles seraient remises par le milieu culturel
lui-même, sans intervention du politique, j’aurais accepté celle-ci avec
honneur et plaisir. Mais il n’y a pas de geste politique qui ne soit
aussi symbolique, et je sais déjà que si un jour j’atteins l’âge avancé
où on prend son pied à exhiber ses breloques, j’aurais bien peu de
plaisir à me rappeler que celle-ci me fut remise par le représentant
d’un gouvernement dont j’aurais si ardemment souhaité la chute et la
disgrâce.
Passons malgré tout une bonne journée,
Wilfrid Lupano
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