Charlotte Amrouni, Les Inrockuptibles, 8/8/2025
Une lettre à Christopher Nolan
Traduite de l'espagnol par SOLIDMAR
Bonjour Monsieur Nolan, je m’appelle Ahmed Fadel, je suis un Sahraoui originaire de Dakhla, l’ancienne Villa-Cisneros, où vous tournez votre film. J’ai quitté ma ville il y a 50 ans, comme la plupart de ses habitants.
Je me souviens des deux seuls cinémas qui existaient : le cinéma Lumen et le cinéma Sahara. J’y allais tous les dimanches pour voir des films de grands artistes comme James Stewart, Marlon Brando, Jack Nicholson, Dustin Hoffman, Robert Redford, Paul Newman, Clint Eastwood, Steve McQueen, Katherine Hepburn, Bette Davis, Audrey Hepburn et Jane Fonda.
Tous ces artistes ont laissé un héritage à ma génération. Des artistes qui représentaient un monde plus humain, plus juste, avec plus de valeurs et qui luttaient toujours pour ce qui est le plus important pour l’être humain : sa liberté.
Ces deux cinémas ont été détruits par l’envahisseur marocain, ceux qui constituaient leur public soit sont morts en combattant ou sont toujours réfugiés depuis lors. Les propriétaires, les portiers et les ouvreurs de ces cinémas ont également péri.
Aujourd’hui, 50 ans plus tard, vous visitez ma ville occupée pour tourner un film qui justifie l’invasion de ma ville captive, l’extermination de son peuple et la destruction de ses deux seuls cinémas.
Cela me fait énormément de peine que parmi mes souvenirs de cette époque, je doive maintenant parler à mes petites-filles, à qui je racontais « À l’est d’Éden », « Un nouvel espoir », « Les Dents de la mer », « Taxi Driver », « La Grande Évasion », de Christopher Nolan et de son « Odyssée » dans la ville occupée de leur grand-père, où sont morts leurs arrière-grands-parents qu’elles n’ont jamais connus.
Ahmed Mohamed Fadel
Ancien guérillero et militant sahraoui



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