L’Association de Défense des Droits de l’Homme au Maroc (ASDHOM) s’indigne du tournant grave que prend l’État marocain dans le montage des procès politiques intentés aux voix libres et critiques.
Récemment, pas moins de cinq journalistes indépendantEs et/ou d’investigation (Hicham Mansouri, Hajar Raissouni, Soulaiman Raissouni, Omar Radi, Imad Stitou…) ont été condamnéEs ou poursuiviEs en liberté ou en état d’arrestation avec des chefs d’accusation qui interrogent. Qui pour viol, qui pour trafic d’êtres humains, qui pour adultère, qui pour avortement, etc.
Le code de la presse, qui ne prévoit pas la peine d’emprisonnement pour les journalistes dans sa nouvelle version, n’est jamais invoqué. À se demander s’il sert d’ornement de la vitrine démocratique pour vendre à la communauté internationale l’image d’un Maroc qui respecte la liberté de la presse. De la poudre aux yeux.
Un autre fait vient nous conforter malheureusement dans notre inquiétude quant à ce tournant qu’opèrent les autorités marocaines. L’historien et défenseur des droits humains Maâti Monjib a appris, par un communiqué publié le 7 octobre dans la presse par le procureur du roi près le tribunal de première instance de Rabat, qu’il fera l’objet, avec des membres de sa famille, d’une enquête pour « blanchiment d’argent ». Rappelons qu’il est déjà poursuivi en liberté pour « atteinte à la sureté de l’État » avec six autres compagnons et que son procès ne cesse d’être ajourné. Il en est à sa vingtième audience.
Un fil conducteur relie toutes ces affaires. Des médias proches des services de renseignements sont lancés à l’assaut pour diffamer, dénigrer, ternir et salir l’image de ces voix libres et de leurs familles en allant fouiner jusque dans la vie privée et personnelle des personnes concernées. Il arrive même que ces médias publient des chefs d’inculpation, des éléments relevant du secret de l’instruction ou annoncent carrément la date d’arrestation, avant même que celle-ci ne se produise, comme se fut le cas pour Soulaiman Raissouni avec le site Chouf-TV.
À y regarder de près, l’État marocain tente de jouer la carte des condamnations dans le cadre du droit commun pour masquer les procès d’opinion. Il poursuit ainsi deux objectifs majeurs inavoués. D’abord affaiblir les défenseurEs des droits humains et les monter les uns contre les autres en invoquant les affaires de mœurs et en instrumentalisant le combat légitime des féministes et celui de la communauté LGBT+. Ensuite se présenter aux yeux de l’opinion internationale comme étant un État de droit qui protège ses citoyenNEs, présumées victimes de viol, qui promeut les libertés individuelles et la liberté de la presse et où n’existe aucun prisonnier politique ou d’opinion.
Comment peut-on accorder une quelconque crédibilité à un État qui prétend protéger une personne se disant victime de viol quand son arsenal juridique recèle des lois liberticides qui criminalisent les libertés individuelles et condamnent la communauté LGBT+, et quand une femme violée ou harcelée, cas légion au Maroc, se retrouve accusée, condamnée ou même mariée de force à son violeur lorsqu’elle ose déposer plainte ?
Comment peut-on accorder une quelconque crédibilité à l’État marocain dont le parquet, celui de Rabat, entend entamer une action en justice contre l’historien Maâti Monjib pour « blanchiment d’argent » sur la base d’une note émanant de l’Unité de traitement des informations financières quand cette même unité a saisi ce même parquet une centaine de fois (107) depuis sa création sans que le procureur du roi n’ordonne une seule enquête ? Et que dire du rapport publié ces derniers jours par le secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement qui place le Maroc parmi les premiers États africains qui pratiquent impunément la fuite des capitaux s’élevant à 8 milliards de dollars par an entre 2013 et 2014, soit 8% du PIB du pays ? Y’aura-t-il une enquête diligentée par le parquet général ? Pas si sûr.
Nous sommes malheureusement amenés à constater amèrement que ce qui prévaut au Maroc c’est le deux poids, deux mesures et que seuls payent celles et ceux qui dénoncent les violations des droits, la prévarication, la corruption, l’instrumentalisation de la justice et qui militent pour un État de droit, de dignité et de justice sociale.
L’ASDHOM apporte son soutien indéfectible à tous les prisonniers politiques et d’opinion au Maroc. Elle envisage d’initier avec ses partenaires une campagne internationale pour réclamer leur libération. Et c’est dans ce cadre que s’inscrit la conférence numérique qu’elle compte organiser lundi 19 octobre. (Voir pièce jointe)
Le Conseil d’administration de l’ASDHOM
Paris, le 12 octobre 2020
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