Rhita Jibou, la porte-parole des enfants marocains
Sa voix semble fluette. Pourtant, elle a de la force. Rhita Jibou, 17 ans, fait partie des 395 Enfants Parlementaires qui bataillent, sans relâche, sous la direction de l’Observatoire national des droits de l’enfant (ONDE) pour la promotion et le respect des droits de l’enfance. Entretien, en toute spontanéité, avec cette jeune fille dynamique, ambitieuse et déterminée, à l’occasion de la Journée mondiale de l’enfance le 20 novembre.
Représentante de la région Fès-Meknès, vous êtes enfant
parlementaire depuis 2017. Quelles raisons vous ont poussée à vous
engager dans cette démarche ?
Je me reconnais dans les valeurs portées par l’Observatoire national des
droits de l’enfant (ONDE), à savoir la justice sociale, le
vivre-ensemble, la démocratie, l’équité et la non-discrimination. Cette
institution ne fait aucune distinction entre les enfants, quels qu’ils
soient et où qu’ils vivent. Mes parents m’ont toujours poussée à
m’exprimer que ce soit face aux autres ou par le biais de mes activités
culturelles (musique et théâtre). L’ONDE m’a donné l’opportunité de
faire résonner plus largement ma voix, de m’affirmer et de participer à
cette belle dynamique de la défense des droits de l’enfance.
Comment définiriez-vous les droits de l’enfance au Maroc ?
Malgré les nombreuses avancées et engagements pris, les droits de
l’enfant sont encore trop mal connus. Certains enfants, notamment les
plus précaires et ceux issus du milieu rural, n’ont parfois même pas
conscience qu’ils ont, eux aussi, des droits, les mêmes que leurs
voisins riches et urbains.
Le Parlement de l’Enfant se compose de commissions
permanentes spécialisées. Dans quel(s) domaine(s) travaillez-vous et
quels projets avez-vous porté tant au niveau régional que national ?
Toutes les régions du Maroc ne font pas face aux mêmes difficultés. Dans
ma région, deux problématiques ressortent : le mariage précoce et
l’éducation. Nous avons beaucoup travaillé sur la sensibilisation. Nous
sommes notamment partis à la rencontre de la population des zones
enclavées d’Ifrane. Nous y avons organisé des jeux et monté une pièce de
théâtre abordant le sujet du mariage précoce, et par ricochet, de la
déscolarisation.
Enfants et parents ont été très réceptifs à nos actions même si les plus jeunes ont eu du mal à nous faire confiance. Au fil de la journée, la peur du matin s’est transformée en enthousiasme. Au Parlement de l’Enfant, avant la pandémie de Covid-19, nous étions également en train de travailler sur l’élaboration d’un site internet dédié à l’enseignement à travers une entraide entre élèves de tout le Royaume. Pour dépasser l’obstacle du manque de connexion Internet dans certaines zones du pays, nous avions évoqué l’idée de distribuer des CD, même si nous plaidons pour une connexion Internet de qualité pour tous.
Quelle est votre plus belle réussite ?
À titre personnel, cela a été l’événement évoqué précédemment dans les
zones enclavées d’Ifrane. Car ce travail de terrain m’a fait prendre
conscience du rayonnement des actions de l’ONDE. Aussi, il m’a donné
davantage de force pour défendre, encore plus, les droits des enfants.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées que ce soit auprès des décideurs ou sur le terrain ?
Sincèrement, je ne dirai pas que nous avons eu à faire face à des
difficultés, particulièrement auprès des décideurs, car lorsque nous
proposions des projets bien ficelés, les ministères nous soutenaient
dans leur réalisation. Toutefois, il n’en reste pas moins que le travail
est loin d’être achevé, notamment sur le terrain. Nous rencontrons
toujours de la méfiance chez les enfants en milieu rural avant de
parvenir à conquérir leur confiance dès qu’ils comprennent nos priorités
et défis relevés au niveau local, régional et national. L’ONDE nous a
donné la parole pour participer à l’évaluation et à l’élaboration des
engagements. Aussi, ces enfants comptent sur nous et certains veulent
même rejoindre nos rangs.
À l’occasion de la clôture du sommet Africités en novembre
2018 à Marrakech, une nouvelle dynamique a été insufflée par SAR la
Princesse Lalla Meryem, présidente de l’ONDE, lors du lancement de la
campagne panafricaine “Pour des villes africaines sans enfants en
situation de rue” dont un projet pilote à Rabat. Vous y étiez. Vous avez
notamment pris la parole à la tribune. Aujourd’hui, quel souvenir en
gardez-vous ? Quels mots résonnent encore en vous ?
“Levez-vous, fermez les yeux et faites une promesse : cette promesse que
nous ferons au moins une action en faveur des enfants en situation de
rue.” Ce sont les mots que j’ai prononcés les larmes aux yeux devant Son
Altesse Royale la Princesse Lalla Meryem et des milliers de personnes.
C’était un moment historique et solennel, tout comme la pétition signée à
cette occasion qui a rassemblé des milliers de signatures de
responsables africains. Tous ont donné leur parole. Ils se sont engagés à
tendre la main aux enfants en situation de rue, souvent considérés
comme invisibles par la société alors qu’ils sont là. Ce sont des
enfants. Nos enfants. Vos enfants.
Pour vous, quelle initiative reflète le mieux l’ONDE ?
Le Parlement de l’Enfant. Il a impulsé une dynamique déterminante dans
la préservation et la défense des droits de l’enfant. Jusque-là, malgré
les avancées réalisées par le Maroc en matière de droits de l’enfant,
les mineurs étaient encore considérés comme de simples “sujets” et non
pas associés à la dynamique locale, régionale et nationale. Les
recommandations et décisions sur les enfants étaient élaborées et/ou
prises par la société civile, les institutions ou encore les
responsables politiques et ministres. Mais il manquait un maillon
essentiel dans cette chaîne de prise de décision : nous, les enfants.
L’ONDE l’avait bien compris et nous a donné les clefs : il nous
accompagne et nous outille afin de faire entendre notre voix.
L’année 2019 a été marquée par les 20 ans du Parlement de
l’Enfant qui ont coïncidé avec le 30ème anniversaire de la Convention
relative aux Droits de l’Enfant, célébré lors de la 16ème édition du
Congrès National des Droits de l’Enfant à Marrakech. À cette occasion,
vous avez lancé l’Appel des Enfants Parlementaires adressé au Secrétaire
Général des Nations Unies. Vous avez fait partie de la commission
d’écriture. Comment avez-vous pensé cet appel ?
Pendant l’écriture de l’Appel, nous avions une idée en tête : mettre en
avant les réalisations de l’ONDE qui ont illuminé les enfants
parlementaires ainsi que, plus largement, les enfants marocains. Nous
avons conscience que le Parlement de l’Enfant n’est pas une institution
généralisée dans tous les pays. Aussi, nous avons voulu partager notre
expérience marocaine, avec sincérité et sans protocole, avec l’innocence
qui nous caractérise. Car nous sommes convaincus que c’est un modèle à
promouvoir au niveau régional et international. Nous souhaitons de tout
cœur que tous les pays possèdent une telle institution qui permettrait
aux enfants de s’exprimer et de nouer des relations avec les décideurs
de leur pays.
À cette occasion également, le Pacte National pour l’Enfance à
l’horizon 2030 a été signé devant SAR la Princesse Lalla Meryem, se
traduisant par une feuille de route et un engagement de tous les
départements concernés. Quel regard portez-vous sur cette mobilisation ?
C’est un magnifique engagement pris pour renforcer la participation des
enfants. Le Pacte Nationale à l’horizon 2030 a fixé cinq principaux
objectifs : ériger l’enfant en priorité nationale au cœur de l’agenda
public, engager différents chantiers structurants et protecteurs de
l’enfant, renforcer la visibilité, la cohérence et la coordination des
différentes interventions en faveur du secteur de l’enfance, garantir un
haut niveau d’alignement des projets d’appui au secteur de l’enfance
(stratégies et priorités nationales) et adopter de nouvelles approches
de gouvernance efficaces et axées sur les résultats. En effet, ledit
Pacte vise à promouvoir le rôle des Enfants Parlementaires en tant
qu’ambassadeurs de la cause de l’enfance et en tant qu’acteurs dans la
conduite du changement au niveau local, régional, et national afin
d’atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD). Car comme il
est justement mentionné dans ledit Pacte : “La participation des enfants
dans la prise de décision est non seulement un droit mais une valeur
ajoutée incommensurable pour toute Nation. Ainsi, le Parlement du
Royaume du Maroc s’engage à impliquer et consulter systématiquement le
Parlement de l’Enfant pour toute législation le concernant directement
et/ou indirectement.”
En 2019, avec trois de vos confrères et consœurs , vous avez
représenté le Maroc au Parlement arabe de l’enfant à Sharjah aux
Emirats Arabes-Uni où des propositions ont été formulées en direction de
la Ligue arabe. Quelle recommandation a fait l’unanimité ? À l’inverse,
quelle est celle qui a créé le plus de divergences ?
Par surprise, aucune recommandation n’a fait l’unanimité lors des
discussions au Parlement arabe de l’enfant à Sharjah, car chaque pays ou
région ne faisait pas face aux mêmes problématiques. Par exemple,
lorsque nous évoquions les enfants en situation de rue, nos jeunes
confrères koweitiens affirmaient que dans leur pays, aucun mineur ne
dormait à l’extérieur. Leurs préoccupations concernaient les enfants
fumeurs et la discrimination infantile. Cette expérience au Parlement
arabe de l’enfant a été très riche. Car, même si nous n’étions pas tous
confrontés aux mêmes difficultés, nous cherchions ensemble la meilleure
des solutions. Nous partagions nos idées ou initiatives qui avaient déjà
fait leur preuve sur le terrain.
À l’heure de la pandémie de Covid-19 qui a engendré une crise
sanitaire et économique inédite, quels nouveaux défis se dessinent,
selon vous ?
Après la préservation de la santé, l’éducation… Ce secteur était déjà en
souffrance avant la pandémie de Covid-19. Mais, depuis, les difficultés
se sont aggravées. L’enseignement ne peut se faire sans les nouvelles
technologies qui doivent être accessibles à tous à travers des moyens
pour tous et une connexion de qualité pour tous. Ajouter à cela,
l’enseignant qui encourage l’élève et lui tend la main pour surmonter
ses difficultés. L’éducation est une question prioritaire et cruciale
pour l’avenir du pays. Si nous n’arrivons pas à relever ce défi, nous
condamnons une partie des enfants à un avenir brisé…
L’éducation a notamment été mise à mal par la pandémie de
Covid-19 avec l’instauration de l’enseignement à distance, révélateur de
disparités et fragilisant la scolarisation des fillettes. Craignez-vous
une hausse du taux de déperdition ? Comment l’éviter ?
À mon avis, nous devons porter attention aux parents en situation de
précarité durement impactés par la crise engendrée par la pandémie de
Covid-19. Rappelons-leur l’amour qu’ils ont pour leurs enfants et
aidons-les économiquement. L’entraide est très importante. Les enfants
sont le centre d’une nation.
Autre inquiétude : le mariage des mineur(e)s. C’est l’une des
luttes qui vous anime le plus. À votre avis, quelles mesures doivent
être prises d’urgence ?
J’en appelle aux juges. Même si la loi autorise par dérogation le
mariage des mineur(e)s, ne le faites pas. Écoutez votre raison et
écoutez votre cœur. Cet enfant qui est en face de vous pourrait être le
vôtre. Imaginez toutes les conséquences que pourraient engendrer votre
approbation. Il est également temps de changer les lois et d’interdire,
sans condition, le mariage précoce.
Sur le plan personnel, vous avez entamé des études à
l’université Al Akhawayn où vous avez obtenu la bourse d’excellence. De
quelle manière le Parlement de l’Enfant a renforcé votre personnalité et
a orienté vos choix académiques ? Quelles sont vos aspirations ?
Tout d’abord, c’est grâce à mon entourage notamment à mes parents qui
m’ont inculquée des valeurs et des convictions, forgeant ainsi mon
caractère qui s’est ensuite renforcé grâce au Parlement de l’Enfant.
C’est une école de la citoyenneté. Elle m’a formée et permis de
comprendre le rôle et le pouvoir des décideurs, d’affiner mon plaidoyer
pour améliorer la situation des enfants ainsi que de renforcer mon
esprit critique et ma confiance en moi. Elle m’a aussi permis de croire à
mes rêves. L’équipe de l’ONDE a toujours été à mes côtés et m’a poussée
sur les tous les plans, personnel et professionnel. Aussi, j’appelle
tous les jeunes à s’intégrer pleinement là où ils le peuvent (activités
scolaires ou parascolaires) ainsi que tous les parents à épauler leur
enfant dans leur choix. Aujourd’hui, je ne peux pas m’arrêter en chemin.
Je vais continuer à me démener pour devenir une actrice de demain tant
sur le plan économique qu’humanitaire. L’éducation et le droit des
enfants resteront mon cheval de bataille.
Le Parlement de l’Enfant, une valeur de citoyenneté
Composé de 395 enfants parlementaires, le Parlement de l’Enfant se veut un levier de participation effective des enfants dans le développement territorial et régional du pays, et ce, conformément aux Hautes Instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, et en application des orientations de Son Altesse Royale la Princesse Lalla Meryem, présidente de l’Observatoire National des Droits de l’Enfant (ONDE). Le Parlement de l’Enfant est ainsi un espace d’expression, un lieu d’apprentissage et de représentativité. Des sessions y sont organisées dans toutes les régions du royaume pour sensibiliser, former et outiller les Enfants Parlementaires sur leurs droits mais également sur l’importance de leur rôle en tant qu’émissaires et gardiens de l’enfance aux quatre coins du pays. Lors de la clôture du mandat, une session nationale du Parlement de l’Enfant, présidée par Son Altesse Royale la Princesse Lalla Meryem, est tenue dans le Parlement du Royaume en présence de tous les ministres et hauts responsables que ce soit au niveau législatif et exécutif.
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