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vendredi 5 mars 2021

Ils soutiennent Auxilia - Yazid Kherfi, un ancien détenu devenu pacificateur social


04/03/2021

Nous avions rencontré voilà plusieurs semaines Yazid Kherfi, médiateur, « guerrier non violent » selon sa propre définition, militant pour la prévention de la violence par le dialogue. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il présente les solutions qu’il met en œuvre pour apaiser une jeunesse en manque de repères, n’hésitant pas à proposer de s’appuyer pour cela sur ceux qui ont, comme lui, connu la prison.

Juste avant publication, il a bien voulu également compléter cette interview en nous livrant son regard sur les rixes mortelles qui ont fait l’actualité de ces derniers jours.

 INTERVIEW

par Stéphane d'Auxilia

Bonjour Yazid.  Vous êtes un professionnel de la prévention de la délinquance. D’où vient votre intérêt pour ce type d’engagement ?

Quand on est passé par la case prison, on devient sensible aux problèmes carcéraux. J’ai été choqué par le fait qu’autant de jeunes des quartiers sont en prison. J’ai pris conscience que quelque chose n’allait pas dans notre société. J’ai alors décidé d’arrêter de faire des conneries et, en sortant de prison, j’ai voulu aider les autres pour qu’ils prennent de meilleurs chemins que ceux que j’avais pris dans ma jeunesse. C’est devenu une vocation ; je connaissais les jeunes des quartiers dits sensibles, je pouvais donc mieux les aider. 

Vous êtes resté incarcéré plusieurs années. Quels sont les éléments qui vous ont aidé à tenir le coup lors de cet enfermement ?

J’ai toujours assumé mes actes. Quand tu ne respectes pas la loi, tu vas en prison, c’est normal. Les lois sont faites pour protéger tout le monde, y compris nous-mêmes. T’as perdu, tu payes. J’ai tenu le coup grâce au soutien de ma famille. Je n’ai jamais été seul. Ensuite, je me suis investi dans les études. Grâce à Auxilia, j’ai obtenu deux CAP (comptabilité et employé de bureau). J’ai pris confiance en moi. Je n’étais pas qu’un voyou. J’ai eu plus d’estime de moi. Je suis devenu quelqu’un.

Vous retournez souvent en prison pour, à travers des ateliers de prévention, discuter avec les détenus. Comment se passent ces rencontres ?

J’ai demandé à intervenir en détention, car je me suis dit que c’était le bon moment pour parler avec les délinquants. C’est en effet l’endroit idéal pour réfléchir sur sa vie ; c’est une parenthèse qui permet de préparer son avenir. On peut changer si on fait les bons choix et si l’on fait des efforts pour retrouver une place au soleil. Je leur transmets mon expérience pour leur montrer que le meilleur est possible. Les détenus m’accueillent avec beaucoup de respect ; voir qu’un ancien prisonnier est devenu enseignant à l’université, ça marque leur esprit. Ils sont reconnaissants que je vienne vers eux. C’est une belle rencontre entre eux et moi.

Parlez-nous de votre action au sein de ‘’Médiation nomade’’. Quel est l’objectif de cette association ? Quel est le rôle de votre célèbre camping-car ?  

J’ai fait le constat que c’était la nuit et le week-end qu’il y avait le plus de problèmes de délinquance. Par exemple, les Maisons des jeunes, les centres sociaux éducatifs ont des horaires administratifs et ferment vers 18 heures. A partir de cette heure-là, les jeunes se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes. Il faudrait nous adapter au public et non pas le contraire. C’est ainsi que j’ai décidé d’occuper l’espace public la nuit. Car je me souviens que lorsque j’étais jeune, seuls les voyous m’ont tendu la main ; je voulais changer cela pour les jeunes que j’allais croiser.

Avec mon camion, je parcours les quartiers le soir. On installe des tables et des chaises et on partage des verres de thé à la menthe. Un peu de musique. C’est comme une terrasse de café où on peut discuter en toute confiance. Je suis à l’écoute de chacun ; cette écoute permet de mieux les comprendre. Je suis comme un relais, car je peux ensuite transmettre leurs demandes aux élus et aux travailleurs sociaux.  Je pars du principe que la parole est plus forte que la violence. Les jeunes sont ravis, car ils disent : ‘’T’es là pour nous’’. C’est une action qui s’inscrit dans une logique de paix sociale.

J’ai formé des équipes dans une dizaine de villes (en métropole et aussi à Mayotte) afin qu’elles puissent réaliser les mêmes actions que moi. Les préfectures nous soutiennent bien, car on répond à un réel besoin, alors que les jeunes ont tendance à se détourner des institutions. Je suis surbooké ; j’ai beaucoup de demandes d’interventions dans toute la France.

 Quels sont vos projets associatifs pour les mois à venir ?

J’aimerais ouvrir une université de la criminologie en prison, une école de formation à la prévention de la délinquance où je pourrais être formateur, avec des psychologues et d’autres acteurs de la justice. Je suis persuadé qu’énormément de gens pourraient faire ce que je fais dans les prisons.

De plus, étant donné que peu de monde travaille dans les quartiers le soir, il y aurait là une opportunité d’emploi. Un ancien délinquant peut aider les plus jeunes motivés à ne pas tomber dans les erreurs que lui a faites dans le passé. J’ai envie de former des guerriers non violents qui n’ont pas peur de travailler la nuit et de discuter avec les jeunes. Les acteurs actuels dans les quartiers ne sont pas assez formés et sont en grande difficulté. La formation que je souhaite mettre en place permettrait aux détenus de sortir en conditionnelle s’ils obtiennent leur diplôme ; en lien avec les mairies, on les aiderait à trouver un travail et un logement. Ce sont de beaux projets de sortie.

Quel est votre sentiment sur les drames de ces derniers jours et ces rixes mortelles lors d’affrontements entre bandes ? Comment cela pourrait-il être évité ?

Mon constat est qu’il manque des adultes sur l’espace public. Ce ne sont pas les policiers qui régleront cela, ce n’est pas possible. Ils ne peuvent pas être partout. En plus les jeunes et les policiers ne communiquent pas. Il faudrait des médiateurs sur le terrain. Actuellement la situation est d’autant plus compliquée qu’à mon niveau, je ne peux plus aller sur le terrain en raison du couvre-feu. Je suis en chômage partiel. Il y a des problèmes dans les quartiers, mais en tant que médiateurs, nous n’avons pas la possibilité d’agir ; en temps normal nous sommes surtout présents le soir, mais là ce n’est plus possible. Je regarde aux informations ce qu’il se passe et on m’invite sur les plateaux télé : c’est une aberration !

On sentait venir cette situation depuis longtemps ; les jeunes vont de plus en plus mal. Plus cela va mal, plus ils se sentent en insécurité, et plus ils ont tendance à se regrouper entre eux. Ils se sentent protégés par la bande. Pour exprimer leur mal-être, il leur faut un bouc émissaire, et c’est plus facile quand c’est la personne d’en face.

Néanmoins, il y a toujours de l’espoir. Tant que nous aurons la possibilité d’agir, l’espoir demeurera. Mais, il n’y a pas que les jeunes qui doivent changer, il y a aussi le comportement des adultes et la nécessaire remise en cause des acteurs sociaux ainsi que des politiques. Il faut mettre les choses à plat pour voir ce qui va et ne va pas. Car à chaque fois qu’il y a un problème, on répond par la sécurité. C’est comme si on disait aux parents : « S’il y a un souci avec vos enfants, il faut les frapper ». Souvent la réponse est « On va mettre plus de policiers », mais la bonne réponse n’est pas plus de policiers. C’est la prévention qui est vraiment nécessaire. Arrêtons de mettre autant d’argent dans la sécurité, et mettons-en plus dans la prévention.        

Merci beaucoup Yazid d’avoir répondu à nos questions ; c’est un honneur. Pour conclure, quels messages souhaiteriez-vous laisser aux formateurs bénévoles d’Auxilia ainsi qu’aux détenus apprenants d’Auxilia ?

Je n’ai jamais oublié l’aide qu’Auxilia m’a apportée lors de ma détention. Je suis très reconnaissant et je dis un grand merci à Auxilia et à tous ses bénévoles qui sont porteurs d’espoir. En ce qui concerne les détenus, je les encourage à suivre des cours auprès d’Auxilia afin que leur temps d’incarcération soit utile. Il faut faire autre chose que de regarder la télé ou jouer aux cartes, il faut utiliser son temps pour préparer et réussir sa sortie.

 Pour aller plus loin : 

 

 

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