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samedi 5 août 2023

Briançon, l’accueil des migrants n’est plus gérable .

Depuis le mois de mai, un afflux croissant de personnes converge vers le lieu d’accueil Les Terrasses solidaires, dans la ville des Hautes-Alpes. Les bénévoles peinent à héberger dignement ces nouveaux arrivants.

Reportage de Julia Pascual Briançon (Hautes-Alpes), envoyée spéciale


« Beaucoup marché dans le désert... C’est pas facile... Police tunisienne courir derrière moi... Marcher cinq jours, pas d’eau, pas d’ombre... » Il ne s’arrête plus. Sans qu’on ne lui ait posé la moindre question, Issouf (les personnes citées par leur prénom n’ont pas souhaité donner leur vrai nom) Il s’est mis à parler du parcours migratoire qu’il a engagé il y a presque six mois depuis le Burkina Faso, aux côtés de son père Abdoul.
Le garçon de 10 ans montre ses jambes, couvertes de cicatrices. Des cailloux sur lesquels il serait tombé, souvent.
« J’ai vu des cadavres, des gens mourir. Le Sahara a tué les gens, demande à papa ! Je dis la vérité », poursuit-il, agitant ses bras.
Après avoir traversé le Mali, l’Algérie et la Tunisie, Issouf et son père ont franchi la Méditerranée jusqu’à l’île italienne de Lampedusa. « Ma maman ne voulait pas qu’on traverse, elle avait peur, elle disait : “Retournez-vous”.
On a risqué la vie. Tout le monde rit maintenant. Ils sont contents. »
Fin juillet, Issouf et Abdoul ont passé à pied le col alpin de Montgenèvre, près de la frontière entre l’Italie et la France. Une route privilégiée depuis la fin de l’année 2016 et la recrudescence des contrôles policiers dans les
Alpes-Maritimes. Issouf et Abdoul ont été refoulés une première fois par la police française, avant de réussir leur passage et de gagner Briançon (Hautes-Alpes), à une quinzaine de kilomètres.
On les rencontre aux Terrasses solidaires, un ancien sanatorium de la ville, racheté 1 million d’euros en 2021 par une poignée de fondations et d’associations  telles que Refuges solidaires, Médecins du monde ou Tous migrants, et au sein duquel sont désormais accueillis les migrants en transit.
Pour faire face à l’arrivée de migrants, le réfectoire des Terrasses solidaires a été transformé en vaste dortoir, à Briançon (Hautes-Alpes)De sa route vers la France, il raconte chaque étape, les nuits passées cachés dans des champs d’oliviers à attendre les passeurs, sans bruit, les francs CFA acquittés à chaque étape, les pick-up et les marches harassantes, les nombreux refoulements de la Tunisie vers l’Algérie, les petits boulots comme aide-maçon payés 30 dinars (8,80 euros) la journée, les gens « de bonne foi » qui lui offraient à boire et à manger, ou ceux, effrayants, qui raflaient « les Noirs » et les envoyaient vers le désert.

Depuis le mois de mai, à Briançon, on constate un afflux de personnes aux Terrasses solidaires, en lien avec l’augmentation des départs depuis la Tunisie, un pays en proie à une crise économique et à une montée des
violences envers les migrants subsahariens. La nuit, ils peuvent être soixante-dix à arriver au refuge. Ces derniers jours, le nombre de personnes hébergées sur place est monté à plus de deux cents, des hommes presque
exclusivement, alors que les normes de sécurité limitent la capacité d’accueil du lieu à une soixantaine de personnes.
Des tentes ont été montées à l’extérieur du bâtiment ; le réfectoire est devenu un vaste dortoir où une quarantaine de lits de camp ont été alignés. Les personnes s’y reposent, un œil sur leur téléphone quand elles ne dorment pas, le visage enfoui sous une couverture.
« Nos stocks de nourriture s’épuisent »
Les bénévoles ont toujours connu les variations saisonnières des arrivées. A l’hiver 2021, tout juste après avoir été inauguré, le lieu avait fermé ses portes plusieurs semaines alors que quelque deux cent trente personnes s’y
trouvaient.
« On est saturé, alerte aujourd’hui encore Luc Marchello, membre du conseil d’administration des Terrasses solidaires. Ce n’est plus gérable, ni par rapport à la dignité de l’accueil ni par rapport aux tensions que cela génère.  « On demande à la préfecture d’ouvrir un centre d’hébergement mais elle nous laisse sans réponse », se désole Alfred Spira, professeur de médecine à la retraite et également membre du conseil d’administration du refuge.
Sollicités sur le sujet, les services de l’État dans le département assurent dans un mail au Monde que les demandes d’hébergement faites auprès du 115 – le Samusocial – « restent conformes au nombre constaté les années précédentes à la même époque ».
« Nos stocks de nourriture s’épuisent, les dons arrivent de façon ponctuelle. On a trois veilleurs de nuit salariés, on en voudrait bien quatre », explique pour sa part Jean Gaboriau, administrateur de l’association Refugess solidaires.
Les seuls deniers publics seraient ceux de l’agence régionale de santé, qui consacrerait environ 40 000 euros par an à la prise en charge de la blanchisserie.
Du reste, une quinzaine de bénévoles s’activent chaque jour sur place. « On est complètement accaparés par la gestion de l’accueil, témoigne Luc Marchello. En général, les personnes restent entre trois et cinq jours mais une partie ne sait pas où aller ou attend un transfert d’argent Western Union pour pouvoir acheter un billet de train. »

Abdoul et Issouf sont de ceux que personne n’attend. « Il nous faut des indices pour nous orienter. On ne connaît personne en France, confie le père, qui souhaite déposer une demande d’asile. On se mettra dans les mains des
gens qui sont gentils. » Quelques jours plus tard, il partira vers Strasbourg.
Mounir, lui, veut aller à Paris pour travailler dans la pâtisserie. Au Maroc, dont il est originaire, le salaire qu’il pouvait espérer n’atteint pas les 300 euros. « Et puis tu n’es pas déclaré et tu te fais dégager du jour au
lendemain », dit-il. Le jeune homme de 25 ans s’inquiète de la possibilité de travailler en France alors qu’il n’a pas de titre de séjour et se renseigne sur les démarches à faire pour être régularisé. Avec ses quelques compagnons
de route, originaires des villes de Marrakech, Ouarzazate, Midelt ou Tiznit, il a d’abord pris un avion vers la Turquie avant de remonter la route dite des Balkans. La plupart ont l’Espagne en ligne de mire. Pour y faire de la
soudure, de l’électricité, de la coiffure ou de l’agriculture, qu’importe. Là-bas, ont-ils compris, obtenir les papiers ne prendrait « que » deux ans et demi.

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