Hassan Zakariaa, QUID, 4/6/2025

Ils sont plus de 4 500 livreurs actifs à travailler pour Glovo au Maroc, statutairement autoentrepreneurs, mais concrètement dépendants de la plateforme
Un modèle économique fondé sur la fragilité sociale
Ils sont plus de 4 500 livreurs actifs à travailler pour Glovo au Maroc, statutairement autoentrepreneurs, mais concrètement dépendants de la plateforme. Ils paient eux-mêmes leurs charges sociales, sans bénéficier d’aucune couverture en cas d’accident ou d’arrêt temporaire. Pourtant, les accidents sont quotidiens selon des associations de livreurs.
Ce modèle précaire permet à la firme de réduire drastiquement ses coûts, au prix d’une sécurité sociale inexistante pour ceux qui l’alimentent. Si ces livreurs étaient salariés, la CNSS récupérerait, selon les calculs syndicaux, pas moins de 4 millions de dirhams de cotisations. Mais au Maroc, cette option reste en suspens. Les 4 500 livreurs n’ont, en réalité, qui ne reçoivent même pas le caisson et le casque aux couleurs et sigle de Glovo qu’ils doivent payer, utilisent leur moto propres motos et téléphones comme outil de travail, et l’application comme patron.
Une plateforme dans le collimateur du régulateur
C’est dans ce contexte que le Conseil de la concurrence, a formellement notifié fin mai 2025 à Glovo des griefs pour pratiques anticoncurrentielles. Trois accusations pèsent sur la plateforme : exploitation abusive de position dominante, pratiques de prix abusivement bas et situation de dépendance économique imposée aux partenaires commerciaux, notamment les restaurateurs.
L’enquête, initiée en février 2024, avait débuté par une perquisition au siège de Glovo à Casablanca Finance City. L’objectif était de récolter des preuves sur une structure commerciale où les restaurateurs se retrouvent captifs d’une plateforme contrôlant l’accès aux clients et la politique tarifaire.
La procédure est encore à sa deuxième phase. Glovo bénéficie de la présomption d’innocence. Mais l’exercice s’annonce tendu pour ses avocats-conseils, appelés à expliquer comment une entreprise établie en Espagne a pu, sans entrave, répliquer un modèle économique controversé dans un pays qui se cherche encore en matière de régulation numérique.
L’exemple espagnol : de l’impunité à la responsabilité
En Espagne, où Glovo est née en 2015, la justice et le législateur ont fini par trancher. En décembre 2023, après des années de bras de fer, la plateforme a dû abandonner le statut d’autoentrepreneur pour salarier ses livreurs. Une loi, surnommée "Riders Law", et des décisions successives de la Cour suprême ont imposé cette métamorphose. Contrôle via l’application, fixation des prix, sanctions en cas de refus de commande… Tout plaidait pour une relation de travail salariée.
Près de 15 000 livreurs sont concernés. Et le fondateur de Glovo, Oscar Pierre, a été convoqué par la justice, accusé de délits contre les droits des travailleurs. L’addition est salée : 265 millions d’euros de cotisations sociales non versées, plus de 200 millions d’euros d’amendes. Le groupe Delivery Hero, propriétaire de Glovo, a même provisionné jusqu’à 770 millions d’euros pour couvrir le passif.
Ce revirement espagnol est une leçon. Une démonstration que l’impunité des plateformes n’est pas une fatalité. La ministre espagnole du Travail, Yolanda Diaz, l’a résumé : « Un jeune avec un téléphone n’est pas un entrepreneur. »
Et pendant ce temps, la France légifère
En France, la mécanique se met aussi en marche. Depuis 2023, un projet de loi vise à encadrer les plateformes de travail numérique. Sans aller jusqu’à imposer le salariat, il prévoit la création de "chartes de bonnes pratiques" et la reconnaissance de certains droits collectifs pour les livreurs. Une façon d’introduire la responsabilité sociale dans un modèle qui se voulait hors sol.
Le Maroc, de son côté, assiste au débat. Il est temps de trancher. Soit on continue à faire du smartphone un faux bulletin de paie, soit on reconnaît aux livreurs ce qu’ils sont : les ouvriers modernes d’une économie qui se dématérialise sans jamais perdre son ancrage social.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire