Gideon Levy,
Haaretz ,
23/4/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Israël ne commet pas un holocauste contre le peuple palestinien. Cependant, au cours des 19 derniers mois, il s’en est rapproché à une vitesse effrayante. Cela doit être dit, et avec encore plus d’insistance aujourd’hui.
Comme chaque année, je me tiendrai au garde-à-vous lorsque la sirène retentira, et mes pensées vagabonderont. Elles passeront du souvenir de ma grand-mère et de mon grand-père, Sophie et Hugo Löwy, dont j’ai vu les noms gravés sur le mur commémoratif du vieux cimetière juif de Prague, aux images de Gaza, qui ne me quittent pas.
Depuis mon
enfance, pendant que retentissaient les sirènes, j’ai toujours imaginé un grand
incendie consumant tout. Avant la guerre de Gaza, j’imaginais des Juifs brûler
dans les flammes ; cette année, je verrai aussi les bébés brûlés vifs la
semaine dernière dans leur tente à Khan Younès, et avec eux des milliers d’enfants,de femmes et d’hommes qu’Israël a tués sans pitié.
Comment ne pas penser à l’article courageux et choquant d’Orit Kamir (Haaretz hébreu, 22 avril) sur les Israéliens qui se taisent sur cette guerre, ce qui, selon elle, leur enlève le droit de se plaindre des Allemands qui ont fait de même, et être d’accord avec chaque mot ? Ou à l’article tout aussi choquant de Daniel Blatman sur les enfants de Gaza et les enfants de l’Holocauste (Haaretz hébreu, 23 avril) ? Il écrit que le jour où les combats ont repris à Gaza restera gravé dans l’histoire juive comme un jour d’infamie. On ne peut qu’espérer que ce sera le cas.
« J’étudie l’Holocauste depuis 40 ans », écrit Blatman. « J’ai lu d’innombrables témoignages sur le génocide le plus horrible qui ait jamais existé, celui du peuple juif et d’autres victimes. Cependant, je n’aurais jamais pu imaginer, même dans mes pires cauchemars, que je lirais un jour des récits sur des massacres commis par l’État juif qui me rappellent de manière effrayante les témoignages des archives de Yad Vashem. »
Il ne s’agit
pas d’une comparaison avec l’Holocauste, mais d’un terrible avertissement sur
la direction que prennent les choses. Ne pas y penser aujourd’hui, c’est trahir
la mémoire de l’Holocauste et de ses victimes. Ne pas penser à Gaza aujourd’hui,
c’est renoncer à son humanité et profaner la mémoire de l’Holocauste. C’est un
signe avant-coureur de ce qui nous attend.
Le frère de
Zain Hijazi, un enfant de quatre ans tué lundi lors du bombardement israélien d’un
campement de tentes pour Palestiniens déplacés par le conflit, au Jazira Club
de Gaza. Photo AFP/Omar Al-Qattaa
En Israël, les gens ont tendance à affirmer que le 7 octobre est la pire catastrophe qui ait frappé le peuple juif depuis l’Holocauste. Il s’agit bien sûr d’une comparaison perverse qui dévalorise la mémoire de l’Holocauste. Il n’y a aucune similitude entre l’attaque meurtrière et ponctuelle du 7 octobre et l’Holocauste. Mais ce qui a suivi évoque bel et bien ce souvenir.
Il n’y a pas d’Auschwitz ou de Treblinka à Gaza, mais il y a des camps de concentration. Il y a aussi la famine, la soif, le transfert de personnes d’un endroit à l’autre comme du bétail et le blocus des médicaments.
Ce n’est pas encore l’Holocauste, mais l’un de ses éléments fondamentaux est en place depuis longtemps : la déshumanisation des victimes qui s’est installée chez les nazis souffle désormais avec force en Israël. Depuis la reprise de la guerre, quelque 1 600 Palestiniens ont été tués à Gaza. Il s’agit d’un bain de sang, pas d’un combat. Cela se passe non loin de chez nous, perpétré par les meilleurs de nos fils et filles. Cela se passe dans le silence et l’indifférence écœurante de la plupart des Israéliens.
Ariel
Rubinstein, lauréat du prix Israël, a publié un article profond et inspirant
(Haaretz hébreu, 22 avril), dans lequel il explique pourquoi il ne se mettra
pas au garde-à-vous cette année lorsque retentira la sirène. Je me tiendrai
debout et je penserai à ma grand-mère et à mon grand-père, mais surtout à Gaza.
“Mort des innocents” : peinture murale de l’artiste norvégien Töddel à Bergen, Norvège, juillet 2004. Les établissements d’enseignement supérieur de cette ville ont coupé leurs relations avec leurs homologues israéliens. L’œuvre a été évidemment attaquée comme “antisémite” par les organisations sionistes. « Représenter une victime de l’Holocauste avec un keffieh est une grave déformation de l’histoire », a déclaré le Congrès juif européen dans un communiqué. « De tels actes ne constituent pas une critique sincère, mais des représentations profondément antisémites et offensantes qui portent atteinte à la mémoire de l’Holocauste ».
Mais l’auteur de la fresque, l’artiste de rue norvégien anonyme Töddel, défend son œuvre, expliquant à l’Agence télégraphique juive qu’il a choisi Anne Frank précisément en raison de son respect pour l’histoire de l’Holocauste.
Töddel a déclaré ne pas être juif, mais avoir lu plusieurs fois le journal d’Anne Frank et visité les camps d’extermination d’Auschwitz-Birkenau avec ses enfants.
« Anne Frank est un symbole d’innocence », a déclaré l’artiste. « Comme les enfants et les femmes de Gaza, elle a souffert et est morte à cause de son origine ethnique et de sa religion, et parce qu’elle se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. » [NdT]
Cette autre œuvre murale, de l’artiste de rue aleXsandro Palombo* à Milan, Piazza Castello (novembre 2023) reflète bien la confusion mentale « intersectionnelle » régnant en Europe. « La fureur antisémite déclenchée par le Hamas submerge les Juifs partout dans le monde. Cette horreur qui resurgit du passé doit nous faire réfléchir tous, car elle menace la liberté, la sécurité et l'avenir de chacun d'entre nous. Le terrorisme est la négation même de l'humanité et n'a rien à voir avec la résistance. Il nous utilise pour nous diviser et nous entraîner dans l'abîme de son mal, dans un tourbillon infernal sans fin. Il ne pourra y avoir de paix tant que le terrorisme ne sera pas éradiqué. Le légitimer, c'est condamner à mort l'humanité tout entière » : dixit l’artiste, dont le travail de commande s’inscrivait dans une série intitulée « Innocence, haine et espérance ». L’Ann Frank de droite est devenue israélienne, celle de gauche palestinienne, brûlant un drapeau du Hamas. Les intervenants anonymes qui ont recouvert l’Ann Frank israélisée ont respecté celle de gauche, ne comprenant sans doute pas le message qu’elle véhiculait : que les résistants de Gaza sont les nouveaux nazis. [NdT]
*Né en 1973 dans Pouilles, milanais depuis 1992, l'artiste anonyme se présente comme un “travailleur humanitaire” ayant œuvré entre autres à la Croix Rouge, à l'aide aux réfugiés albanais et à la « lutte contre le trafic de drogue dans le détroit de Gibraltar » menée par...la marine militaire italienne.
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