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Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Une enquête menée par l’organisation humanitaire
auprès de migrants révèle qu’un quart d’entre eux ont été violentés,
parfois très gravement par la police. Le parquet de Bruxelles a ouvert
des informations judiciaires.
Morsures de chiens, doigts retournés, fouilles à nu devant du personnel féminin hilare, simulations de scènes de prostitution, menaces d’exécution assorties de commentaires du genre « finalement, tu ne vaux même pas une balle », vols de médicaments et de dossiers médicaux… Ce catalogue de brutalités est issu de cinquante et un récits glaçants recueillis par Médecins du monde Belgique. Une enquête menée auprès de migrants ou « transmigrants » – en transit dans l’espoir de se rendre en Grande-Bretagne – qui témoigne de la violence dont certains policiers usent à l’égard de jeunes hommes, parfois très jeunes, puisque près de 30 % d’entre eux sont mineurs. Elle a été conduite, entre mai et juillet, auprès de 440 témoins, sur la base des directives de l’Organisation mondiale de la santé, du protocole d’Istanbul – un manuel permettant d’enquêter sur la torture – et de la législation belge. Un quart des personnes interrogées affirment avoir été violentées, parfois très gravement. Sans susciter beaucoup de réactions dans le royaume.
« Allégations gratuites », a tranché le syndicat policier SLFP. « Si on est un minimum sain d’esprit, on sait que ce n’est pas possible »,
réagissait, le 24 octobre, son vice-président, Vincent Houssin. Le
parquet de Bruxelles a, toutefois, ouvert sept informations judiciaires
et entend faciliter
l’éventuel dépôt de plaintes. Une dizaine seulement ont été recensées
l’an dernier et le ministre de l’intérieur, le nationaliste flamand Jan
Jambon, affirme que le Comité P, qui surveille le fonctionnement des
services policiers, pourra en recueillir d’autres, « en toute indépendance ». « On
n’exclut rien, mais il est quand même difficile pour des gens qui sont
pourchassés d’aller déposer plainte auprès de ceux qui les
pourchassent », répond Pierre Verbeeren, directeur général de
Médecins du monde. Le Comité P avait déjà enquêté sur la saisie et la
destruction, en 2017, des effets personnels de migrants au parc
Maximilien de Bruxelles, où se concentrent de nombreux demandeurs
d’asile, parfois abrités pour la nuit par des bénévoles qui les prennent
en charge. Le dossier a été classé sans suite : la police des polices a
pris en compte l’obligation de détruire ces affaires en raison d’un risque présumé de contamination. Elle a aussi enregistré les « consignes spécifiques » données aux agents lors de leurs interventions.
Une majorité de l’opinion publique reste, en tout cas, indifférente,
voire hostile au rapport de Médecins du monde. Un coup d’œil sur les
sites d’information suffit à se convaincre
que les brimades évoquées dans le rapport ne sont, généralement, ni
crues ni condamnées. Elles seraient même encouragées par certains. Le secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration, Theo Francken, qui entend mener une politique migratoire très stricte, a, lui, balayé ces révélations d’un revers de la main, puisque Médecins du monde est, selon lui, « une ONG de gauche ». « Cela ne porte pas sur le fait de savoir
si l’on est pour ou contre la migration, mais sur des infractions
graves commises par des agents de police. Ces témoignages exigent une
réponse », indiquait, dans le quotidien De Standaard, l’historien et écrivain David van Reybrouck. Il y a peu de chance qu’il l’obtienne.
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