Ils sont, aujourd’hui, quelque 1 164 mineurs incarcérés dans les centres de réforme et d’éducation au Maroc. Selon un état des lieux de l’administration pénitentiaire 93% des mineurs détenus ont un niveau d’éducation ne dépassant pas le secondaire. Et un grand nombre d’entre eux ont abandonné leur cursus primaire. Ce qui atteste, avance Mounir Cherki, secrétaire général de l’Association Mama Assia des Amis des Centres de réforme, «de la vulnérabilité de ces enfants qui n’ont pas eu de chance économique, sociale ni scolaire de leur côté. Ce qui appelle une nouvelle approche de la détention qui ne doit pas être privative de liberté et d’exclusion mais plutôt une approche d’insertion et d’intégration des détenus mineurs». C’est un défi pour l’association qui, depuis sa création en 2001, œuvre pour la protection de cette catégorie de l’enfance marocaine qui est actuellement en conflit avec la loi et qui a le plus souvent été victime de violence, qui a subi les conséquences d’un divorce et qui souffre d’addiction à la drogue…
Quel que soit l’acte commis qui les conduit en prison, ces enfants doivent être accompagnés, estime le SG de l’association «Mama Assia», car «ils sont dans une tranche d’âge, soit 14-18 ans, sensible constituant un passage vers la majorité et donc la maturité. Il faut agir avec prudence afin de les encadrer et de suivre cette évolution naturelle». Et d’ajouter que «ces mineurs n’ayant pas atteint l’âge de la majorité juridique, ils ne sont donc pas légalement responsables de leurs actes. Souvent, ils ignorent même la gravité de leurs actes qui sont essentiellement le vol et la consommation de drogues. En moyenne, la durée d’emprisonnement est de 6 mois à 2 ans et très peu d’entre eux sont condamnés à 10 ans de prison».
Selon des sociologues spécialisés de la problématique de l’enfant en situation précaire «quelle que soit la durée de l’emprisonnement, celle-ci marque à jamais un enfant. Pour cela, il faut qu’il y ait une approche positive de cette étape de la vie afin d’en limiter les séquelles que peut garder un mineur et préparer l’insertion après sa sortie de prison».
Et c’est pour expliquer tout cela et sensibiliser à la fois les pouvoirs publics, la société civile et les familles concernées que l’association organise, début janvier, un séminaire sur la réhabilitation des prisonniers. «Nous avons travaillé durant les cinq dernières années avec le ministère de la justice sur le délai de la réhabilitation après la sortie de prison. Aujourd’hui, le délai est de cinq ans pour déposer une demande de réhabilitation afin d’obtenir un certificat de réhabilitation et donc avoir un casier judiciaire vierge. Lequel document est exigé par les entreprises au moment du recrutement», explique Mounir Cherki qui tient à souligner que «le choix du thème de ce séminaire n’est pas un hasard mais c’est parce que la lenteur de la procédure de réhabilitation hypothèque la réinsertion du détenu durant cinq ans après sa sortie de prison. Aujourd’hui, il est prévu de réduire le délai de cinq à deux ans».
Le Maroc compte seulement six centres de protection de l’enfance
En attendant, la réduction de ce délai et afin d’accélérer une réinsertion rapide, l’Association «Mama Assia» a développé, en partenariat avec l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH) des projets individuels dans des activités diverses comme la soudure, la menuiserie, la coiffure, la restauration rapide ou encore la pêche. Sur les cinq dernières années, l’association a développé avec succès des projets dans la pêche et la création de snacks de poisson dans la ville de Safi. Ce qui a permis, selon les responsables de l’association, de réinsérer plusieurs jeunes ex-détenus.
Par ailleurs, forte de son travail sur le terrain et de son expérience, l’Association «Mama Assia», souligne les défaillances et les limites de la prise en charge des détenus mineurs. Elle relève principalement l’insuffisance des structures d’accueil, l’absence d’équipement adéquat et adapté à cette population, le manque de ressources humaines ainsi que le manque de professionnalisme, l’absence de programmes d’animation socio-éducative et de solutions alternatives de réinsertion. Pour pallier cela, l’association a fait trois propositions notamment la création de nouveaux centres de protection de l’enfance, l’adoption d’un programme socio-éducatif et enfin la mise en place d’une justice spécifique aux mineurs.
Concernant ce dernier point, le secrétaire général ne manque pas de noter «qu’il y a eu, durant ces dernières années, une compréhension de la part des juges qui sont devenus plus sensibles à la problématique des détenus mineurs qui nécessite un traitement spécifique en vue de favoriser leur insertion. Toutefois, il faut prévoir, dans le cadre de la réforme judiciaire, des tribunaux spécialisés, une législation spécifique garantissant et préservant l’intérêt des enfants mineurs ainsi que des structures spécialisées et adaptées aux besoins de cette population». Dans un deuxième temps, l’association «Mama Assia» recommande la création de centres de protection de l’enfance dans les diverses régions du pays. Aujourd’hui, le Maroc compte six centres, dont quatre à Casablanca, un à Tanger et un à Marrakech. L’objectif est de porter le nombre de ces centres à 12, soit un par région afin d’assurer une couverture nationale dans la perspective d’éviter la cohabitation avec les prisonniers adultes. Les centres existants sont gérés par le ministère de la jeunesse et des sports et disposent d’une capacité d’accueil limitée. A titre indicatif, les centres à Casablanca ont une capacité de 40 enfants seulement. Il va sans dire que les nouveaux centres doivent être équipés de moyens techniques et dotés de ressources humaines professionnelles. Et, selon l’association, leur gestion devrait relever de la Région.
Enfin, l’association estime qu’il y a un autre défi à relever: celui de la réinsertion scolaire. «Nous en faisons une priorité car ces enfants ne doivent pas être privés du droit fondamental de la scolarisation. La reprise des études va leur donner une deuxième chance dans leur vie», dit Mounir Cherki. L’association a en effet un programme socio-éducatif spécifique pour la réinsertion scolaire. Ainsi, elle assure, dans les divers centres de protection de l’enfance et institutions pénitentiaires, des programmes de scolarisation aussi bien pour les enfants de moins de 14 ans que pour les mineurs âgés de plus de 16 ans. La réinsertion scolaire se fait dans le cadre de l’éducation formelle lorsque les enfants concernés étaient toujours scolarisés au moment de leur arrestation, tandis que ceux qui sont âgés de plus de 16 ans et qui ont abandonné l’école avant leur emprisonnement sont orientés vers l’éducation non formelle.
Au centre de réforme Ain Sebaa, 115 mineurs ont repris le chemin de l’école…
Ces programmes socio-éducatifs garantissent le droit fondamental à la scolarisation et à la formation au mineur même s’il est emprisonné. Mais, il faut noter d’autre part que la reprise du cursus scolaire est un des critères pour l’octroi de la grâce. C’est pour cela que la réinsertion scolaire constitue un défi majeur pour l’Association «Mama Assia» qui a mis en place, depuis 2005, un programme de scolarisation des mineurs détenus dans le centre de réforme et d’éducation de Oukacha. On notera que cette expérience est unique dans le pays car c’est à Casablanca que se situe ce complexe socio-éducatif pilote. Ainsi, selon Mohamed Choujaa, membre de l’association et directeur du centre, sur les 750 mineurs détenus, 115 ont repris, entre 2005 et 2018, le chemin de l’école et ont été intégrés dans des établissements scolaires relevant de 11 préfectures du Grand Casablanca (voir graphe). M. Choujaa souligne que plusieurs mineurs ont pu réintégré les établissements où ils étaient inscrits avant leur emprisonnement. Il soulignera, par ailleurs, que sur les 115 mineurs scolarisés 33% sont des filles.
Le directeur du complexe socio-éducatif tient à souligner que le programme de réinsertion scolaire est également ouvert aux détenus mineurs souhaitant se présenter en candidats libres aux examens du Certificat d’études primaires (niveau 6e), du Brevet (9e) et enfin au Baccalauréat. Un portail électronique spécifique a été lancé, en collaboration avec le ministère de l’éducation nationale, permettant au candidat de s’inscrire et de faire valider son dossier. Il aura également à signer un engagement pour passer les examens.
Pour les membres de l’association «Mama Assia», l’expérience du complexe socio-éducatif pilote de Casablanca est concluante. Preuve en est le taux de réussite atteint aux divers examens. Il se situe entre 10 et 15%, ce qui est, conclut Mohamed Choujâa, «très important si l’on considère la situation de fragilité sociale et familiale de ces enfants»…
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