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jeudi 6 février 2020

Relations sexuelles hors mariage, les Marocains disent niet

Société

Enquête L’Economiste-Sunergia:

Par Amine BOUSHABA | Edition N°:5691 Le 05/02/2020 | Partager
88% des répondants y sont opposés
Pas de différence notoire entre les tranches d’âge, les catégories sociales ou les régions
Une attitude ambiguë, selon Chakib Guessous
Voici une enquête qui va certainement refroidir tous les militants pour les libertés individuelles et particulièrement les défenseurs de la dépénalisation des relations sexuelles entre adultes consentants.  A la question «Pensez-vous que deux adultes consentants ont le droit d'avoir des relations “sexuelles” hors mariage?» l’enquête L’Economiste-Sunergia  apporte une réponse sans équivoque.
C’est un non pour 88% des répondants. Parmi ce groupe, 9% avancent  un argumentaire religieux (haram) et 79% disent ne pas être d’accord dans l’absolu. Si on rajoute une petite partie qui ne se prononce pas (4%), seuls quelque 9%  des Marocains affirment y être favorables. 
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une société où toute marque d’affection est assimilée à un outrage à la pudeur, les jeunes sont souvent obligés de se cacher pour exprimer leurs sentiments (Ph. AFP)
Autre surprise de taille, alors que l’on pourrait penser que les jeunes seraient plus propices à défendre  cette «cause», on découvre qu’ils n’y sont pas plus favorables. Parmi les 18-24 ans, seuls 10% se prononcent pour, alors que 80% y sont contre et 8% avancent un argument religieux. La tranche d’âge qui serait  la moins touchée par la question (65 ans et plus) est la plus indifférente avec 13% des répondants qui ne se prononcent pas, mais également celle qui est la plus préoccupée par l’aspect religieux (14%).
  Par ailleurs, il ne ressort de l’enquête aucune différence de taille concernant les régions. Même unanimité à condamner. 78%  des répondants dans les villes et 80% dans les campagnes se disent contre, alors que 9% des deux univers évoquent la religion. Dans le Nord-Est, le Centre ou le Sud, les résultats sont quasiment similaires. Pour rappel, le code pénal marocain dans son article 490 stipule: «Sont   punies   de   l'emprisonnement   d'un   mois   à   un   an,   toutes personnes  de  sexe  différent  qui,  n'étant  pas  unies  par  les  liens  du mariage, ont entre elles des relations sexuelles».
Ajoutez à cela la notion «d’attentat à la pudeur», servant le plus souvent à inculper des personnes pour lesquelles le flagrant n’est pas forcément établi. C’est ainsi que l’article 483 énonce: «Quiconque, par son état de nudité volontaire ou par l'obscénité de ses gestes ou de ses actes, commet un outrage public à la pudeur est puni de l'emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de 120 à 500 dirhams».
Un article qui peut donner lieu à des situations surréalistes telles que la fameuse «affaire d’Inzegane». La comparution, en 2015,  des jeunes filles, pour avoir porté tout simplement des jupes, car un homme s’étant senti offensé par leurs habits a porté plainte, avait mis en émoi la société civile.
A la lueur de ces informations, quelle lecture faire de ces résultats? Faut-il crier à la légendaire «schizophrénie des Marocains» qui font une chose et disent son contraire? Si la société marocaine majoritairement, et sans conteste, très conservatrice, force est de constater que les changements sociaux sont très visibles.
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88% des jeunes de 18-24 ans (Contre et Haram) se prononcent contre les relations sexuelles en dehors du mariage. La tranche de population la plus concernée par cette question y est visiblement farouchement opposée
La colonisation, les migrations, les médias de la globalisation, la mondialisation, la modernité… autant de  phénomènes qui sont venus transformer en profondeur les liens familiaux et sociaux dans ce Maroc du XXIe siècle. Or, le constat est que la sexualité reste l’ultime tabou et les conséquences de ce déni sont très visibles. 
Selon l’Association marocaine contre l’avortement clandestin (Amlac), chaque jour,  entre 600 et 800 interruptions de grossesse sont pratiquées illégalement au Maroc. Certaines sont effectuées par des herboristes ou «faiseuses d’anges» dans des conditions abominables. Chaque année, au Maroc, 50.000 enfants sont issus de relations extraconjugales.
Nombreux d’entre eux se retrouvent ensuite abandonnés par des mères craignant d’être mises au ban de la société. Ainsi, chaque année, quelque 8.000 nouveau-nés sont abandonnés, dont une grande partie retrouvée sans vie, parfois dans des bennes à ordures. Une situation intolérable renforcée par une législation jugée liberticide.
  En  2018, plus de 3.000 personnes ont été poursuivies pour adultère, au regard des articles 491 et 492 du code pénal, risquant un à deux ans de prison ferme. L’article 483, quant à lui,  prévoit et réprime les atteintes à la pudeur et l’outrage aux bonnes mœurs. Sont considérées comme telles, les relations sexuelles consenties entre personnes adultes, passibles d’un mois à un an de prison. 
Des groupements de la société civile ont beau s’insurger contre cette situation, à l’instar du mouvement «Hors la loi», la question reste gênante pour la plupart des Marocains. Le mouvement, initié par le collectif 490, qui a lancé une pétition destinée à être déposée au Parlement pour demander à ce que «toutes les infractions pénales portant sur les libertés individuelles» soient retirées du code pénal marocain, peine à recueillir les 5.000 signataires.
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Au Nord comme au Sud, dans le monde rural ou urbain, les réponses diffèrent très peu et les Marocains semblent unanimement contre les relations sexuelles en dehors du mariageTAB
Ces derniers doivent être inscrits sur les listes électorales pour que la pétition soit prise en compte et discutée par l’institution.  Pour le socio-anthropologue Chakib Guessous, si nos réponses sont aussi ambiguës, c’est parce que «la société marocaine est en proie à une confrontation de plusieurs systèmes de valeurs».
Pour l’auteur de «Mariage et concubinage dans les pays arabes» (édition L’Esprit du temps 2018), «les Marocains sont partagés entre une culture traditionnelle encore très présente, un afflux de culture dite “occidentale” ou universaliste et des influences de plus en plus importantes issues du Proche-Orient».
Si nos traditions sont souvent empreintes de tolérance, celles qui nous arrivent du Proche et Moyen-Orient sont beaucoup plus rigoristes, sous l’influence du Wahhabisme, analyse Guessous, alors que les valeurs occidentales vont prêcher clairement pour les libertés individuelles. «Balancé entre des versions opposées, le Marocain ne sait plus sur quel pied danser», conclut le socio-anthropologue.
Fiche technique
L’enquête Etudes rentre dans le cadre de Market Insights du groupe Sunergia. La méthodologie repose sur l’enquête téléphonique sur système CATI. L’enquête a été réalisée lors de la rentrée des vacances estivales, sur la période allant du 5 septembre au 31 octobre 2019. Au total, 6.257 personnes ont été contactées dont 1.000 entretiens réalisés. L’échantillon compte 1.000 personnes interrogées de façon aléatoire, soit une marge d’erreur de +/-3,1%. La structure de l’échantillon a été redressée de façon à appliquer exactement la structure de la population marocaine issue du recensement (RGPH 2014) du Haut-Commissariat au plan (HCP). La réalisation a été confiée aux équipes de Marketphone, filiale du groupe Sunergia à Casablanca. Cinq critères de quotas ont été appliqués: sexe, âge, milieu d’habitation, région et CSP.
Les sondés sont à 49% des hommes (490) et à 51% des femmes (510). 60% des répondants vivent en milieu urbain contre 40% en milieu rural. Les catégories socioprofessionnelles relèvent des CSP suivantes: A et B (13%), D et E (31%) ou encore C (56%). Toutes les grandes régions y sont représentées.
Amine BOUSHABA

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