Depuis la fondation de l’État marocain en 789, la femme a occupé une place prépondérante dans
les coulisses du pouvoir, à commencer par Kenza Al Awrabiya, épouse de
Moulay Idriss 1er et mère de Moulay Idriss II. C’est elle qui sera le
trait d’union entre les Arabes et Berbères.
Trois siècles plus tard, l’épouse
d’un autre Souverain obtint le titre de Reine. Il s’agit de Zaynab
Nefzaouia, connue pour ses précieux conseils au sultan Youssef Ben
Tachfine et pour ses redoutables stratégies. Quand Nouamane Lahlou a
sorti sa célèbre chanson sur la ville de Chefchaouen, tout le monde
s’est interrogé sur cette dame qui bénit la petite ville du nord jusqu’à
la fin des temps.
Sayyida Al Hurra (la dame libre)
est la fille de Moulay Ali Ben Rached, cité également dans la chanson
"Ya Chefchaouen". Née en 1485 à Grenade, elle est issue d’une noble
famille musulmane dont le père (Moulay Ali Ben Rached) fut un prince du
sultanat des Wattassides régnant sur Chefchaouen. Sayyida Al Hurra
régnera sur une autre ville du nord du Maroc pendant 30 ans après la
mort de son mari. Gouverneure de Tétouan, elle organisera des
expéditions punitives contre les Espagnols et les Portugais après la
chute du Royaume de Grenade.
Autre figure féminine avec un
fabuleux destin : Khnata Bent Bekkar. Épouse préférée du sultan Moulay
Ismaïl (XVIIe siècle), sa forte personnalité lui permit de jouer le rôle
de ministre du Souverain alaouite. Après l’intronisation de Moulay
Abdellah, elle continua à gouverner pendant 25 ans en dénouant toutes
les crises politiques...
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Feu Mohammed V en compagnie de jeunes volontaires © DR
Femmes travailleuses
Ce témoignage d’Ibn Ardoun est éloquent : «[à] la campagne […]
l’insolence est inouïe, car les femmes sortent sans voile et vont
travailler à la forêt, aux pâturages, dans les champs, à côté des
bergers et des khemmas (métayers recevant le cinquième des revenus des
domaines qu’ils cultivent, NDLR)». Le grand savant Ibn Ardoun a été témoin de la place occupée par les Marocains au XVIe siècle, estimant que cela dépassait les limites du tolérable à cette époque.
Et pourtant, que ce soit dans l'agriculture, l'artisanat ou le
commerce, les femmes ont pu au fil des siècles subvenir aux besoins de
leurs familles et préparer les futures générations de citoyens
marocains. Au fil des décennies, la femme marocaine a investi de
nouveaux métiers : pilote de ligne sur les traces de Touria Chaoui
(première femme aviatrice du Maroc et du monde arabe, NDLR), conductrice
de train, officier de police, chauffeur de taxi ou plus récemment
adoul… On remarque une féminisation des professions précédemment
occupées uniquement par des hommes.
Du ltame à la mini-jupe
À l'aube de l'indépendance du Maroc, la condition féminine reste
marquée par de profondes inégalités, comparée à celle des hommes. Aussi
bizarre que cela puisse paraître, la colonisation a exacerbé la
masculinité. À partir de là, on observera une lente évolution grâce à
l'accélération de l'urbanisation, à la structuration du monde du travail
et à la maîtrise de la maternité. Une lente évolution, mais une rupture
rapide avec certaines traditions. Les Marocaines indépendantes
s'affranchiront tout d'abord du code vestimentaire de leurs mères,
imitant ainsi la princesse Lalla Aïcha qui ôta le voile en 1947 déjà.
Des fonctionnaires portant le ltame à la fin des années 1950 devant une administration à Rabat © DR
Dans les années 1960, à bas le ltame (voile facial) et la djellaba
pour s'afficher dans l'espace public. Jupe, robe, pantalon, puis
mini-jupe, font fureur parmi les filles scolarisées et les travailleuses
au grand dam des parents conservateurs. Mais jusqu'aux années 1980, la
magie de la cohabitation entre conservateurs et modernistes opérait.
L'organisation de "Miss Plage" à Casablanca est toujours dans les
mémoires de ceux et celles qui ont vécu ces années-là.
Les finalistes du concours "Miss Plage" organisé dans les années 1980 à Casablanca © DR
«La belle époque», comme se plaît à le dire un ancien animateur de la Chaîne Inter. Une sorte de parenthèse enchantée.
Cependant, les "eighties" seront marquées par l'adoption du hijab
(nouveau voile) et du niqab (voile intégral), rien à voir avec le ltame
qui cachait le nez et la bouche, les cheveux étant cachés par le
capuchon de la djellaba. La burqa d'origine afghane fera son apparition
dans les années 1990. Aujourd'hui encore, entre habits traditionnels
(beldi) et occidentaux (roumi), la rue marocaine offre un spectacle
diversifié.
Le mouvement féministe
L'émancipation de la femme marocaine n'est pas le fruit de
l'évolution naturelle de la société. Elle découle d'une lutte sans
relâche du mouvement des femmes marocaines post-indépendance. Si au
cours de la période coloniale, la mobilisation des femmes était basée
sur une approche réformiste, mais dont la philosophie était salafiste.
Ceci étant, la femme continuera à être perçue comme épouse, éducatrice
et mère au foyer. Le mouvement féministe défendra bec et ongles la
scolarisation des filles. Après la fin du protectorat, la question des
droits des femmes est considérée comme secondaire. En 1969, feu Hassan
II eut l'idée de créer l'Union nationale des femmes marocaines (UNFM),
et qui sera rebaptisée "Union nationale des femmes du Maroc". Lors de la
création de cette union, le défunt Souverain a prononcé un discours
dans lequel il a mis l'accent sur sa mission qui était d'abord d'assurer
la prééminence de la protection et de l'immunisation des droits de la
femme face à toute fluctuation (cf. encadré). Les années 1980 ont vu
l'émergence d'autres organisations féminines comme l'Association
démocratique des femmes du Maroc (ADFM) ou l'Union de l'action féministe
(UAF). Le mouvement de lutte pour la promotion des droits de la femme
marocaine, le mouvement "8 mars", a entrepris la même année la
publication d'un mensuel qui portait le même nom. C'était là le vrai
début de la revendication de l'égalité et de la démocratie en dehors des
partis politiques.
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La réforme de la Moudawana
C’est en 1958 que le Maroc se dote d’un Code du statut personnel (la
Moudawana) définissant les relations entre les conjoints au sein du
couple. Ce code établit des principes inégalitaires entre les deux
époux, de la conclusion du mariage pour lequel seule la femme est
soumise à la tutelle d’un parent de sexe masculin, jusqu’à la vie de
famille dans laquelle l’épouse doit obéissance au mari et chef de cette
famille. Cette même loi autorise la polygamie. Quant au divorce, l’époux
en a la prérogative alors que l’épouse a droit au divorce judiciaire si
l’un de ces cinq préjudices est prouvé : défaut d’entretien, sévices,
absence du mari, vice rédhibitoire ou abstinence du mari.
Partant de là, les revendications de réforme du droit de la famille
ont vu le jour dès la publication de la Moudawana à la fin des années
cinquante. À la fin des années quatre-vingt, les associations des droits
des femmes et la gauche marocaine ont mené plusieurs actions pour
réclamer une réforme du droit familial avec comme base le référentiel
universel des droits humains suscitant des réactions virulentes de la
part des conservateurs. En 1992, le Roi, en sa qualité d’Amir Al
Mouminine (Commandeur des croyants) nomme une commission chargée de
préparer un projet de réforme en tenant compte des revendications des
associations féminines, ce qui a donné lieu à la réforme du 10 septembre
1993. Les amendements ont porté essentiellement sur la tutelle
matrimoniale qui est devenue facultative pour la jeune fille majeure
orpheline de père et sur la limitation de la pratique de la polygamie en
la plaçant sous contrôle judiciaire.
Début 2000, un Plan d’action pour l’intégration des femmes au
développement est préparé par le gouvernement d’alternance avec comme
principaux points : fixations de l’âge légal du mariage à 18 ans pour
les deux sexes, tutelle matrimoniale facultative pour la fille majeure,
attribution de la représentation légale des enfants mineurs aux deux
parents, répartition entre les deux conjoints des biens acquis durant la
période de mariage au moment de la dissolution de ce dernier. L’annonce
de ces dispositions a suscité une vive réaction au sein de la mouvance
islamique. Le 12 mars 2000, une marche soutenant le Plan d’action
gouvernemental est organisée à Rabat et une autre manifestant contre ce
projet à Casablanca. Suite à ça, le roi Mohammed VI va nommer M’hamed
Boucetta à la tête d’une commission chargée de préparer un nouveau Code
de la famille... |
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