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mercredi 6 septembre 2023

>Monsieur le ministre de l’éducation nationale, nous venons d’horizons divers ... l’éducation nationale, nous venons d’horizons divers


"Monsieur le ministre de l’éducation nationale, nous venons d’horizons divers, écrivains, philosophes, psychiatres, professeurs, chanteurs, rappeurs, acteurs, journalistes… Nous sommes des parents et grands-parents tristes, désarmés. Des citoyens en colère mais combatifs. En cette rentrée scolaire, nous vous écrivons, monsieur le ministre, pour vous faire part d’un constat qui nous brûle, qui renvoie à l’avenir de nos enfants et dont, étonnamment, personne ne parle. Parce qu’il est trop dérangeant ?

Une grande partie de nos enfants ne lisent plus et peinent à écrire. Ils peinent à écrire au sens d’articuler leur pensée et de raisonner. Nous parlons de nos enfants de 7 à 10 ans, de nos adolescents, de la génération tout-écran et bientôt intelligence artificielle [IA].

Nous parlons de la conjonction inédite de trois phénomènes majeurs dont on n’a pas encore, semble-t-il, réellement anticipé les effets, explosifs, pour les années à venir : la citoyens en colère; la toute-puissance des écrans dans le cerveau des jeunes à propos de laquelle les scientifiques, les professionnels de l’enfance et les enseignants tirent le signal d’alarme depuis des années ; l’expansion fulgurante de l’IA qui, demain, risque de penser à notre place. Nous ne voulons plus être frappés par le même déni que celui qui concerne la crise climatique.

Nous ne parlons pas ici de l’orthographe. Son niveau catastrophique n’est que la partie émergée de l’iceberg ; et « une dictée courte par jour », comme le préconisait votre prédécesseur pour redresser le niveau de français, n’y changera rien. L’expression écrite n’est pas suffisamment valorisée dans le primaire, le lieu où s’insufflent les fondamentaux, où éclot l’envie. Et ce malgré l’immense volonté des enseignants, qui exercent (avec les soignants) le métier le plus fondamental à l’heure actuelle, car ils touchent à notre nerf vital : notre jeunesse.

Donner du sens

En proie à des programmes surchargés, les professeurs ne peuvent faire avec des classes de vingt-cinq et plus en primaire (trente et plus dans le secondaire) ce que l’on peut accomplir en petits groupes, tant les niveaux sont hétérogènes, tant ils doivent si souvent gérer bien plus que les stricts apprentissages, dont des troubles de l’attention qui ne cessent d’être diagnostiqués. Alors, comme nous le disent des instituteurs, la dictée, exercice évaluatif, est souvent la principale – voire l’unique – porte d’entrée de l’écrit dans le primaire.

Savoir écrire ne se réduit pas à aligner des phrases, mais à donner du sens à ce que l’on écrit. Ce sens que nous cherchons tous et dont les enfants d’aujourd’hui, soumis à de multiples injonctions contradictoires, dans un monde volatile, virtuel et illisible pour eux, ont tellement besoin.

Apprendre à écrire, c’est apprendre à penser, à fixer ses idées, à communiquer, à s’émanciper. A développer son esprit critique. C’est être présent, s’inventer un monde intérieur. C’est pouvoir se relier à soi-même et à l’autre par les mots. Que se passera-t-il demain si ces notions essentielles à la fondation de tout être humain, de toute société, de toute civilisation sont battues en brèche ?

Nous le savons tous et c’est aussi ce qui nous rend si inquiets : la violence, les fractures sociales se nourrissent de l’absence de mots, de pensée. Et les extrêmes, si menaçants aujourd’hui, se nourrissent de la violence.

Beaucoup d’enseignants résistent, témoignant d’une foi inaltérable. Ici et là, des initiatives associatives et individuelles fleurissent aussi, telles Lire et faire lire, fondé en 1999 par Alexandre Jardin, ou Le Labo des histoires, qui depuis 2011 fait écrire chaque année quelques milliers de jeunes. En février, grâce au bouche-à-oreille, soixante-dix parents sont venus à un atelier d’écriture créative pour les 7 à 10 ans créé par Delphine Saubaber, journaliste, prix Albert-Londres, pour des petits groupes de huit enfants. L’actrice et romancière Isabelle Carré l’a rejointe pour écrire avec les ados. Tant d’autres initiatives existent mais ce sont des gouttes d’eau anonymes dans la mer.

Au soir de son investiture, le 7 mai 2022, le président de la République a dit vouloir « servir nos enfants et notre jeunesse ». Nous lisons l’énergie déployée pour réformer les retraites. Cinq cents millions d’euros débloqués pour développer l’intelligence artificielle en France. « Nous devons faire émerger cinq à dix clusters », nous dit le président, pour « créer des champions ». « Je suis pour la réussite de ceux qui investissent dans l’économie », insiste-t-il.

Créez un temps obligatoire d’écriture

Quand nous parlera-t-on de nos enfants ? Quand parlera-t-on à notre jeunesse qui grandit en sachant que la planète que nous leur laissons brûlera demain ? Ces jeunes dont les mots sont si flottants, si angoissés et si profonds, pour peu qu’on les écoute. Notre devoir est de leur léguer, en plus d’un monde vivable, le socle et la réflexion nécessaires au lieu de les laisser se perdre derrière des écrans qu’il faut apprendre à utiliser de manière consciente. « Il est grand temps de rallumer les étoiles », disait Apollinaire.

L’école, comme l’hôpital, se délite. Quelle disruption majeure donnera à ce service public qui fonctionne depuis des années à plusieurs vitesses (entre privé et public, entre quartiers, entre les parents qui ont le temps et les moyens de faire lire et écrire leurs enfants et ceux qui ne l’ont pas) la puissante reconnaissance qu’elle mérite tout en lui accordant les moyens de se refonder en profondeur ?

Vous venez, monsieur Attal, d’être nommé ministre de l’éducation nationale. Saisissez cette occasion. Redonnez déjà à l’écrit, dès le primaire, ses lettres de noblesse.

Créez dès le CE1 un temps obligatoire de trente minutes par jour d’écriture créative ou d’expression libre (écrire une lettre, un récit de science-fiction, un livre, un discours, un journal, un slam, une pièce de théâtre, une série télé, des calligrammes, une antenne radio, etc.). Mettez les enfants sur des projets qui revêtent sens et plaisir pour eux. Dégagez du temps pour les élèves, pour les enseignants.

Favorisez les petits groupes pour l’apprentissage de l’écriture. Faites entrer plus d’intervenants dans les écoles (philosophes, scientifiques, journalistes, artistes…), et surtout dans les collèges, pour épauler les professeurs et développer avec eux la pensée critique, si indispensable aujourd’hui. Etendez l’éducation aux médias. Soutenez les initiatives en dehors de l’école, les associations. Tenez un véritable discours politique sur les dérives des écrans. Et soyons réalistes : tout cela doit venir sur la base d’une revalorisation des moyens accordés prioritairement à l’éducation nationale. Plus d’enseignants, moins d’élèves par classe. C’est un chantier collectif absolument indispensable et urgent.

Nous ne voulons pas de mesurettes. Nous voulons une véritable culture de la lecture et de l’écriture, accompagnée d’un usage intelligent des nouvelles technologies. Aidons nos enfants à acquérir une pensée autonome, humaine, empathique, structurée, libre. Ils seront demain nos dirigeants politiques et économiques, nos décideurs, nos champions.

Forgeons un esprit de résistance à travers les mots, ces mots qui servent à bâtir des valeurs communes ayant pour nom tolérance, curiosité, altérité, sans quoi, demain, la pensée sera vide. Peut-on se le permettre ?

Pierre Adrian, écrivain ; Abd Al Malik, rappeur, auteur-compositeur-interprète, réalisateur ; Jean-Pierre Améris, réalisateur ; Swann Arlaud, acteur ; Yann Arthus-Bertrand, photographe, réalisateur, président de la fondation GoodPlanet ; Jacques Attali, écrivain, économiste ; Elisabeth Badinter, femme de lettres, philosophe ; Tahar Ben Jelloun, écrivain, académie Goncourt ; Alain Bentolila, professeur de linguistique à l’université Paris-Descartes ; Thomas Bidegain, scénariste ; Bertrand Bonello, réalisateur, scénariste, producteur ; Sami Bouajila, acteur ; Emmanuelle Bucco-Cancès, directrice générale des éditions HarperCollins France ; Hervé Brusini, journaliste, président du prix Albert Londres ; Manuel Carcassonne, directeur général des éditions Stock ; Véronique Cardi, directrice générale des éditions JC Lattès ; Isabelle Carré, actrice, écrivaine ; Didier van Cauwelaert, écrivain, Prix Goncourt ; Sorj Chalandon, écrivain ; Boris Cyrulnik, neurologue, psychiatre, éthologue, psychanalyste ; Jamel Debbouze, humoriste, acteur ; Vincent Dedienne, humoriste, acteur ; Carole Delga, présidente de Régions de France ; Clara Dupont-Monod, écrivaine, journaliste ; Lionel Duroy, écrivain ; Gaël Faye, rappeur, écrivain ; Cynthia Fleury, philosophe ; Eric Fottorino, journaliste, écrivain ; Bertrand Gaufryau, directeur de lycée ; Robert Gelli, procureur général honoraire, ex-directeur des affaires criminelles et des grâces ; Brigitte Giraud, écrivaine, Prix Goncourt ; Roland Gori, psychanalyste, professeur honoraire de psychopathologie à Aix-Marseille Université ; Grand Corps Malade, slameur, poète, auteur-compositeur-interprète, réalisateur ; Mahir Guven, Prix Goncourt du premier roman, directeur littéraire du label La Grenade ; Catherine Hiegel, actrice ; Delphine Horvilleur, écrivaine, rabbin ; Irène Jacob, actrice ; Hugues Jallon, président des éditions du Seuil ; Philippe Jaenada, écrivain ; Agnès Jaoui, actrice ; Alexandre Jardin, écrivain, cofondateur de Lire et faire lire ; Alexis Jenni, écrivain, Prix Goncourt ; Juliette Joste, éditrice chez Grasset ; Cloé Korman, écrivaine ; Cécile Ladjali, professeure de lettres, écrivaine, directrice du programme Baudelaire ; Dany Laferrière, écrivain, membre de l’Académie française ; Pierre Lemaitre, écrivain ; Murielle Magellan, écrivaine, réalisatrice ; Mathias Malzieu, chanteur, musicien, écrivain ; Nicolas Mathieu, écrivain, Prix Goncourt ; Mohamed Mbougar Sarr, écrivain, Prix Goncourt ; François Morel, humoriste, acteur ; Edgar Morin, sociologue, philosophe ; Marie Rose Moro, pédopsychiatre, cheffe de service de la Maison des adolescents de l’hôpital Cochin à Paris ; Pierre Nora, historien, membre de l’Académie française ; Véronique Olmi, écrivaine ; Véronique Ovaldé, écrivaine ; Anna Pavlowitch, directrice générale des éditions Albin Michel ; Magali Payen, activiste écologiste, fondatrice d’On est prêt et d’Imagine 2050 ; Daniel Pennac, écrivain ; Daniel Picouly, écrivain ; Raphael, auteur-compositeur-interprète, musicien ; Eric Reinhardt, écrivain, éditeur d’art ; Renaud, auteur-compositeur-interprète ; Matthieu Ricard, moine bouddhiste, essayiste, photographe ; Eve Ricard, orthophoniste, écrivaine ; Philippe Robinet, directeur général des éditions Calmann-Lévy ; Delphine Saubaber, journaliste, prix Albert-Londres ; Eric-Emmanuel Schmitt, écrivain ; Anne Sinclair, journaliste ; Martin Solveig, DJ, producteur ; Anne-Sophie Stefanini, romancière, éditrice ; Ahmed Sylla, humoriste, acteur ; Melissa Theuriau, journaliste, productrice de documentaires.


 







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