Par Anass ASSANOUSSI, Mediapart, 27/10/2017
Le Makhzen marocain, repose sur un mode de fonctionnement particulier,
que l'on croyait appartenir à des temps révolus, mais qui a hélas cours
jusqu'à aujourd'hui.
Le Makhzen est un mot arabe qui a donné en français le mot magasin,
et qui désigne de façon générique l'État marocain. De même que l'on
parle de la Maison Blanche, pour parler des États-Unis, du Kremlin pour
parler de la Russie, de l'Élysée pour parler de la France, et bien
lorsque l'on parle du Makhzen, il s'agit du régime marocain.
Nous allons voir ici, qu'il ne s'agit pas uniquement pas ici d'une
structure étatique, d'un gouvernement, mais également d'un mode de
fonctionnement, reposant sur une vision du monde, armé d'un appareil
répressif.
Tout d'abord, le Maroc est une monarchie, dont la dynastie au pouvoir
actuelle, les Alaouites, prétendent descendre du prophète. Au-delà du
ridicule qu'une telle assertion suscite, en 2017, il faut savoir qu'en
terre d'islam toutes les dynasties, les chefs locaux ont toujours
prétendu descendre du prophète pour donner une légitimité incontestable à
leur pouvoir, rendant impossible toute critique et toute contestation
de leur pouvoir. Ainsi, les Ottomans, pourtant Turcs ont également
prétendu descendre du prophète...alors qu'ils viennent d'Asie Centrale,
contrée pourtant assez éloignée de la Péninsule Arabique.
Ainsi, au Maroc, ce culte envers le monarque, personne inviolable et
sacrée, se retrouve dans absolument tous les médias, mais aussi dans
l'espace public. Les portraits officiels ne se retrouvent pas uniquement
dans les bâtiments officiels, mais également dans les commerces, les
restaurants, les cafés...même la moindre petite échoppe arbore à son mur
un portrait de l'auguste monarque. Ceci dit, on trouve ça et là des
personnes qui ne se plient pas à cette injonction qui ne dit pas son
nom, qui ne voient pas pourquoi elles metteraient des photos du roi dans
leurs commerces, non par défi, ou par provocation, mais tout simplement
parce que cela n'est pas nécessaire. En tout cas, le Maroc cultive un
certain culte de la personnalité.
Lors de la cérémonie d'allégeance au souverain qui a lieu chaque
année lors de la fête du Trône, tous les dignitaires courbent
littéralement l'échine, se prosternent devant le roi, montrant leur
engluement dans une cérémonie complètement archaïque, rétrograde et
dépassée. De même que lorsque l'on s'approche du roi, le quidam est prié
de lui baiser la main à plusieurs reprises, recto-verso, pour montrer
qu'il est un serviteur, un sujet dévoué corps et âmes...à défaut d'avoir
le verbe.
Cette déification du souverain, ce délire, va même jusqu'à faire dire
que lors de l'exil de Mohammed V à Madagascar par les autorités
coloniales françaises en 1952, que l'on pouvait voir son auguste face
sur la lune! Avant les Soviétiques et les Américains, avant la fusée
Ariane, le peuple marocain fit preuve d'une prouesse
mystico-technologique, qui mit en orbite l'effigie de leur roi sur la
Lune. Il doit sans doute tenir compagnie à Frank Wolff, ancien assistant
repenti du Professeur Tournesol.
L'on se demande parfois même si au Maroc, ce ne serait pas la monarchie qui serait une religion en lieu et place de l'islam.
Mais on assiste depuis plusieurs années, à un monarque qui lors de
ses déplacements fréquents en Europe, s'adonne à la pratique branchée du
selfie. Toujours cette volonté du Makhzen de donner une image lisse,
ouverte, branchée à l'Occident, pour mieux cacher ses turpitudes à
l'intérieur du royaume. Ainsi, le Maroc a toujours su habilement
capitaliser sur son image de destination paradisiaque, de pays stable,
d'oasis d'accueil pour Occidentaux en manque d'authenticité...mais il
s'est toujours trouvé des personnalités, des associations pour dénoncer
les constantes atteintes aux droits humains au Maroc, et mettre en
pleine lumière les écarts de développement entre certaines régions, la
pauvreté, l'analphabétisme toujours énormes, mais aussi encore plus
sensibles, un fléau énorme comme la prostitution, le tourisme sexuel.
Pour couronner le tout, les multiples répressions qui ont jalonné
l'histoire du Maroc depuis sa pseudo-indépendance, le Rif surtout, le
Makhzen sachant qu'il vaut mieux prévenir que guérir, distille une arme
redoutable, même si elle fonctionne moins aujourd'hui: la peur. Oui la
peur, parmi la population, en ayant recours à des arrestations
arbitraires, à la torture, aux aveux recueillis sous la contrainte,
toute une panoplie qui effraie le quidam qui avant même qu'il ne montre
la vélléité d'entreprendre quoi que ce soit. Ainsi, si vous êtez un peu
trop naïf et vous laissez exprimez votre ras-le-bol envers le chauffeur
de taxi, alors que celui-ci ne cherchait qu'à vous tirer les vers du
nez, il n'est pas rare que ce chauffeur de taxi vous dénonce à la
police. Si vous dites un peu trop haut ce que beaucoup pensent tout bas,
vous risquez de vous faire dénoncer. Cette peur qui est présente dans
tous les composantes de la société marocaine, vont jusqu'à même faire
dire aux gens de ne pas parler même chez eux car les murs ont des
oreilles.
Un autre phénomène intéressant qu'il convient de souligner, est celui
des citoyens français d'origine marocaine, ou des binationaux franco-marocains vivant en France. Bon nombre parmi eux sont hypocrites,
ne vont pas être avares de critiques envers la France, ne vont pas se
gêner pour critiquer violences policières dans l'Hexagone et à juste
titre, vouer aux gémonies Le Pen, Sarkozy, ou d'autres...mais ne disent
absolument rien sur la situation au Maroc, et encore moins dans le Rif.
Certains même approuvant la répression, insultant copieusement les
Rifains, les considérant comme des traîtres, alors que les Rifains ont
combattu le colonialisme contrairement à leur cher Makhzen, et
s'illustrant par d'abondantes injures sur les réseaux sociaux...c'est
fabuleux le courage que procure le clavier... Ces mêmes énergumènes
vantant le Maroc, et crachant sur la France, sa police, loin d'être
parfaite certes, a au moins sur le papier l'existence d'une institution
chargée de veiller aux abus, et qui a déjà sévi contre les dérives:
l'Institut Général de la Police Nationale, ou Police des polices,
surnommée "Bœufs-carottes" dans le jargon policier, série éponyme dans
laquelle jouait le regretté Jean Rochefort.
Qu'un Marocain ose porter plainte contre la police au Maroc, et c'est
lui ainsi que toute sa famille qui finit en Tagine au bœuf et aux
carottes!
Cette société marocaine qui semble engluée dans l'archaïsme, est
favorisée par le développement de l'ignorance, mais pas seulement. Un
homme éduqué même s'il n'a aucun avantage, peut viscéralement défendre
ce système, par la parole du moins, l'aimer même sincèrement, et un
homme de peu, justement peut ne plus être dupe de la propagande
officielle vantant un Maroc allant vers le progrès, embrassant l'état de
droit, ayant définitivement changé. Les défenseurs de ce système au
quotidien, outre la police, la justice aux ordres, mais aussi les
simples Marocains, sont marqués par le syndrome du larbin. Ils pensent
qu'en s'appropriant le discours officiel, ils vont s'approprier leur
puissance, alors qu'ils n'y gagnent que le déshonneur. La lecture du Discours de la servitude volontaire de La Boétie est éloquente à ce sujet.
En effet, on peut légitimement se demander comment en 2017, malgré un
beau discours de façade qui trompe de moins en moins de monde, comment
les médias au Maroc, les services de l'État peuvent encore avoir recours
au téléphone arabe, à la calomnie grosse comme une maison: en effet,
distiller constamment le soupçon chez les Rifains, les accusant tantôt
d'être séparatistes, d'être financés par le Polisario, l'Algérie,
l'argent de la drogue. Autre idée à battre en brèche, celle de Rifains trafiquants de drogue. Comme dans toute société il y a des gens honnêtes
et d'autres moins recommandables. Mais la drogue dans le Rif est présente
dans la région de Chefchaouen, Ketama, c'est à dire en pays Jbala, donc
en zone arabophone, même si on est dans le Rif. Est-ce à dire que tous
les habitants de cette zone sont des trafiquants, bien sûr que non. Mais si le trafic de cannabis est si endémique au Maroc, alors
c'est que les moyens mis en place pour lutter contre ce trafic sont
totalement inefficaces.
Autre poncif, le Hirak serait financé par l'argent de la diaspora
rifaine en Europe. Les membres de cette diaspora ont l'habitude
d'envoyer de l'argent à leurs familles restées au pays, comme le font
les membres de la diaspora marocaine en général, et comme le font toutes
les diasporas au monde qui ont du quitter les terres qui les ont vu
naître. Si cet argent peut soulager, aider les familles des détenus dans
leur long et pénible calvaire judiciaire, les aider à payer les divers
frais, à assumer le coût de la vie lorsqu'un fils aîné, un père, un mari
se trouve en prison, alors oui il n'y a pas à en rougir bien au
contraire!
Les Rifains réfutent également l'accusation de séparatisme ou autre,
car elles sont infondées, mensongères, et elles ne les détourneront pas
de leurs objectifs légitimes et pacifiques. Ce n'est d'ailleurs pas le
débat, ni la raison première de leur mobilisation.
Le Rif a été depuis des décennies une région délaissée, ignorée,
broyée, méprisée, parent pauvre des infrastructures au Maroc. Le seul
domaine dans lequel le Rif surclasse le reste du Maroc, c'est au niveau
de la militarisation, en vertu d'un décret de 1959 et qui a toujours
cours jusqu'à aujourd'hui.
Ce n'est donc pas le TGV atlantique, la COP 22 en 2016, la centrale
solaire Noor en plein désert qui vont atténuer le côté répressif de ce
Makhzen, archaïque et rétrograde. Comme on dit en rifain: "dagga rhanni
khthichine", ce n'est que du henné sur des poux. Avant d'embellir ses
cheveux au henné, on doit traiter les poux qui s'y trouvent, mais le
Makhzen n'en a cure, car c'est lui le chef de cette colonie de poux qui
sucent le sang du cuir chevelu, l'essence même de cette terre, le Maroc,
celle du Rif en particulier, car cette région ne bénéficie d'aucune
retombée de grande ampleur. Et le peuple marocain en général, les
Rifains en particulier continue de tâter du bâton répressif makhzénien,
le mépris, la hogra, l'injustice. Mais que le Makhzen se mette en tête
qu'après la mort de Mohcine Fikri rien ne sera plus jamais comme avant.
Plus que jamais, il est de notre devoir de prendra part à la
manifestation qui aura lieu à Paris le samedi 28 octobre 2017, dont le
départ est prévu à 15h30 à la Bastille - toute ressemblance avec un autre
évènement politique serait purement fortuite et indépendante de notre
volonté - pour exiger:
-La libération de tous les détenus politiques.
-Une enquête impartiale dans l'assassinat de Mohcine Fikri.
-La fin de la militarisation du Rif.
-Un dialogue constructif avec les membres du Hirak, sur la base de la plateforme de revendications légitimes qu'ils ont formulé.
Arrif negh marra, rmakhzen ra barra.
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