La mort effroyable d'un vendeur de poisson à Al-Hoceïma (nord) il y a
un an a provoqué une onde de choc profonde au Maroc, avec des mois de
manifestations populaires, des vagues d'arrestations et enfin,
récemment, l'annonce de sanctions au sommet de l'Etat.
Cette semaine, alors que s'ouvrait le procès du leader du mouvement
du "Hirak" (la mouvance), Nasser Zefzafi, le roi a limogé plusieurs
ministres et démis des hauts responsables, après un rapport énumérant
des "dysfonctionnements" et retards dans le programme de développement
destiné à Al-Hoceïma, dans la région du Rif (nord).
Les médias marocains qui parlaient de "séisme social" pendant les
manifestations qui ont agité la région du Rif évoquent aujourd'hui un
"séisme politique", une "nouvelle ère" marquée par le principe de
reddition des comptes.
Quand Mouhcine Fikri, 31 ans, meurt broyé le 28 octobre 2016 dans une
benne à ordures en tentant de s'opposer à la saisie de sa marchandise
-de l'espadon interdit à la pêche-, rien ne permettait d'imaginer cette
issue.
Les images de son décès, largement partagées sur les réseaux sociaux,
suscitent colère et indignation et des milliers de personnes
participent aux funérailles du "martyr".
Des manifestations s'organisent alors pour exiger justice et vérité. A
Al-Hoceïma, le mouvement s'étend à des revendications sociales et
économiques. La région du Rif, historiquement frondeuse, s'estime
marginalisée et les contestataires dénoncent un état de
sous-développement.
"Il n'y a pas d'universités, les infrastructures scolaires existent
mais les taux de réussite sont catastrophiques, l'hôpital est déficient.
Au niveau des grands services publics, tous les indicateurs sont
mauvais", affirme Pierre Vermeren, chercheur spécialiste du Maroc.
Etat 'corrompu'
Au fil des semaines, le mouvement monte en puissance, sans réaction
officielle. Le Maroc est alors en pleine crise gouvernementale, son
retour au sein de l'Union africaine, officialisé en janvier 2017, est la
grande priorité du palais.
"Le makhzen (pouvoir) a tablé sur l'usure mais après six mois, le
mouvement de contestation n'avait pas disparu, du fait de son ancrage
local", décrypte pour l'AFP le politologue Aziz Chahir.
Entre-temps, Nasser Zefzafi, un chômeur de 39 ans, s'est imposé comme
le visage de la contestation: avec une poignée de fidèles, il donne le
tempo, harangue les foules et dénonce l'Etat "corrompu".
En avril, première réaction des autorités: le ministre de l'Intérieur
se rend sur place, suivi en mai par une cohorte de ministres pour
accélérer des projets d'infrastructures et relancer l'économie locale.
Mais les contestataires restent sceptiques, la parole politique n'a guère de crédit dans la région.
En mai, les meneurs du "Hirak", dont Zefzafi, sont interpellés dans une vague d'arrestations visant une centaine de personnes.
"La répression a démontré les limites du système et a contribué à
discréditer les tentatives sporadiques de démocratisation, de promotion
des droits de l'Homme, de l'Etat de droit", analyse Aziz Chahir.
Les manifestations se poursuivent en juin, avec des heurts fréquents
avec les forces de l'ordre. Au fil des arrestations, le mouvement
s'affaiblit, les rassemblements se font rares. Mais la mobilisation
continue sur les réseaux sociaux, avec comme première revendication la
libération des détenus.
'Séisme politique'
Fin juillet, le roi du Maroc gracie une quarantaine de détenus. Il
évoque pour la première fois la contestation dans le Rif, estime qu'elle
a "révélé une irresponsabilité sans précédent" et pointe du doigt des
"partis aux abonnés absents" qui "ne remplissent nullement leur
mission".
Mohammed VI revient en octobre sur le sujet, dans ce que la presse
locale a baptisé le "discours du séisme politique": il estime que le
modèle de développement du pays n'est plus capable de "satisfaire les
demandes" des Marocains et dresse un état des lieux très proche des
arguments des protestataires du Rif.
Quelques jours plus tard, le palais annonce des sanctions.
"C'est la première fois que cela arrive en 18 ans de règne. Il y a
déjà eu des limogeages, mais jamais de cette ampleur. Les sanctions ont
concerné des responsables qui faisaient partie de l'establishment (...)
c'est un signal politique fort", soutient le journaliste et chercheur
Abdellah Tourabi.
"Cela montre une prise de conscience de la nécessité d'agir", estime
Pierre Vermeren. Mais selon lui, "les revendications sociales restent
urgentes et ce n'est pas le changement de ministres qui va tout régler".
Surtout, "les manifestants ont d'autres revendications, ils demandent la libération des prisonniers", selon lui.
Le comité de soutien du "Hirak" a appelé à manifester samedi dans
tout le pays pour commémorer la mort de Mouhcine Fikri et demander la
libération des détenus.
Avec AFP
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