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lundi 22 octobre 2018

Les clandestins et le roi

 





Nouvel article sur Le blog de Salah Elayoubi

Les clandestins et le roi

par salahelayoubi
Malgré les coups d’accélérateurs de son barreur, la patera qui vient de s’arracher péniblement à la petite crique de sable fin, file à petite allure plein Nord. En point de mire, la côte espagnole visible à l’horizon. Le ciel limpide et le soleil matinal font la promesse d’une belle journée d’automne et une légère brise marine qui fait à peine moutonner la  mer azur, disperse les volutes de fumée du moteur à deux temps et leurs pestilentiels relents de carburant mal brûlé.
Les passagers, sont jeunes et enjoués. Le plus âgé ne doit guère avoir plus de vingt ans. Au milieu de cette fratrie improvisée, le temps d’une traversée, une jeune femme, la seule du groupe est assise,  parmi une trentaine de garçons hilares, dans la petite barque,  au fond de laquelle traîne encore un filet de pêche.
Pendant que le canot trace son sillage, les calembours mâtinés d’un accent rifain, fusent, « Que le dernier qui part éteigne la lumière ! » ou encore « N’oubliez pas de fermer la porte derrière vous ! ». Puis les boutades se font railleries et quolibets à l’endroit de la classe politique marocaine : « Vous avez déjà tout pris, on vous laisse le pays ! ». On cite des noms, On taille une veste à l’un, on voue aux gémonies un autre. On vilipende le système politique et on crie des « Que vive le Rif et que périssent ceux qui le trahissent » ou plus surprenant encore des « Viva Espana ». Quelqu’un agite même un drapeau espagnol.  Le ton est à l’allégresse générale et aux fous rires. Le film s’arrête là.
Nul ne saura jamais ce qu’il est advenu de tous ces jeunes gens.
7 octobre 2018, 2 heures 56 GMT, Les roues arrière du Gulfstream G550 mordent l’asphalte de la piste d’atterrissage de l’aéroport du Bourget, en crissant. L’appareil roule un moment  avant de s’immobiliser en face de l’aérogare. Le temps de dévaler la petite passerelle déroulée à la hâte sur le flanc de l’avion et Mohammed VI s’engouffre avec sa suite dans les limousines qui démarrent en direction de Betz. Le roi vient d’entamer son énième séjour dans la capitale française.
Le paradoxe de la tragédie marocaine
Quelques jours seulement séparent ces deux scènes antinomiques. Rien ne semble en effet les rapprocher à première vue,  sinon l’envie irrépressible avérée de leurs protagonistes de quitter le pays. Un  paradoxe frappant  sur lequel  se fonde la tragédie marocaine.
Les premiers sont chassés par le désespoir, la misère et un régime répressif. Ils sont ceux-là mêmes que chantait Jean Ferrat,  lorsqu’il en disait qu’ « ils quittent un à un le pays, pour s'en aller gagner leur vie, loin de la terre où ils sont nés.».
Le second est attiré par le farniente, et le luxe de la vie parisienne lorsqu’il ne se trouve pas aux quatre coins du monde, suivi par tout ce que compte le Maroc de courtisanerie opportuniste.
Autre point commun, entre tous ces personnages. Aucun d’eux ne travaille.
Les premiers, accablés par la situation économique du pays sont au chômage.
Le second par pure inclination à la paresse et en raison de l’absence de toute reddition de comptes. D’autres travaillent à sa place. Une grande partie d’entre eux sont à la manœuvre du tout répressif, pour qu’une autre partie fasse tranquillement fructifier ses intérêts avec le résultat que l’on sait : l’homme s’est hissé au rang des cinq chefs d’Etats africains les plus fortunés, avec un patrimoine estimé à environ deux milliards et demi de dollars, pour ce qui en a été répertorié à ce jour.  Mais au pays où tout ce qui touche à la monarchie relève du secret d’Etat, ce chiffre pourrait bien n’être que la partie émergée de l’iceberg.  Tout cela participe des indices de développement économique et social du pays qui plongent au cent trentième (130) rang mondial.
A bord de la  frêle embarcation que rien ne destinait au transport de clandestins, il y a  un concentré de la tragédie marocaine. Ex-prisonniers politiques, élèves ou étudiants en échec scolaire, misère, chômage, exode rural, obscurantisme,………….Le pays du couchant est devenu celui du crépuscule où des millions de vies s’éteignent à peine entamées.
Pour faire oublier tout cela, le chef de l’Etat fait semblant, chaque fois qu'il fait une courte escale dans son pays,  d’inaugurer des projets gigantesques face caméra et  qui se dégonflent comme autant de ballons de baudruche, une fois l’engouement retombé et les médias aux ordres passés à un autre sujet d’espérance sans réel lendemain.
Quatre-vingt et onze pour cent (91%) des marocains ne rêvent que de quitter leur pays, dit un sondage récent. C’est dire la noirceur de destin et l’ampleur du désespoir qui se sont emparés du Maroc.
Une vie en principauté
Une frange infime de la population vit en principauté, dans un luxe insensé, dans le giron immédiat de la monarchie, tirant sa substance d’un affairisme contorsionniste fait de l’abus de passe-droits, de l’usage de la contrainte et de l’intimidation, de l’achat des consciences et de la corruption.
L’administration mise à contribution, délivre en un tournemain, autorisations et licences quand il faut  des semaines, sinon des mois au commun des mortels. Elle dispense ou « oublie » taxes, impôts, redevances et factures pour les grands,  quand elle accable les petits. Elle recrute ou adoube sur simple coup de téléphone quand elle fait mine de faire concourir les sans-noms. Elle attribue terrains, fermes, agréments, sans bourse délier.  Elle libère sur simple coup de téléphone les enfants de  nantis ou leurs parents quand elle agonit et frappe de siècles de prison les fils du peuple.
Le système semble si bien structuré qu’il en ressemble à un dispositif. En mode automatique, pour la famille royale,  les courtisans et les servants du Makhzen. En mode manuel, voire inactif pour le marocain Lambda. Un dispositif qui illustre cruellement cette citation  de l’anthropologue et psychiatre,  Gustave Le Bon :
« Un dictateur n’est qu’une fiction. Son pouvoir se dissémine en réalité entre de nombreux sous-dictateurs anonymes et irresponsables dont la tyrannie et la corruption deviennent insupportables. ».
Si le système est devenu à coup sûr insupportable pour les marocains. On peut légitimement se poser la question s’il ne serait pas devenu tout autant imbuvable à son propre initiateur, au point qu’il cherche le salut dans une incessante transhumance ?
La citation en question éclaire d’un jour particulier l’absentéisme de Mohammed VI et sa propension aux voyages incessants qui s’apparentent  tout comme l’émigration clandestine ou légale de ses compatriotes à une fuite.  A moins que l’homme ne se prépare un avenir ailleurs que dans son pays, dont tout porte à croire qu’il part à vau-l’eau ?
Le régime d’Hassan II s’était évertué à vider de sa substance son opposition et la diviser quand il ne la liquidait pas purement et simplement. Celui de Mohammed VI en fait de même des islamistes, à sa manière. Le pays qui espérait du PJD qu’il tienne ses engagements de lutter contre la corruption et la mainmise du Makhzen sur les institutions en aura été pour ses frais. Les  prédicateurs d’antan se sont fait fornicateurs. De  contempteurs du despotisme, ils  sont passés du côté de ses laudateurs. Autrefois dénonciateurs de la corruption ils l’ont sanctuarisée se  rangeant aux côtés des corrompus. Les détracteurs de la répression en sont devenus les premiers défenseurs, sinon ses supplétifs.
Vers qui se tourner dès lors que l’on a épuisé tous les recours, entre urnes, manifestations, grèves,  sit-in, blogs, dénonciations ?
Entre répression pour les uns et blanc-seing pour les autres
Le 26 septembre, la marine royale faisait feu sur une embarcation de clandestins, tuant une jeune fille de 22 ans et faisant trois blessés dont un,  dans un état critique. Le 9 octobre les militaires récidivaient blessant par balle un mineur de 16 ans qui tentait de fuir clandestinement le pays à bord d’une autre embarcation de fortune.
La répression et la défense du régime marocain sont bien la seule utilité de l’armée marocaine dont on rappelle qu’elle fut incapable de venir en aide aux six malheureux troufions que l’on avait expédiés sur l'îlot Persil et que  les unités spéciales de l'armée espagnole rossèrent et humilièrent le 18 juillet 2002.
Entre ces deux facettes de la réalité marocaine, celle des clandestins et du roi fuyant leur pays, il y a le reste de la société tétanisée par la peur du chaos,

La fin des beaux jours signe la fin de l’exode clandestin par la mer. Mohammed VI, quant à lui, n’en a cure. Il compte bien poursuivre ses pérégrinations à travers la planète, faisant peu de cas de l’état de son pays. Le parlement ne vient-il pas de lui accorder par un  vote quasi automatique 1.504.183.000 dirhams pour ses dépenses. Autant dire un blanc-seing pour une nouvelle saison de transhumance sans fin.


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