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mardi 31 décembre 2024

L’alliance militaire entre Israël et le Maroc se renforce malgré la guerre à Gaza


Israël a conclu un accord avec le Maroc pour la livraison de deux satellites espions. Ce contrat traduit l’intensification de la coopération militaire entre les deux pays, en dépit de la guerre dans la bande de Gaza.

Pascal Brunel (à Tel Aviv) et Sophie Amsili, Les Échos  , 11/7/2024

Lancement d’un satellite de reconnaissance Ofek 16 - de la même famille que les Ofek 13 vendus au Maroc - depuis la base de Palmachim dans le centre d’Israël en 2020. (Israel Ministry of Defense Spokesperson’s Office via AP/SIPA)

Israël commence à recueillir les dividendes de la paix en pleine guerre dans la bande de Gaza. Israel Aerospace Industries (IAI), le plus important groupe d’armement israélien, vient de conclure un accord pour la livraison d’ici à cinq ans de deux satellites « d’observation » de type Ofek 13 (Horizon en hébreu) au Maroc. Avec un montant d’un milliard de dollars, il s’agit du plus gros contrat entre les deux pays depuis les accords d’Abraham conclus fin 2020, qui ont permis une normalisation des relations entre l’Etat hébreu entre les Émirats, Bahreïn et le Maroc.

Les satellites israéliens vont remplacer ceux produits par Airbus actuellement en activité. Ce marché échappe ainsi au consortium européen. La censure militaire israélienne n’a pas permis de confirmer officiellement la transaction pour tenter, sans doute, d’éviter des protestations d’une partie de l’opinion publique marocaine très remontée contre Israël depuis le déclenchement de la guerre contre le Hamas, à la suite des massacres commis par ce dernier le 7 octobre.

Mais l’existence de ce contrat ne fait aucun doute. Les médias israéliens ont contourné l’obstacle en citant des sources étrangères et en révélant qu’Amir Peretz, le patron d’IAI s’est rendu discrètement ces derniers jours au Maroc. Autre indice : le groupe a informé la Bourse de Tel Aviv de la conclusion d’un accord d’un milliard de dollars, en omettant seulement de préciser le nom de l’acquéreur.

Troisième fournisseur de matériel militaire

Cet accord ne tombe pas du ciel. Il s’inscrit dans un processus de rapprochement entre les deux pays. Selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), Israël est devenu ces dernières années le troisième fournisseur de matériel militaire du Maroc avec 11 % de parts sur ce marché. En 2022, IAI avait déjà fourni plusieurs systèmes de défense aérienne de types Barak pour un montant de 540 millions de dollars. La grande majorité du matériel a déjà été livrée à l’armée marocaine. L’Etat hébreu aurait également vendu des drones de type Heron.

Cette lune de miel s’est également traduite concrètement le mois dernier. Une barge de débarquement que l’armée israélienne avait commandée aux Etats-Unis pour des transports de troupes et de matériel militaire a été autorisée à faire escale à Tanger pour s’approvisionner en carburant et nourriture. A l’inverse, l’Espagne très critique envers la guerre menée dans la bande de Gaza, avait, quelques jours plus tôt, interdit à un bateau battant pavillon danois et transportant 27 tonnes d’explosif en provenance d’Inde destiné à Israël de faire escale dans un de ses ports.

Manifestations

L’escale à Tanger avait donné lieu à une nouvelle manifestation de milliers de Marocains en soutien à Gaza, comme il y en a eu régulièrement dans les rues des grandes villes marocaines depuis le 7 octobre. Les manifestants, emmenés par des partis de gauche et des mouvements islamistes, appellent à un gel de la coopération avec Israël, voire un retour arrière dans la normalisation des relations entre les deux pays. Un sondage réalisé par le centre de recherche Arab Barometer début juin montrait également que seuls 13 % des Marocains soutiennent la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes, contre 31 % en 2022.

« Avec l’enlisement du conflit, les Marocains ne peuvent plus ignorer les images qui viennent de Gaza, l’opinion décroche », explique Antoine Basbous, associé de Forward Global et directeur de l’Observatoire des pays arabes. « Certains chefs politiques disent qu’il faut arrêter le rapprochement avec Israël, comme l’ancien Premier ministre Abdelilah Benkirane, membre du PJD qui gouvernait le Maroc lorsque le royaume a signé les accords d’Abraham. »

Mais pour Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam), ces manifestations sont loin d’atteindre leur but : « Elles ont été autorisées car elles constituent une soupape pour laisser la population s’exprimer sans que cela gêne le pouvoir marocain. Ce dernier a fait de la question de la normalisation avec Israël une question existentielle en la liant à la sécurité du royaume : dans le contexte notamment de l’influence grandissante de la Russie dans la région, il affirme qu’Israël serait le seul pays à pouvoir lui apporter un parapluie sécuritaire. »

Revanche

Histoire de consolider cette relation privilégiée avec le Maroc, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a fait un geste essentiel l’an dernier en reconnaissant officiellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental au grand dam du Front Polisario, qui exige l’indépendance de cette région avec le soutien de l’Algérie.

La vente des deux satellites israéliens a, par ailleurs, un arrière-goût de revanche vis-à-vis des groupes d’armement français, estime le quotidien économique israélien « Globes », qui rappelle que la France a annulé la participation des entreprises israéliennes au dernier Salon de l’armement Eurosatory.

« On peut supposer que cette sanction prise officiellement à propos de la guerre à Gaza a également obéi à des considérations politiques et commerciales contre la concurrence des entreprises israéliennes qui ont l’avantage d’avoir fait leurs preuves sur le terrain », a ajouté le journal. Il faisait ainsi notamment allusion à un contrat record de 3,5 milliards de dollars conclu par IAI l’an dernier avec l’Allemagne pour la fourniture de systèmes de défense anti-missiles israéliens de type Arrow 3, auquel la France s’était opposée en proposant une coopération européenne pour développer ce genre d’équipement.


lundi 30 décembre 2024

Face au Makhzen, mon amère victoire, par Ignacio Cembrero

Ignacio Cembrero, el confidencial, 29/12/2024

Traduit par Tafsut Aït Baâmrane

Face au harcèlement judiciaire par la monarchie alaouite, les journalistes peuvent se cuirasser psychologiquement. Face au soutien apporté à Rabat par les gouvernements espagnols, notamment celui du PSOE, c’est impossible. Ils torpillent la défense du journaliste. Leurs agissements font mal.

José Manuel Albares, ministre espagnol des Affaires étrangères, Pedro Sánchez, président du gouvernement de Madrid, Aziz Akhannouch, Premier ministre marocain, et Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, à Rabat en février 2024. Photo Jalal Morchidi Pool/EFE

Il était presque minuit le jeudi 19 décembre. Cela faisait déjà 12 heures que mon avocat, Javier Sánchez Moro, m’avait annoncé la grande nouvelle : le Royaume du Maroc ne ferait pas appel devant le Tribunal suprême de la décision de l’Audience provinciale de Madrid de rejet de sa plainte pour « action de jactance* », pour l’avoir accusé d’être responsable de l’espionnage de téléphones portables au moyen du programme malveillant Pegasus.

Cela faisait déjà 12 heures que j’avais diffusé la nouvelle par le biais de listes de diffusion et de réseaux sociaux , mettant ainsi fin à deux ans et demi de persécution judiciaire , précédés de huit autres années au cours desquelles le gouvernement marocain avait réussi à me faire inculper par l’Audience nationale pendant des mois pour apologie du terrorisme. Sa plainte a finalement été classée sans suite et il n’y a pas eu de procès.

Depuis le jeudi 19 à midi, j ‘ai reçu des centaines de messages de félicitations. Des confrères journalistes, des associations de presse, des hauts fonctionnaires d’institutions publiques, des hommes politiques de tout l’échiquier parlementaire, des amis ou de simples lecteurs que je ne connaissais pas me les ont envoyés en privé, mais aussi par le biais des réseaux sociaux. Parmi ceux qui m’ont écrit, il y avait même des membres du PSOE, le parti dont le secrétaire général, Pedro Sánchez, en mars 2022, s’est aligné sur la solution préconisée par le Maroc pour résoudre le conflit du Sahara occidental.

Jeudi soir, il était presque minuit et je n’en pouvais plus. Pas un seul membre du gouvernement espagnol ne m’avait félicité. Je n’en connais pas beaucoup, mais je connais une poignée de ministres et de secrétaires d’État avec lesquels j’ai partagé une table ou bavardé pendant un certain temps avant qu’ils n’entrent au gouvernement. J’ai même donné une conférence en duo avec l’un d’entre eux, organisée par le Parlement européen.

Ce soir-là, je n’en pouvais plus et j’ai envoyé un petit message privé à tous ceux qui figuraient dans mon agenda. Je leur ai dit qu’un jour comme aujourd’hui, j’aurais été heureux de recevoir les félicitations d’un membre du gouvernement espagnol. Ils ont dû le voir car, au moins sur WhatsApp, les deux petits V confirmant la réception sont apparus . Albares a été l’exception. Je ne lui ai pas écrit parce que c’est un cas désespéré si l’on en juge par les réponses évasives qu’il a toujours données aux questions parlementaires sur les plaintes du makhzen contre moi.

Ils ont dû voir le message, mais tous, sauf un, m’ont opposé le silence. Celle qui m’a répondu m’a immédiatement rappelé qu’elle avait eu une journée chargée, s’est excusée et m’a envoyé de chaleureuses félicitations. Je lui en suis très reconnaissant. Ses paroles m’ont fait plaisir, mais elles n’ont pas compensé mon mécontentement face au silence de ses collègues du gouvernement.

Ce silence rend amère ma victoire, la quatrième en justice en une décennie, contre le Maroc, son gouvernement, ses espions et, depuis peu, la monarchie alaouite sans intermédiaires. Après une décennie de harcèlement judiciaire , je suis devenu presque psychologiquement résistant à leurs attaques. Ce à quoi je ne me suis jamais habitué, c’est que ce sont mes propres compatriotes, et plus encore les sociaux-démocrates, auxquels je m’identifiais, qui ont soutenu les autorités du pays voisin dans leur harcèlement judiciaire.

Les premiers signes du soutien à Rabat contre le journaliste espagnol que je suis sont apparus quand le Parti Populaire gouvernait. Depuis la première investiture de Pedro Sánchez, ils se sont accentués. Je ne citerai que quelques exemples parmi une très longue liste. Les députés socialistes espagnols - mais pas le reste de leur groupe - ont voté au Parlement européen, le 19 janvier 2023 , contre une résolution qui, entre autres, demandait aux autorités marocaines de mettre fin au harcèlement judiciaire dont j’étais victime. Ils n’ont jamais expliqué leur vote, qui concordait avec celui des « lepénistes », l’extrême droite française.**

Un commissaire européen que je connais a laissé entendre l’ année dernière à Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères, que, pour de nombreuses raisons, il était souhaitable que Rabat retire sa plainte contre moi. Bourita a rejeté cette suggestion et s’est étonné qu’un commissaire européen s’intéresse au journaliste espagnol alors que les ministres espagnols qu’il avait rencontrés ne le faisaient pas.

J’étais bien naïf de m’attendre à ce qu’Albares intercède en ma faveur. Le gouvernement espagnol a accepté de se réconcilier avec le Maroc, en mars 2022, sans retirer les poursuites judiciaires inspirées par Rabat contre l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Arancha González-Laya, et son chef de cabinet, Camilo Villarino, pour avoir organisé l’accueil en Espagne de Brahim Ghali, le dirigeant du Polisario malade  du Covid. Des rapports du CNI [Centre national du renseignement] publiés par le quotidien El País l’attestent .

Tout ce qui a un lien avec le ministère espagnol des Affaires étrangères est, pour moi, un territoire interdit. Je n’ai jamais été invité aux briefings que les collaborateurs d’Albares ont donné, par exemple, pour expliquer le changement d’attitude sur le Sahara Occidental. La Casa Árabe de Madrid, mais c’était à l’époque où José Manuel García-Margallo était ministre, ne m’a pas permis de présenter mon livre La España en Alá (L’Espagne en Allah) à son siège. Le veto s’est même étendu à mon premier avocat, Javier Sánchez Sánchez, qui a publié un beau roman se déroulant dans les dernières années de la colonisation du Sahara par l’Espagne.

L’Institut royal Elcano a également cessé de m’inviter aux réunions à huis clos qu ‘il organisait avec des personnalités du monde islamique de passage à Madrid. Il s’est justifié auprès des autres participants en prétendant que j’avais divulgué des propos tenus « off the record » [officieusement]. Des années plus tard, l’un des premiers ministres m’a avoué dans un message privé qu’« avec le Maroc impliqué , c’était très compliqué ». Je le remercie pour sa franchise, tout comme j’apprécie la sincérité de ceux qui, à l’École diplomatique, m’ont avoué que je ne donnerais plus jamais de conférences à leurs étudiants car « il y a des instructions venues d’en haut ».

Mais il y a pire que les vétos, ce sont les barrages. En 2015, toujours avec García-Margallo à la barre, le consul d’Espagne à Paris a refusé d’accepter une déclaration d’ un journaliste du Monde que j’allais utiliser pour me défendre dans un procès intenté à Madrid par Ahmed Charai, responsable des relations publiques de la Direction générale des Études et de la Documentation (DGED), le service de renseignement extérieur et de contre-espionnage du Maroc, Le consul, sur ordre de Madrid, a dit au journaliste de s’adresser à un notaire français. Malgré cela, j’ai obtenu gain de cause.

Le département de la sécurité nationale de la Moncloa*** a, quant à lui, fourni des munitions aux avocats du Royaume du Maroc avec son rapport 2023. Il désigne deux puissances - la Russie et la Chine - pour leurs activités hostiles en Espagne, mais omet le Maroc. Les avocats du Royaume du Maroc se sont empressés de soumettre le document à l’Audience Provinciale pour prouver « l’innocence » de leur client accusé d’espionnage avec Pegasus. Le journal marocain Barlamane par exemple, proche de l’appareil sécuritaire, s’est emparé de ce rapport pour affirmer que la sentence qui annule les poursuites contre moi est pratiquement irrelevante face aux conclusions de l’équipe de la Moncloa.

À voix basse, un cadre socialiste, un collaborateur d’Albares, a expliqué que le harcèlement judiciaire dont je fais l’objet est dû au fait que je suis « anti-marocain ». Je tiens à le dire haut et fort : je ne suis pas anti-marocain, tout comme les antifranquistes n’étaient pas antiespagnols, même si la propagande de la dictature s’obstinait à les présenter comme tels.

Je passe beaucoup de temps en ligne avec des Marocains vivant dans leur pays et dans diverses parties de l’Europe. Certains d’entre eux sont des amis de longue date. Je leur dois certaines de mes exclusivités journalistiques. Je connais mon voisin et c’est pourquoi, lorsque les tensions étaient vives entre l’Espagne et le Maroc en 2021, j’ai été invité à plusieurs reprises à des réunions à huis clos pour donner mon avis sur les intentions de la maison royale marocaine, là où se trouve le véritable pouvoir.

C’était une autre époque. Maintenant que les deux voisins sont de grands amis, analyser dans des articles de presse le comportement de Rabat, y compris son utilisation massive de Pegasus pour espionner sans dépenser un dollar, c’est se mettre à dos les deux parties.

NdlT

*Acción de jactancia : action dirigée contre une personne qui se vante publiquement d’avoir un droit contre une autre afin de l’obliger à établir la réalité de ses allégations sous peine d’être vouée à un silence perpétuel.

**Cette résolution a été la première dans les 44 ans de vie du Parlement européen, critiquant le régime marocain pour atteintes à la liberté de l’information.

***Le palais de la Moncloa, à Madrid, est la résidence officielle du président du gouvernement (Premier ministre)



dimanche 29 décembre 2024

Séisme d’Al Haouz: le président de la Coalition des sinistrés incarcéré

, H24 Info, 26/12/2024 

Said Aït Mehdi, président de la «Coordination des victimes du séisme d'Al-Haouz», lors d'une conférence organisée par le Parti marocain libéral à Rabat. © DR

Said Aït Mehdi, président de la «Coordination des victimes du séisme d’Al Haouz», va comparaître devant la justice lundi prochain à Marrakech

samedi 28 décembre 2024

Chambre des représentants : adoption à la majorité du projet de loi sur la grève

 

Des milliers d’enseignants manifestent contre les conditions actuelles des contractuels, à Rabat, le 7 novembre 2023. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Rédaction LeBrief, 25/12/2024

La Chambre des représentants a adopté, mardi soir, à la majorité, le projet de loi organique définissant les modalités d’exercice du droit de grève. Sur les 165 votants, 124 se sont prononcés en faveur du texte, tandis que 41 ont voté contre. Cette séance plénière, dirigée par Rachid Talbi Alami, a également vu l’adoption de plusieurs amendements.

Parmi les modifications notables figure l’intégration des travailleuses et travailleurs domestiques dans les catégories ayant le droit de grève. Cette disposition est incluse dans l’article 2, qui élargit la définition de la grève à un arrêt collectif volontaire, visant à défendre des droits ou intérêts professionnels.

Sécurité et ordre public

Le projet permet également le recours à la justice urgente pour suspendre temporairement une grève, si celle-ci menace l’ordre public ou interrompt un service minimum.

En parallèle, plusieurs dispositions initiales ont été supprimées ou amendées. Ainsi, les interdictions des grèves par alternance et des grèves politiques ont été abrogées. De même, les peines privatives de liberté, initialement inscrites dans le texte, ont été retirées.

La commission des secteurs sociaux, qui a examiné ce projet de loi, a enregistré 334 amendements proposés par les groupes parlementaires et 56 par le gouvernement, dont certains ont été introduits tardivement lors de la séance plénière.

Lire sur le même thème
Le Front marocain contre les lois de la grève et de la retraite (FMCLGR) dénonce les récentes propositions législatives concernant le droit de grève et les réformes des retraites. 


vendredi 27 décembre 2024

Moudawana 3.0 : le débat bat son plein

 Code de la famille : la toile s’enflamme

La réforme du code de la famille marocain, ou Moudawana, fait l’objet d’un débat houleux entre partisans du changement et défenseurs des principes religieux. Alors que certaines mesures visent à moderniser les droits des femmes et à protéger les familles, elles suscitent de vives critiques, notamment pour leur supposée incompatibilité avec les préceptes de l’islam.

Depuis sa première réforme en 2004, le code de la famille marocain est au cœur des mutations sociales du Royaume. Vingt ans plus tard, un nouveau projet de réforme propose des mesures qui remettent en question certains fondements juridiques et religieux du droit familial. Ces modifications, touchant des domaines aussi sensibles que l’héritage, le mariage et la tutelle des enfants, sont applaudies par les progressistes mais rejetées par les conservateurs. Ce débat, qui dépasse le cadre juridique, met en lumière une société marocaine tiraillée entre tradition et modernité.

Les principales modifications : entre protection et transformation

Parmi les mesures les plus notables, on trouve l’exclusion de la maison conjugale de l’héritage, permettant au conjoint survivant d’en disposer sans la partager avec les autres héritiers. Une autre nouveauté concerne la reconnaissance du travail domestique de la femme, désormais considéré comme une contribution à la richesse du ménage. Cette mesure pourrait influencer la répartition des biens en cas de divorce.

D’autres changements concernent les conditions du mariage comme, l’absence de témoins musulmans ne constitue plus un obstacle à la validation de l’union, et la mère gardienne des enfants après un divorce obtient la tutelle légale sans autorisation du père. Enfin, des dispositions financières viennent compléter le projet : le mari devra subvenir aux besoins de sa femme dès la signature du contrat de mariage, même si le mariage n’est pas consommé, et les dettes contractées conjointement par les époux seront désormais prioritaires sur les dettes personnelles lors de la liquidation des biens.

Une opposition virulente au nom de la religion

Ces réformes n’ont pas tardé à susciter l’indignation de nombreux Marocains, en particulier parmi les tenants des principes religieux. Pour eux, certaines mesures violent les textes sacrés. L’exclusion de la maison conjugale de l’héritage est perçue comme une transgression des règles coraniques de répartition des biens. La reconnaissance du travail domestique de la femme est également critiquée, car elle impose une redistribution des biens qui n’est pas prévue par l’islam, sauf accord préalable dans le contrat de mariage.

Sur le plan matrimonial, l’absence de témoins musulmans est qualifiée d’atteinte aux fondements religieux du mariage, tandis que la tutelle confiée à la mère est dénoncée comme un non-respect de la primauté légale accordée au père dans le droit islamique. Enfin, l’obligation de subvenir aux besoins de l’épouse avant la consommation du mariage et la priorisation des dettes communes sur les dettes personnelles sont perçues comme des mesures injustifiées et incompatibles avec l’indépendance des patrimoines individuels.

Un débat polarisé sur les réseaux sociaux

Sur les plateformes comme X (ex-Twitter), le débat reflète la fracture entre deux visions opposées de la société. Certains dénoncent une réforme imposée sans consultation populaire, affirmant que les partis politiques et les associations sont déconnectés des aspirations réelles du peuple. «Chaque réforme de la Moudawana devrait être soumise à un référendum avant validation», peut-on lire dans plusieurs publications.

D’autres, en revanche, saluent ces changements, bien qu’ils les jugent encore insuffisants. «On doit dire Al Hamdulillah pour les petites avancées de la Moudawana», commente une internaute, tout en regrettant la persistance d’oppositions qu’elle qualifie de «sauvages».

Une réforme qui divise, mais nécessaire ?

Le débat autour du nouveau code de la famille illustre les tensions profondes qui traversent la société marocaine. D’un côté, des réformes jugées indispensables pour garantir l’égalité et protéger les plus vulnérables. De l’autre, une volonté farouche de préserver les traditions religieuses et culturelles du Royaume.

La question reste donc ouverte : le nouveau Code de la famille pourra-t-il s’imposer comme un compromis acceptable, ou accentuera-t-il les fractures d’une société en quête d’équilibre ?

Lire aussi : 

Le ministre de la Justice présente les grandes lignes de ce qui a été réalisé en matière de révision du Code de la famille 

 ➤Code de la famille : les points soulevés par le PAM 

Réforme du Code de la famille : le PJD exprime sa satisfaction

Révision du Code de la famille : vers plus d’égalité et de protection 

Réforme du Code de la famille : ce qu’en pensent les socialistes

 

jeudi 26 décembre 2024

Décès de l’historienne Latifa Guendouz

 


Le Brief.ma, 23/12/2024

Latifa Guendouz, historienne marocaine et universitaire de renom, est décédée ce samedi à Rabat, comme l’a annoncé l’association Ribat Al Fath, où elle occupait le poste de Secrétaire générale.

Enseignante-chercheuse à l’université Mohammed V de Rabat, feu Guendouz était également active au sein de l’association marocaine pour la recherche historique. Elle s’est distinguée par ses nombreuses contributions au domaine de l’histoire, notamment à travers ses ouvrages consacrés à l’histoire de l’édition et de l’imprimerie au Maroc. Ses travaux ont mis en lumière leur rôle crucial dans la promotion de la culture et du savoir au sein du Royaume.

Titulaire d’un doctorat en histoire contemporaine, elle avait également obtenu un diplôme d’études supérieures en histoire moderne et une licence en histoire de la même université.

mercredi 25 décembre 2024

Maroc : grève nationale de 3 jours des médecins du secteur public

lepetitjournalmarocain, 24/12/2024

Après une brève période de calme, les tensions dans le secteur de la santé au Maroc ont repris de plus belle. Le Syndicat indépendant des médecins du secteur public a annoncé une nouvelle série de grèves nationales qui se dérouleront les 24, 25 et 26 décembre 2024. Cette grève exclura cependant les services d’urgence et de réanimation, qui resteront opérationnels pour assurer la continuité des soins d’urgence. L’action s’inscrit dans un cadre plus large de contestation contre ce que le syndicat appelle l’“ignorance systématique” de ses revendications de la part des autorités compétentes.

Dans un communiqué particulièrement virulent publié à cette occasion, le syndicat exprime son ras-le-bol face à la politique de la « sourde oreille » adoptée par les responsables du secteur de la santé, qu’ils jugent incapables de répondre aux préoccupations légitimes des médecins. Le communiqué dénonce l’absence de toute initiative officielle pour organiser des discussions visant à apaiser les tensions actuelles dans le secteur. Malgré la gravité de la situation, le syndicat affirme que les raisons de la contestation restent intactes, notamment en ce qui concerne la gestion des ressources humaines et des conditions de travail des professionnels de santé. Le syndicat met en garde contre les risques d’aggravation de la crise si celle-ci n’est pas abordée avec une véritable volonté de changement.

En plus de la grève prévue fin décembre, le syndicat a annoncé l’organisation d’une « semaine de colère » du 30 décembre 2024 au 5 janvier 2025. Cette semaine de protestation sera marquée par plusieurs actions, dont l’arrêt de tous les examens médicaux dans les centres de diagnostic, la grève des cachets médicaux (ce qui affecterait directement les consultations privées), ainsi que la participation à une grande marche nationale à Rabat le 29 décembre pour exprimer leur mécontentement contre certaines législations, telles que celles relatives à la grève et à la réforme des retraites.

Le syndicat a également décidé de suspendre la délivrance de certains certificats médicaux, notamment ceux nécessaires pour l’obtention de permis de conduire ou d’autres documents administratifs. Seuls les certificats de maladie accompagnant un traitement continueront d’être délivrés. En outre, les médecins ont décidé de boycotter la campagne de santé scolaire ainsi que tous les programmes éducatifs, jugés insuffisants ou inadaptés. Cette décision inclut également un rejet des campagnes chirurgicales qui ne respectent pas les normes médicales strictes, des caravanes médicales ainsi que toutes les tâches administratives non directement liées à la pratique médicale, telles que la rédaction de rapports périodiques, les statistiques et les réunions administratives ou formatives.

Un autre point de tension majeur est la gestion de l’accord signé en juillet 2024, que le syndicat a refusé de ratifier. Ils expliquent que leur décision découle de la persistance des problèmes qui ont conduit à cette situation de crise. En particulier, ils déplorent la persistance des atteintes aux droits des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes, et soulignent l’absence de garanties concrètes pour préserver le statut de « fonctionnaire public », notamment en ce qui concerne la centralité des salaires. Les médecins estiment que les réformes proposées ne répondent pas aux attentes urgentes du secteur, notamment en matière de rémunération et de reconnaissance des qualifications.

En outre, le syndicat a vivement critiqué les amendements apportés au projet de loi de finances pour 2025. Selon eux, les modifications apportées sont insuffisantes et ne traitent pas de manière adéquate les préoccupations des professionnels de la santé. Ils pointent du doigt l’absence de mesures concrètes et soulignent que les décisions sont renvoyées à des textes réglementaires futurs, créant ainsi une incertitude qui accroît le mécontentement parmi les médecins.

Enfin, le syndicat a réaffirmé ses principales revendications, qui se concentrent autour de plusieurs axes essentiels. Tout d’abord, ils exigent une augmentation substantielle des salaires, qu’ils jugent non seulement nécessaires mais urgentes face à l’inflation et aux pressions économiques. Ils demandent également l’introduction de deux nouveaux grades au-delà de l’échelle actuelle des fonctionnaires de santé, pour mieux reconnaître les efforts et les qualifications des praticiens. Enfin, ils appellent à un respect strict des engagements pris par le gouvernement, en particulier ceux relatifs à la valorisation du statut de fonctionnaire public et à la gestion transparente des ressources humaines dans le secteur de la santé.

Les médecins du secteur public sont déterminés à poursuivre leur lutte et ont averti qu’ils poursuivront leurs actions tant que leurs revendications fondamentales ne seront pas prises en compte. Pour le syndicat, cette nouvelle série de protestations est un moyen de rappeler aux autorités que les conditions de travail dans le secteur de la santé doivent être urgemment améliorées, sous peine de provoquer une crise qui pourrait affecter tout le système de santé marocain.

Lire sur le même thème : Grèves des médecins du secteur public : Aux origines d’un malentendu onéreux 

mardi 24 décembre 2024

Le Paraguay reconnaît la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental suite aux bons offices d’Amir Ohana, président de la Knesset israélienne

Le Parlement paraguayen a adopté une résolution soutenant la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental après des rencontres en Israël.

 JERUSALEM POST STAFF, 19/12/2024
Traduit par Solidmar

Amir Ohana, président de la Knesset, avec le président du Parlement marocain Rachid Talbi El Alami (RNI) en juin 2023
 
Dans une percée diplomatique, le Parlement du Paraguay a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, à la suite de récentes discussions entre le président de la Knesset, Amir Ohana, et les dirigeants paraguayens. La résolution, présentée par Raúl Latorre, président de la Chambre des députés du Paraguay, a été adoptée une semaine seulement après que M. Latorre et le président paraguayen Santiago Peña ont rencontré M. Ohana lors de leur visite en Israël.

M. Ohana, fils d'immigrés marocains et défenseur des relations israélo-marocaines, a joué un rôle essentiel dans cette évolution. Lors d'une visite historique au Maroc en 2023, il a annoncé la reconnaissance par Israël de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et a mis à jour la carte de son bureau pour refléter ce changement.

Lors de ses réunions avec les responsables paraguayens, Ohana a souligné l'importance du Maroc pour le Sahara occidental et a encouragé le Paraguay à aligner sa position sur la sienne. La résolution n° 796 réaffirme le soutien à la souveraineté du Maroc, demande à l'exécutif paraguayen d'adopter cette position dans les forums internationaux et souligne l'engagement en faveur de solutions pacifiques et légales.

Cette décision historique reflète l'approfondissement des liens diplomatiques entre Israël, le Paraguay et le Maroc et met en évidence leurs valeurs communes de paix et de coopération internationale.

NDLR Solidmar

Amir Ohana, né en 1976 à Beer-Sheva d’um père né à Marrakech et d’une mère née à Ouazzane, est président de la Knesset depuis 2022 après avoir été Ministre de la Justice puis de la Sécurité intérieure dans les gouvernements Netanyahou 4 et 5.
Après avoir servi dans la police militaire, notamment dans la bande de Gaza, il a rejoint le bureau du procureur du district central au ministère de la Justice en tant que stagiaire, avant de poursuivre une carrière d’avocat pénaliste jusqu’à son intégration à la Knesset en 2015, après la démission de Silvan Shalom, ex-ministre israélien de l’Intérieur mis en cause dans une affaire de harcèlement sexuel. Il est le premier ministre israélien et le premier président de la Knesset a être ouvertement homosexuel. En 2011, il a cofondé au sein de son mouvement politique le groupe LGBT « Pride in Likud », dont il est le président depuis 2014.
Raúl Latorre, président du parlement paraguayen, a été le premier parlementaire latino-américain à se rendre en Israël depuis le 7 octobre 2023, exprimant un soutien inconditionnel à l’État juif. Il a transmis une résolution unanime de soutien à Israël adoptée par le parlement paraguayen. « Cette résolution exprime de manière significative le soutien sans équivoque de la nation paraguayenne au peuple israélien. Malgré la distance géographique qui nous sépare, notre amitié est plus étroite que jamais ; j'espère que votre prochaine visite en Israël se déroulera dans les meilleures conditions », a déclaré Ohana.
En outre, Ohama a souligné la force des relations bilatérales entre le Paraguay et Israël et a rappelé que l'inauguration prochaine de l'ambassade du Paraguay à Jérusalem est certainement l'une des occasions les plus attendues, affirmant qu'elle représente « la victoire des forces de la lumière sur les forces de l'obscurité ».
« Ensemble, nous disons à nos ennemis que nous sommes là pour rester, dans notre capitale éternelle et dans l'État d'Israël », a déclaré le président de la Knesset.
Le Paraguay fut l’un des 10 pays latino-américains à voter en faveur de la résolution 181 du 29 novembre 1947 des Nations unies sur le plan de partition de la Palestine. Il avait reconnu la RASD en février 2000, avait gelé la reconnaissance en juillet 2000, l’avait reprise en juillet 2008 et retirée en janvier 2014. Le 27 octobre 2023, il a fait partie des 14 pays qui ont voté contre la résolution de l'AG de l'ONU exigeant un cessez-le-feu à Gaza (120 pays avaient voté pour, 45 s'étaient abstenus). Le Paraguay a une population de 6 862 000 personnes, dont un millier sont juives et 220 000 d'origine arabe, principalement libanaise.

En mai 1969, constatant l'échec des tentatives de déporter des Palestiniens vers l'Australie ou le Brésil, une réunion du Cabinet israélien avait secrètement approuvé « l'encouragement à l'émigration » vers le Paraguay de 60 000 Palestiniens des territoires conquis par Israël lors de la guerre des six jours de 1967. Le document, publié mardi 11 août 2020 par le rédacteur en chef de Kan News International, Eran Cicurel , décrit les engagements pris par chaque partie, notamment le financement des vols vers le Paraguay, une garantie de 100 dollars pour chaque Palestinien expulsé de la bande de Gaza et 33 dollars pour le gouvernement d'Asuncion pour chaque personne acceptée. Le dictateur paraguayen Alfredo Stroessner (au pouvoir de 1954 à 1989) garantirait aux réfugiés une résidence permanente et faciliterait les procédures pour qu'ils obtiennent la citoyenneté dans un délai de quatre ans. Le chef du Mossad, Zvi Zamir, a déclaré que la condition posée par le dictateur était que « ces Arabes musulmans ne soient pas communistes ».
Mais seules quelques dizaines de Palestiniens acceptèrent le deal, arrivèrent à Asunción, accompagnés par un agent du Mossad, qui leur promit de revenir quelques semaines plus tard, mais ils ne le revirent jamais et ne reçurent jamais les 100 dollars promis.
Un an après l'approbation du plan, le 4 mai 1970, deux jeunes Palestiniens armés, Khaled Derwish Kassab (21 ans) et Talal al-Demasi (20 ans), se sont introduits dans l'ambassade israélienne à Asunción avec l'intention de tuer l'ambassadeur, Benjamin Varon, mais ont fini par abattre Edna Peer, la secrétaire de l'ambassadeur et l'épouse du consul. Deux ans plus tard, un tribunal paraguayen a condamné les deux hommes, identifiés comme membres de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), à 13 ans de prison. Cette attaque est entrée dans l'histoire comme la première action armée palestinienne contre une mission diplomatique israélienne dans le monde.

Ohana et Latorre en visite au kibboutz Kfar Aza, une des cibles de l’Opération Tempête d’Al Aqsa


lundi 23 décembre 2024

La ville de Milan recrute des chauffeurs de bus, tram et métro au Maroc


Cédric Amoussou, La Nouvelle Tribune, 23/12/2024

Face à une pénurie croissante de personnel dans le secteur des transports publics, les métropoles européennes multiplient les initiatives pour attirer de nouveaux talents. Milan, confrontée à un besoin pressant de main-d’œuvre qualifiée, étend désormais son horizon de recrutement vers le Maroc, illustrant une tendance qui se généralise à l’échelle du continent.

Le secteur des transports publics italien fait face à un défi majeur avec un déficit de plus de 10 000 chauffeurs à l’échelle nationale, dont 350 postes à pourvoir pour la seule ville de Milan. Pour répondre à cette situation, la société de transport public milanaise a mis en place une stratégie innovante en lançant le programme “Les Nouveaux Italiens” , une initiative visant à faciliter l’intégration professionnelle de conducteurs étrangers.

La première phase de cette campagne de recrutement international s’est d’abord concentrée sur l’Amérique latine, notamment le Pérou et l’Équateur, générant une centaine de candidatures. Fort de ce premier succès, le programme élargit maintenant son périmètre en ciblant de nouveaux pays, parmi lesquels le Maroc, mais aussi l’Albanie et le Pakistan.

Consciente des enjeux liés à l’intégration de ces nouveaux collaborateurs, la société gestionnaire des transports milanais déploie des mesures attractives. Elle propose notamment des avantages substantiels incluant le financement des permis de conduire et l’attribution de primes.

Des négociations avec les organisations syndicales sont également en cours pour revaloriser les conditions salariales et améliorer les horaires de travail. La barrière linguistique reste néanmoins un obstacle significatif dans ce processus de recrutement international. Les responsables du programme travaillent activement à l’élaboration de solutions adaptées pour surmonter ce défi.

NDLR Solidmar : L'Union internationale des transports estime qu'il manque 105 000 conducteurs en Europe, dont 10 000 rien qu'en Italie. Une situation qui est appelée à s'aggraver : d'ici 2028, on s'attend à une pénurie de 275 000 chauffeurs. En Italie, les principales causes de cette crise sont les bas salaires et le travail posté. Un nouvel employé d'ATM [Azienda Trasporti Milano], par exemple, gagne environ 1 500 euros [15 000 dirhams] par mois, ce qui ne permet pas d'affronter le coût de la vie, notamment du logement, dans la métropole italienne. 200 conducteurs ont démissionné durant les 6 premiers mois de 2024.

dimanche 22 décembre 2024

Enquête pour corruption au Parlement européen (Qatargate/Moroccogate) : des journalistes et militants marocains demandent à être parties civiles

Cinq opposants au gouvernement marocain se sont constitués parties civiles devant la justice belge, estimant que l’ingérence et la corruption présumées au sein du Parlement européen ont empêché celui-ci de condamner avec conviction les atteintes aux droits humains commises par Rabat, rapporte le quotidien Le Soir lundi.

Agence Belga, 16/12/2024

Vasco Gargalo

Ces opposants sont Ali Reda Ziane, le fils de l’avocat Mohammed Ziane, 81 ans, ex-bâtonnier et ex-ministre des Droits de l’homme, condamné à trois ans de prison ferme au Maroc; le journaliste d’investigation Omar Radi, âgé de 38 ans, il a été condamné en 2021 à six ans de prison - gracié par le roi Mohammed VI, il a été libéré en juillet dernier - pour atteinte à la sûreté de de l’Etat, viol et attentat à la pudeur; Fouad Abdelmoumni, un économiste et militant des droits de l’homme, poursuivi pour avoir dénoncé sur les réseaux sociaux l’espionnage de personnalités françaises avec le logiciel Pegasus; Hicham Mansouri, journaliste ciblé par le logiciel espion Pegasus et condamné en 2015 à dix mois de prison - il vit aujourd’hui en France. Enfin, Soulaimane Raissoumi est lui aussi journaliste et critique du gouvernement chérifien, il a - comme Omar Radi - été condamné en 2021 pour "viol avec violence et séquestration" et gracié trois ans plus tard.

Ils ont mandaté l’avocat parisien Mohamed Jaite et sa consœur bruxelloise Delphine Paci pour porter leurs constitutions de parties civiles et donc les représenter devant la chambre des mises en accusation qui, à Bruxelles, a la charge de contrôler la légalité de l’instruction ouverte en 2022. La prochaine audience aura lieu le 7 janvier 2025.

Pour l’avocate Delphine Paci, « les plaignants se sentent préjudiciés par les actions d’ingérence menées par les inculpés et par les organismes grâce auxquels ils sévissaient - dont l’ASBL Fight Impunity - pour favoriser les politiques publiques menées par le Maroc. Les inculpés ont par exemple légitimé la répression faite à l’égard des parties civiles alors qu’elles s’exprimaient contre le régime et en faveur des droits humains ».


samedi 21 décembre 2024

Simone Bitton, celle qui suture

Nadia Meflah, Astérisque, 27/9/2024

Nadia Meflah est autrice, critique,  programmatrice et formatrice cinéma. Elle est autrice d’un documentaire sur Oum Kalthoum, « La voix du Caire » (Arte, 2017) et du livre « Chaplin et les femmes » (éd. Philippe Rey). Elle est aussi scénariste pour des cinéastes du Sud, (Maroc, Mauritanie, Burkina Faso) et engagée dans des programmes de formation cinéma en France et à l’international.

Tout cinéaste documentariste s’engage dans les troubles du réel et c’est aussi un chemin que chacun et chacune emprunte afin de raconter et de témoigner ce qui fait présence, incarnation et trace. Avec Simone Bitton, cet engagement se noue, depuis ses débuts, dans les plis politiques, et donc intimes, des territoires qui nous habitent, aussi déchirants soient-ils. Portrait de Simone Bitton, Prix Charles Brabant 2024, pour l’ensemble de son œuvre.


Être une femme juive, arabe, occidentale, mais aussi française, marocaine et israélienne, qu’est-ce que ces plis et replis ? Une trinité enlacée dans l’histoire contemporaine du colonialisme comme des guerres d’indépendance. De cette filiation quasi cristallisante, la cinéaste en fera sa matière qu’elle ne cessera de malaxer, dans un travail rigoureux de mémorialiste, où le dialogue, comme le questionnement, est au service d’un engagement inaliénable contre toute forme de domination.

Et dès lors, comment renouer ce que le temps de la guerre ne cesse de dénouer ? Ce récit est connu, il remonte même au mythe ravageur d’Abel et Caïn, ce fratricide qui, depuis plus de soixante quinze ans, hante et lacère nos consciences. Et c’est parce que la cinéaste n’a jamais cessé de raconter ces récits de corps et de territoires, tant personnels que géopolitiques, qu’il faut remonter aux origines, comme on tisserait une cartographie du cœur, pour tracer un chemin unique d’existentialisme en cinéma.

Naître et vivre dans les guerres

1955 est une année cruciale pour le Maroc, c’est aussi la naissance à Rabat de la jeune Simone Bitton, fille d’un bijoutier juif marocain. L’expérience coloniale est inscrite dans l’apprentissage dès langues, car si l’arabe est sa langue maternelle, le français est celle du savoir et du pouvoir. C’est ce « butin de guerre » que tout colonisé connaît, la maîtrise de la langue de l’occupant.

Le 2 octobre 1955 marque les débuts de la guerre contre la colonisation française, jusqu’à la proclamation de l’indépendance du pays en mars 1956, mettant fin à quarante quatre ans de protectorat français. Une autre guerre se jouait déjà, celle qui débuta après la création d’Israël en mai 1948. D’une présence multimillénaire au Maroc, la communauté juive, doublement marquée par ces deux ruptures historiques, va quasiment disparaître en quelques années. En 1948, les Juifs marocains représentaient la plus grande communauté juive du monde arabe et musulman avec près de 265 000 personnes. En 2024, ils sont moins de 800.

C’est ainsi que la jeune Simone, à peine âgée de onze ans, devra quitter son pays natal pour Israël. Nous sommes en 1966, quelques mois avant la Guerre des Six jours. Comment imaginer cette adolescence pour une jeune fille qui doit apprendre une nouvelle langue dans un nouveau pays, où le sionisme, comme les réalités du colonialisme, représente sa vie quotidienne ?

Il y a une ironie de l’histoire dans ce dédoublement de la guerre coloniale qu’aura vécu, à son corps défendant, la jeune fille. Toute assignation identitaire relève du monstrueux et c’est hélas dans l’expérience indicible de la guerre que Simone Bitton la vivra. Comme toute citoyenne israélienne, la guerre est un vécu du présent, une obligation morale quasi phénoménologique. En 1973, à dix huit ans, elle se retrouve dans l’armée lors de la guerre du Kippour – nommée aussi Guerre du Ramadan. Elle vit de trop près la mort de ses camarades, non loin du canal de Suez. Traumatisée, elle sera démobilisée. Ce sera sa première guerre israélo-arabe. Un tournant décisif et radical s’opère en elle. Elle quitte Israël pour vivre bohème en Europe, avant de venir s’installer en France, à Paris.

Le cinéma, terre d’accueil

Elle a vingt ans. La capitale française n’a jamais cessé de recueillir les exilés qui y trouvent une terre d’accueil, dans cette ville du cinéma par excellence. Dans la carte du monde, le cinéma est un pays en soi, un espace qui, à cette époque post révolutionnaire, créait des nouvelles formes de langages, comme autant d’espaces de recherche. En France, des collectifs de cinéastes se créent, tels Dziga Vertov (Jean Luc Godard et Jean Pierre Gorin, 1971), Le Grain de Sable (Jean-Michel Carré, Serge Poljinsky, Yann Le Masson, 1974) ou encore Slon, Iskra et le Groupe Medvedkine, avec entre autres Juliet Berto, Bruno Muel, René Vautier, Mohamed Zinet, Inger Servolin et Chris Marker. Entre l’université de Vincennes et les salles de cinéma parisiennes, son apprentissage la plonge au cœur des récits du monde entier, notamment d’Afrique, d’Amérique latine et du monde arabe. Nourrie par cette effervescence culturelle et politique, elle a aussi été directement touchée par une autre révolution en marche, celle des femmes à la caméra, que ce soit Marguerite Duras, Nelly Kaplan, et surtout Chantal Akerman. Dans un entretien paru dans la revue 24 Images (novembre 2004), elle témoigne de l’importance fondatrice de la cinéaste :

Les premiers films d’Akerman ont réellement changé ma vie, je lui serai toujours reconnaissante d’exister, d’avoir eu le courage un peu insensé, peut-être inconscient, de dire : voici ce qu’une femme peut faire. Et une femme, vous savez, pour exister doit être meilleure que les hommes, sinon c’est perdu d’avance. Elle était meilleure que les hommes. Surtout au cadre. Elle a révolutionné le cadre et le temps. Aujourd’hui encore, je ne peux pas faire un plan-séquence sans penser à elle !

Elle poursuit sa formation en intégrant l’Institut des Hautes Études Cinématographiques (IDHEC ex FEMIS). Alors que le cinéma documentaire propose un contre modèle face au cinéma de divertissement dominant, le monde occidental, impérial et impérieux dans le commerce des images, reste mutique face à ses responsabilités, notamment ses histoires coloniales. Les blancs de l’histoire persistent, entre amnésie, déni et manipulation. Parce qu’elle porte en elle une trinité déchirante, elle deviendra la première cinéaste à raconter l’histoire de la Palestine. Avant elle, aucune archive palestinienne n’avait été montrée aux citoyens français. De fait, toute histoire tue deviendra sa matière à filmer, pour documenter le réel oblitéré par les récits dominants, qu’ils soient du pouvoir français, marocain ou israélien. Lorsqu’elle réalise ses premiers films, le cinéma documentaire est quasiment absent des salles de cinéma. Hormis quelques festivals, les documentaires ont pour seule visibilité la télévision publique.

Au nom du service public

Au début des années 80, avant la privatisation accélérée des médias par des industriels milliardaires, elle s’engage totalement au service de la télévision publique, avec l’Institut National Audiovisuel. Dans la continuité d’autres cinéastes tels que Sarah Maldoror, Robert Kramer, qui partagent avec elle l’expérience de l’exil comme du combat pour la dignité humaine, elle ne cessera d’arpenter les mémoires vivantes qui traversent la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Elle réalisera pas moins d’une douzaine de films documentaires : des portraits (Nissim et Chérie, La vie devant elles, Nos mères de Méditerranée, Citizen Bishara) une biographie politique (Ben Barka, l’équation marocaine) l’enquête (L’attentat, Rachel) des chroniques courtes sur la vie quotidienne à Ramallah (Ramallah daily) des dialogues filmés (Elias Sanbar et Serge Daney, Mahmoud Darwish) des portraits d’artistes du monde arabe (Les grandes voix de la chanson arabe).

Ces portraits intimistes de femmes, de couples, d’écrivains et d’hommes politiques s’inscrivent dans les mémoires des immigrations et d’exils, mais aussi dans le combat anticolonial. Son travail est exemplaire, où l’exigence dans la recherche historique va de pair avec le souci, chevillé au corps, de nouer un dialogue entre celles et ceux qu’elle filme et elle-même. Et surtout avec la communauté humaine à qui le film, toujours, est adressé, ce tiers inclus dès le processus de création.

Dialoguer en cinéma

Ce tiers, c’est aussi elle, dans les interstices du film, une citoyenneté inquiète et vigilante qui veut saisir ce réel assourdissant. Chacun de ses films est cette expérience de l’altérité en question et en souffrance, la sienne bien sûr, mais surtout de tout le monde. Elle crée ce cadre où se dépose des traces de vie en suspens, des vies borderline, lorsque ce ne sont pas tout simplement des disparus… Chacun est accueilli dans son cinéma, elle archive ce qui se dépose, silences comme larmes, poèmes comme colères, et peut-être aussi, parfois elle console. Elle est cette éclaireuse du langage pluriel, pour qui la parole a une fonction quasi thérapeutique, cette suture des mots qui manifeste une présence, un corps, même dans ses brisures et murmures, afin de raccorder ce que le social détruit. Que ce soit avec le poète exilé Mahmoud Darwish (Mahmoud Darwich : et la terre comme langue, 1997) avec l’essayiste Elias Senbar qui dialogue en fraternité territoriale avec le critique de cinéma Serge Daney (Conversation Nord-Sud, Daney/Sanbar, 1993) ou avec le philosophe palestinien et député au parlement israélien, Azmi Bishara, (Citizen Bishara, 2001). Le dialogue suppose une écoute, comme un désir partagé de créer un tiers lieu dans lequel chacun peut déployer les possibilités de penser/panser le monde.

Prendre à bras le corps ses filiations

Juive arabe européenne, marocaine, israélienne, française. Une réalité existentielle qui façonne son destin de cinéaste. Et, dans une évidence quasi originelle, elle devient la première réalisatrice française à prendre à bras le corps l’histoire de la colonisation palestinienne. Trois années de recherche et de travail sur les archives pour la réalisation d’une série de deux films, Palestine, Une histoire de terre, avec comme directeur de collection Jean Michel Meurice (1993). Nul ne peut échapper à la terre surtout celle qui se vit dans la guerre, et comme Rithy Panh mémorialiste du génocide cambodgien, Simone Bitton ne cessera de revenir en Israël comme en Palestine pour filmer ce qui ne fera qu’empirer. Dès 1983, soit dix ans après sa fuite de la guerre du Kippour, elle retourne en Israël pour filmer ce voyage si particulier, ce sera La réunion d’entre deux guerres.

Après son grand film documentaire d’archives sur l’histoire de Palestine, ce sera la guerre qui sans cesse la fera revenir. Le 4 septembre 1997, trois jeunes Palestiniens se sont fait sauter dans une rue piétonne de Jérusalem, causant la mort de cinq civils israéliens dont trois adolescentes. L’une d’elles était la petite-fille d’un célèbre pacifiste israélien, Mati Peled. Elle se souvient :

Je n’étais pas en Israël à ce moment-là, j’étais à Paris. Mais je suis arrivée très vite, et je me suis rendue à l’enterrement de Smadar, la petite-fille de Mati Peled, avec des amis palestiniens de Ramallah qui ont bravé le bouclage des territoires pour déposer une fleur sur sa tombe. J’ai connu Mati Peled, en son temps j’avaissoutenu la liste progressiste pour la paix, le parti politique israélo- palestinien dont il avait été député. J’étais particulièrement bouleversée par la tragédie qui s’abattait sur cette famille. Je n’avais pas de caméra ce jour-là et je ne pensais absolument pas faire un film, mais il est certain que la motivation profonde est venue de l’émotion très forte que j’ai ressentie à cet enterrement. Le film s’est fait entièrement avec les familles des victimes israéliennes et les familles des kamikazes. Mon idée était que ces gens qui avaient perdu un enfant – peut-être pas le lendemain mais quelques mois après – sauraient peut-être mieux exprimer la guerre et la paix que d’autres.

Ce sera L’Attentat (1998) qui sera primé dans de nombreux festivals.

Face au réel, seul le cinéma

Une rencontre fut décisive dans sa vie pour son passage au cinéma, ce fut avec le producteur Thierry Le Nouvel. Mais le basculement fut encore une fois une catastrophe politique. Il s’agit de la construction d’un mur, ordonnée par le gouvernement d’Ariel Sharon, entre Israël et la Cisjordanie. En 2002, Simone Bitton écoute aux informations le ministre de la défense israélien Binyamin Ben-Eliezer évoquer la possibilité de construire un mur de séparation. De ce réel quasi inimaginable, elle en fera une œuvre magistrale Le Mur, son premier film de cinéma sélectionné à Cannes en 2004 et primé dans de très nombreux festivals internationaux. Organique et abstrait, le film déroule une réalité implacable, la construction du mur, à chaque étape, qui enferme, emprisonne, sépare, éventre, érige, obstrue. Elle a choisi de filmer la matérialité même de ce mur qui s’érige comme une nouvelle espèce, totem politique délirant en béton de huit mètres de haut et de tronçons de barbelé et pourtant concret, bien là. Un sur-visible qui va jusqu’à engloutir l’écran.

Si les pouvoirs politiques ne cessent de trahir les peuples, le cinéma demeure le seul espace temps qui recueille l’indicible comme l’inaudible. La banalité du mal n’est pas tant celle du régime des images qui voit ses possibilités de langage se rétrécir, au détriment de l’imposition d’un récit unilatéral qui ne cesse de falsifier le réel, et ce par les plus hautes instances. Que peut le cinéma face à cette guerre de destruction en cours depuis plus de onze mois ? Tout, et il est évident que le cinéma documentaire relève d’une éthique du réel, et non de la manipulation telle qu’elle se déploie avec une rare férocité depuis la fascisation des sociétés occidentales. Le temps du cinéma relève du temps humain, plus encore avec Simone Bitton qui vient avec sa caméra ausculter et enregistrer ce que le discours officiel efface.

Voix matricielles

Toute langue est la matrice d’une perte, et l’hybridation linguistique dans laquelle est plongée la cinéaste crée aussi une triple absence. Serait-ce cette mère allée ? L’éternité, ultime rêve du cinéma ? Sa quatrième langue est le montage, mon beau souci, selon l’adage godardien ( Les Cahiers du cinéma, 1965). Simone Bitton est aussi et surtout monteuse, naviguant entre ses langues et la multiplicité des outils de langage que le cinéma offre. Nul sacré dans son art si ce n’est celle de la présence humaine, aussi fragile soit-elle. Il n’est pas anodin de noter que sa première réalisation, un court métrage documentaire nominé aux Césars en 1983, Solange Giraud née Taché, revient sur le suicide d’une jeune coiffeuse de province. Le suicide, ce tabou qui hante la société moderne… Une anonyme que la jeune cinéaste qu’elle est permet d’exister. La tragédie intime féminine, c’est aussi retracer les chemins de l’exil au cœur de la méditerranée, cette matrice des mondes occidentaux et orientaux. Rendre visible et audible ce que le temps politique avale. Raconter autrui pour mieux se rapprocher de soi ? Dans ce geste rimbaldien, la cinéaste est allée à la rencontre de Christiane l’Italienne, Norma la Palestinienne, Jacqueline la Juive algérienne et Nadira la Kabyle (Nos mères de Méditerranée, 1982). Lorsqu’en 1986 elle réalise La vie devant elles, documentaire sur la jeunesse, elle remonte le fil des filiations et des mémoires des immigrations françaises, invisibilisées dans le roman national. Trois ans après la Marche pour l’Égalité et contre le Racisme, le cinéma français est encore frileux à raconter son histoire des immigrations, constitutive de son roman national. Le thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef (1985) fera hélas exception durant de trop nombreuses années. C’est dire combien la cinéaste documentariste était d’une vigilance aiguisée sur tout ce qui relevait des tremblements, mémoires et blessures identitaires. Ce titre volontairement optimiste, clin d’œil à Romain Gary, restera peut-être son unique titre le plus ouvert aux espérances.

En effet, plus de vingt ans plus tard, en 2008, ce sera Rachel, son deuxième long métrage de cinéma, qui revient sur la mort d’une jeune américaine, Rachel Corrie. Âgée de vingt trois ans, cette militante pour la paix a été écrasée le 16 juin 2003 par un bulldozer de l’armée israélienne, à Rafah dans la bande de Gaza, alors qu’elle tentait de s’opposer à la destruction de maisons palestiniennes. A cette mort atroce, autant niée par l’armée israélienne que la justice du pays, la cinéaste oppose toute la rigueur d’une enquête cinématographique.

Au cinéma, le résultat de l’enquête compte moins que le fait même d’enquêter. Il s’agit de filmer et d’observer des lieux, des gens, des objets ; de recueillir des paroles, des gestes et des silences. De faire jaillir l’émotion des matières les plus froides et les plus dures, comme les images d’une caméra de surveillance ou le métal lisse d’une table d’autopsie.

Cette exigence l’amène à montrer dès le générique les images du corps démembré de la jeune Rachel, alors que le film se révèle au fil du récit une ode à la jeunesse, où la poétique affleure par la voix off de Rachel et une écriture cinématographique mixte.

El Hob, le chant de l’amour

Qu’est-ce qui relie Oum Kalthoum, Mahmoud Darwish, Farid Al Atrache et Mohamed Abdelwahab. Simone Bitton certes, mais surtout le tarab, cette émotion artistique d’intensité maximale. Cet amour qui devient extase et communion des sens entre le spectateur et le créateur, où l’âme s’élève au firmament d’une ivresse esthétique, spirituelle. Cette langue arabe qui porte en elle la puissance de la mélancolie, entre incantation à l’absolue et puissance de la perte.

En 1990, elle réalise trois portraits des stars mythiques de la chanson arabe : Oum Kalsoum, Mohamed Abdelwahab et Farid Al Atrache, suivi six ans plus tard de Mahmoud Darwich : et la terre comme langue, 1997). Leurs mots chantés, scandés, c’est l’amour, el Hob, non romantique ni même romanesque. Il n’est que perte, arrachement, quête et déracinement ; mélancolie de l’ivresse déjà évanouie, extase en suspension, toujours inaccomplie, à jamais recherchée.

Cet amour morcelé, elle le retrouvera, presque intimement, lorsqu’elle s’autorise enfin à faire son propre pèlerinage cinématographique avec Ziyara son dernier film sorti en 2002. Si la mort a dès son premier court métrage marqué de son sceau tout son cinéma, avec ce vrai faux retour au pays natal, le Maroc, elle trace un chemin d’amour par la présence ténue des morts.

Tel un spectre, elle se filme, déambulant dans les cimetières, à la recherche de quelque chose qui n’existe presque plus. Des tombes juives entretenues manuellement et quotidiennement par des femmes et des hommes arabes, musulmans. Film le plus énigmatique de sa carrière, il n’en est pas moins le plus arrimé à la politique du corps, celui de la résistance à tout, au nom de l’amour. C’est entre les tombes, dans son errance intérieure, que la cinéaste nous offre son portrait le plus lucide et aussi le plus émouvant. Aucun pays ne nous appartient, la terre nous est légère, et nous n’avons perdu ce qui jamais de fait nous avait appartenu. C’est aussi une des énigmes que le film revisite, ce qu’opère en chacun de nous un retour à quelque chose qui n’existe plus et qui fait pourtant advenir quelque chose que l’on pensait oublié. Ne serait-ce pas là tout ce que le cinéma, dès ses origines, permet et offre à l’humanité, un espace-temps ?