La libération des prisonniers politiques irlandais dans les prisons
britanniques était une question centrale dans les négociations. L’accord
de paix du Vendredi saint stipulait la libération de tous ces
prisonniers, appelés « les paramilitaires » ou « les terroristes » par
les Britanniques.
L’inimaginable devenait réalité : au total 483 prisonniers furent
libérés, dont 143 condamnés à une peine de prison à vie. Un an
auparavant déjà, en signe de « bonne volonté » de la part des
Britanniques, 13 prisonniers de l’IRA, qui se trouvaient dans la section
de sécurité maximale (SHU), en isolement total, à la prison de Belmarsh
furent transférés vers d’autres prisons, où ils pouvaient bénéficier
d’un régime carcéral plus ouvert. En juillet 2000, les derniers 87
prisonniers sortaient de la prison de Maze en Irlande du Nord. La prison
de Maze a été fermée la même année.
Rappelons-nous cet autre fait historique qui s’est produit dix ans
auparavant en Afrique du Sud. En 1989, le mouvement de libération ANC
(African National Congres) exigeait et obtenait du pouvoir raciste blanc
(le NP, National Party) la levée de l’état d’urgence, la libération de
tous les prisonniers politiques, la légalisation des organisations
dissoutes et la suspension de l’usage de la peine de mort. Sans
libération de tous les prisonniers politiques, l’ANC refusait
d’abandonner ou de suspendre la lutte armée. Ainsi, le 11 février 1990,
Nelson Mandela était libéré après 27 ans de prison. Il avait été
condamné aux travaux forcés et à la prison à perpétuité dans une prison
de haute sécurité à Robben Island. Sa libération annonçait la fin de
l’Apartheid. Au 30 avril 1991, 933 prisonniers politiques étaient
libérés.(1) En 1996, la prison à Robben Island fermait définitivement
ses portes.
Illustration que tout est possible, vraiment tout, à condition qu’il y
ait un rapport de force construit dans les luttes et suffisamment grand
pour l’imposer.
À Belfast, Biden a salué le processus de paix en Irlande du Nord en
annonçant une augmentation des investissements américains, « vu, ce sont
ces mots, le vaste potentiel économique qui se trouve ici ». Et il a
bien sûr parlé de la guerre en Ukraine. Les États-Unis ne font jamais
rien sans penser à leurs profits ou sans penser à la guerre. On peut
supposer, lutte pour la paix oblige, qu’il a mis aussi sur la table
l’adhésion de la République d’Irlande à l’OTAN, ce pays étant un des
derniers pays européens à la refuser.
Un salut à la paix on ne peut plus cynique.
À 500 km de Belfast, sur ordre des États-Unis en collaboration avec
les Britanniques, Julian Assange croupit depuis quatre ans dans la
prison de haute sécurité de Belmarsh. Julian Assange n’a pas commis
d’attentat ou un quelconque acte violent. Difficile de le taxer de
paramilitaire ou de terroriste. Julian est un journaliste qui a lutté
pour la paix. Pour la fin de la guerre en Afghanistan et en Irak, en
publiant des documents secrets, cachés au public, des crimes de guerre
commis par les États-Unis et ses alliés. Du coup, Joe Biden a dû
inventer un nouveau nom pour le lier au terrorisme : « Assange est un
cyber terroriste, un hightech terroriste », a-t-il dit. Et Pompeo, le
chef de la CIA, a ajouté : « il est temps d’appeler Wikileaks pour ce
que c’est : un service de renseignement non-étatique soutenu par des
États comme la Russie ».
Pardon, amnistie, réconciliation après les guerres du passé ?
On pourrait dire que tout cela appartient au passé, maintenant que
ces guerres ont officiellement pris fin. En Irak, le 15 décembre 2011,
après neuf ans de guerre. En Afghanistan, le 15 août 2021, après vingt
ans de guerre. Bilan : au moins 1,3 millions de personnes, et
probablement plus que 2 millions, ont été tuées pendant ces « guerres
contre la terreur » en Afghanistan, Irak et au Pakistan.(2)
À la fin de ces guerres il n’y a pas eu d’accord sur la libération
des prisonniers, comme en Irlande du Nord ou en Afrique du Sud.
Pas de fermeture de Guantanamo, comparable à la fermeture de celle de
Maze ou de Robben Island. Aucune poursuite des responsables politiques
étasuniens et britanniques par un tribunal international pour les crimes
de guerre commis, comme cela se met en place pour la guerre en Ukraine.
Pas d’excuses, pas de prise de responsabilité pour ces crimes rendus
publics par Wikileaks. Pas d’amnistie, pas d’arrêt des poursuites contre
les journalistes et les lanceurs d’alerte par leur libération de prison
ou en leur permettant de retourner dans leur pays après avoir été
forcés à l’exil.
Pourquoi n’assiste-t-on pas à un accord de paix ?
Tout d’abord, l’accord de paix conclu en Irlande du Nord ne
signifiait pas la défaite de l’impérialisme britannique. Certes, la
résistance irlandaise obtenait des progrès politiques et sociales
considérables, mais pas la fin de l’occupation britannique de cette
partie de l’Ile. C’était une situation où les deux parties étaient à
bout de forces après trente ans de guerre.
En Afghanistan, les États-Unis (et l’OTAN) ont subi une défaite
sanglante, qui les a humiliés aux yeux du monde entier. Cette défaite
historique, après vingt ans de guerre, est loin d’être digérée et, tout
comme la défaite des EU au Vietnam, elle ne le sera probablement jamais.
Ce qui explique en partie l’esprit de vengeance et de représailles, œil
pour œil, dent pour dent, qui sont les leitmotivs de l’appareil
politique, militaire et judiciaire des États-Unis et dont Julian Assange
et ses camarades sont victimes. Celui ou celle qui, comme Assange,
était du mauvais côté dans la guerre en Afghanistan et en Irak, en
paiera le prix et subira une politique d’extermination jusqu’au bout,
jusqu’à la mort.
Une deuxième raison est que la « Global War on Terror », la guerre
mondiale contre le terrorisme, lancée par le président Bush en 2001,
n’est pas une guerre comme les autres. Elle est par définition une
guerre sans tranchées, sans frontières, une guerre qui se déplace de
continent en continent, une guerre sans fin, une guerre sans accord de
paix en perspective. Il suffit de lire la récente publication du
département d’État, intitulée « Terrorism Still a Pervasive Threat
Worldwide » (le terrorisme : une menace toujours omniprésente à
l’échelle mondiale), qui annonce de nouvelles guerres contre le
terrorisme. (3) De ces nouvelles guerres coloniales, les Assange, les
lanceurs d’alerte ou autres fouineurs doivent être écartées une fois
pour toutes.
Une troisième raison est qu’après la fin de la « guerre froide », les
tambours de la guerre résonnent à nouveau. La guerre en Ukraine (et la
défaite de la Russie) doivent rétablir la confiance perdue dans la
surpuissance des EU de diriger le monde. Un conflit mondial entre les
EU-OTAN d’un côté et la Russie et la Chine de l’autre se dessine à
l’horizon. Les conséquences au niveau de la liberté de la presse sont un
prélude de ce qui nous attend. Pour ceux et celles qui pensent que la
liberté de la presse est uniquement menacée en Russie et en Chine, voici
quelques exemples de ce qui se passe dans notre camp. « Aux États-Unis,
il n’y a aucun média grand public qui semble prêt à publier ne fût-ce
qu’un appel à arrêter la livraison d’armes à l’Ukraine ou même de
plaider pour des négociations en Ukraine, écrit Counterpunch, Il y
a même un blackout sur les nouvelles concernant le (petit) mouvement
contre la guerre qui est en train de se construire ».(4) Ce n’est pas
uniquement le cas aux Etats-Unis. En Europe, des médias comme
RT/RussiaToday ou Sputnik sont interdits. En 2022, l’Ukraine publie une
liste noire de politiciens et journalistes européens et étasuniens
« pro-russes », dont le journaliste Glen Greenwald. Au sein des grands
médias, la chasse aux journalistes considérés comme « pro-Russe » ou
« pro-Poutine », par des menaces, leur licenciement, le gel de leurs
avoirs a bel et bien commencé.(5)
C’est pourquoi Assange est toujours en prison. Il est l’avertissement
à tous les journalistes : vous allez subir le calvaire de Julian
Assange si vous osez nous critiquer.
Le mouvement contre la guerre au Vietnam a libéré Daniel Ellsberg.
Daniel Ellsberg était un analyste militaire qui a travaillé pour l’armée des EU. En juin 1971, il a divulgué les Pentagon Papers,
des documents secrets qui exposaient les mensonges du gouvernement des
EU dans la guerre du Vietnam. Le 3 janvier 1973, Ellsberg a été inculpé
en vertu de la même loi que celle par laquelle Assange est inculpé
aujourd’hui : l’Espionage Act de 1917, en plus des accusations
de vol et de conspiration. Il risquait alors une peine maximale de 115
ans. : « Ce dont Assange est coupable, je le suis aussi, a déclaré
Daniel Ellsberg, nos motivations sont les mêmes. La différence est que
j’étais une source, lui un éditeur. Je me reconnais complètement en lui.
Les publications de WikiLeaks sur les guerres en Afghanistan et en Irak
ont montré que la torture est devenue la chose la plus normale au
monde. Les publications de WikiLeaks sont l’une des révélations les plus
importantes et les plus véridiques du comportement secret et criminel
de l’État dans l’histoire des EU. Le public étasunien avait le droit de
savoir ce qui était fait en son nom. La publication non autorisée de
documents secrets était le seul moyen d’accorder ce droit au peuple »
(6).
Les autorités des EU ont mis en place des écoutes illégales contre
Ellsberg, des cambriolages chez son psychiatre pour tenter de le
discréditer, et ils y avaient, tout comme dans l’affaire Assange, des
plans pour l’éliminer physiquement. Mais contrairement à Assange,
Ellsberg n’a pas été envoyé en prison en attendant son procès. Le 11 mai
1973, le tribunal a même abandonné toutes les charges contre Ellsberg.
Pourquoi ?
Parce qu’Ellsberg était entouré par « le mouvement contre la guerre
au Vietnam qui était le plus large et le plus organisé jamais connu dans
l’histoire des Etats-Unis »(7). À partir de 1964 jusqu’à la fin de la
guerre en 1975, des centaines de milliers de jeunes, des syndicats,
groupes religieux, organisations pour les droits égaux de la population
noire se sont engagés dans la résistance à la guerre.
Ce
n’est plus le cas aujourd’hui. Organiser la résistance à toutes les
guerres qui ont suivi celle du Vietnam jusqu’à aujourd’hui est pourtant
la voie à suivre pour obtenir la libération de Julian Assange.
Comme dit au début, rien n’est impossible. Que le courage et la
ténacité d’Ellsberg soient une source d’inspiration dans ce combat.
Notes
(1) http://www.csvr.org.za/docs/correctional/negotiatingtherelease.pdf
(2) Voir le rapport “Body Count : Casualty Figures after 10 Years of
the ’War on Terror” par Physicians for Social Responsibility, Physicians
for Global Survival et Physicians for the Prevention of Nuclear War
(3) https://www.voanews.com/a/us-state-department-terrorism-still-a-pervas…
(4) https://www.counterpunch.org/2023/04/12/the-war-machine-keeps-turning/
(5)Voir https://johnpilger.com/articles/there-is-a-war-coming-shrouded-in-prop…;; https://www.algeriepatriotique.com/2023/02/19/contribution-de-mohsen-a…
(6) https://en.wikipedia.org/wiki/Daniel_Ellsberg ; https://www.chicagotribune.com/nation-world/ct-nw-daniel-ellsberg-juli…
(7) https://www.history.com/news/anti-war-movements-throughout-american-history