Translate Traduire Traducir ترجمة



 

Télégrammes

Trafic de bébés : un réseau criminel sous enquête
Les autorités européennes enquêtent sur des réseaux criminels exploitant des Marocaines pour la location d’utérus et la vente d’enfants. Deux suspects ont été arrêtés en Espagne, et des cliniques clandestines sont surveillées. Ces réseaux ciblent des femmes vulnérables, organisent des accouchements secrets et vendent les nouveau-nés sous fausses identités. Profitant de failles légales, ils transfèrent des femmes en Espagne pour des fécondations, utilisant des cryptomonnaies et des techniques avancées pour échapper à la surveillance.

vendredi 7 mars 2025

Mohamed Tozy : « Aujourd’hui, le Maroc accepte de partager ses ressortissants »

Le profil des Marocains résidant à l’étranger (MRE) a bien changé. De même que la position du royaume à l’égard de ses « sujets émigrés », auxquels il reconnaît désormais un rôle politique et non plus seulement économique. Explications avec le politologue et sociologue Mohamed Tozy.

Le politologue et sociologue marocain Mohamed Tozy. © Cyrille Choupas pour JA

Le politologue et sociologue marocain Mohamed Tozy. © Cyrille Choupas pour JA

RYM-BOUSMID_2024 Rym Bousmid , Jeune Afrique, 5/3/2025

Le discours de Mohammed VI à l’occasion du 49 anniversaire de la Marche verte, le 6 novembre dernier, sur « le rôle remarquable » des Marocains résidant à l’étranger (MRE) et la nécessité de transformer les institutions chargées de gérer les questions les concernant marque un tournant.

L’État ne considère plus sa population émigrée comme étant avant tout une ressource économique pour le Maroc, il revendique désormais son rôle politique. En revenant sur l’évolution de l’archétype de l’émigré marocains au fil des années, le sociologue et politologue Mohamed Tozy analyse les circonstances de cette transformation de la politique du royaume à leur égard.

Jeune Afrique : Il y a toujours eu nombre de clichés autour des Marocains émigrés…

Mohamed Tozy : On a pour commencer le stéréotype, aujourd’hui obsolète, de l’émigré : un ouvrier agricole, un mineur ou un ouvrier des usines Renault et Peugeot, célibataire à grosses moustaches ou marié avec une flopée d’enfants, qui part en vacances chaque année au « bled » dans une 403. Cette population est désormais de plus en plus diversifiée. Et quelques figures se sont toujours détachées du lot, et ont réussi à s’affranchir des stéréotypes négatifs pour en incarner d’autres plus positifs.

Qu’en reste-t-il ?

Aujourd’hui, l’émigration marocaine prend d’autres formes, dont les harraga [clandestins] ne sont qu’une expression marginale, sachant que n’émigrent que les gens qui sont les plus dynamiques, les plus courageux de toutes les catégories sociales. Car le coût de l’émigration est extrêmement élevé, financièrement, mais aussi socialement et émotionnellement. Les émigrés sont la sève de la société.

Combien de personnes cela représente-t-il ?

Il est difficile de faire des analyses statistiques précises sur cette population, entre les naturalisés, leurs enfants non déclarés marocains… De plus, certains pays comme l’Espagne et l’Italie n’acceptent pas souvent le double passeport, alors qu’en France, l’interdiction des statistiques ethniques complique la tâche des chercheurs. Avec tout cela, on considère qu’un Marocain sur dix est émigré, une proportion énorme, mais qui est très élastique.

Quelles sont les tendances fortes de l’émigration marocaine au cours des dernières décennies ?

Auparavant, elle était principalement masculine, ouvrière. Désormais, la première tendance est à la féminisation. La deuxième, c’est le niveau des études : il n’est plus question d’émigrés analphabètes ou de sous-diplômés.

La troisième tendance est ce que j’appelle « la migration pendulaire » : avoir un pied dans chacun des deux pays et s’assurer de la sécurité administrative dans les deux pays. C’était un peu caché, c’est aujourd’hui revendiqué et même perçu comme un critère de réussite. La différence, c’est que, maintenant, le Maroc accepte de partager ces ressortissants avec la mise en place de dispositifs institutionnels qui le permettent.

Comment les politiques publiques marocaines ont-elles évolué pour accompagner ces changements ?

Au Maroc, à la différence des autres pays, tout cela s’est accompagné d’une conceptualisation, au plus haut niveau, suivant un paradigme politique de gestion, que j’appellerais « pastoral ». À partir des années 1970, le principe était le suivant : « Ce sont mes brebis, je dois veiller sur elles, les surveiller, éviter qu’elles ne soient perverties [moralement et religieusement]. Mais je peux disposer de mes brebis comme je l’entends. » Le Maroc avait une culture adaptée à ce mode de gestion. Dans une interview accordée en 1989 à la chaîne publique française Antenne 2, Hassan II évoquait même « l’impossibilité de l’assimilation » par opposition à l’intégration. Que des Marocains deviennent citoyens d’un autre pays, selon le paradigme pastoral, c’était, pour lui, perdre des brebis.

Le Maroc est-il sorti de ce paradigme ?

Pas totalement. Mais il est en transition. Aujourd’hui, le royaume continue de chérir ses « brebis », mais il est prêt à les partager. D’ailleurs, à la fin de sa vie, Hassan II a changé de position, et considérait que les Marocains du monde étaient une opportunité.

D’abord d’un point de vue économique…

Oui, il y avait d’abord la réflexion économique. Dès les années 1980, la Fondation Hassan II devait s’assurer des transferts d’argent des émigrés. Progressivement s’est mis en place un important écosystème bancaire marocain à l’étranger, de façon à accueillir les investisseurs – une part minime à l’époque, excepté dans le domaine de l’immobilier.

Puis du point de vue politique ?

Il y a une sorte de retour à un imaginaire impérial, une idéologie d’extrême droite, en d’autres termes « l’orientalisme à rebours ».

Cela s’est mis en place dès les années 1990, alors que le Maroc était en pleine transition politique et préparait l’alternance gouvernementale. Parallèlement, il y avait de nombreux débats au sujet des Marocains résidant à l’étranger, des jugements négatifs sur leurs avantages, leurs comportements quand ils viennent en vacances au Maroc… Cette évolution est directement liée à l’histoire politique du pays, au retour des exilés, à l’amnistie. Nous assistons alors, petit à petit, à la diminution de la méfiance vis-à-vis de cette population. Le régime ne la juge plus dangereuse pour sa stabilité.

Cette époque coïncide aussi avec l’apparition du terrorisme islamiste en Europe, la décennie noire en Algérie. Cela a-t-il affecté l’encadrement des émigrés marocains ?

Effectivement, dans les années 1990, le Maroc va investir un autre champ de suivi de ses émigrés : le religieux. Au-delà de l’encadrement classique, c’est-à-dire l’envoi d’imams, le suivi sécuritaire, etc. Les attentats de 1996 à Paris et la guerre civile en Algérie ont des répercussions sur la politique française et le regard que porte le royaume sur ces ressortissants. Alors, le Maroc envoie du personnel, participe à la construction des mosquées. À la fois parce qu’il est en concurrence avec l’Algérie et pour éviter que la population marocaine ne soit incorporée dans les bataillons jihadistes.

Comment la réalité de ces MRE dans leur pays d’accueil influence-t-elle la politique du royaume à leur égard ?

Je pense que, au départ, c’est relativement intuitif, guidé par la réalité de réussites spectaculaires, qui ont démarré très tôt et non en France, d’ailleurs, mais plutôt en Belgique et aux Pays-Bas, où la mobilité vers des positions de pouvoir est plus facile. Apparaissent alors des figures politiques d’origine marocaine occupant des fonctions de ministre, bourgmestre, patron… En France, cela reste encore exceptionnel. Ce qui s’explique par le fait que ni le récit national belge des communautés ni le récit néerlandais des polders ne  sont le récit national français.

Les formes d’utilisation de cette population étaient soit un transfert, soit le retour. Et la troisième possibilité, c’est de partager. Ce qui est intéressant, c’est qu’à partir du moment où cette double loyauté a arrêté de poser un problème au Maroc, elle a commencé à poser des problèmes aux autres pays.

Comment les émigrés, notamment à travers l’activisme numérique, sont-ils devenus des éléments d’influence politique ?

Il y a une sorte de retour à un imaginaire impérial, une idéologie d’extrême droite, en d’autres termes « l’orientalisme à rebours ». Mais, en même temps, au-delà de cet activisme, il y a l’évolution interne du Maroc, la valorisation du « Made in Morocco », le cosmopolitisme que vit le pays. Tout cela va accentuer cette forme de nationalisme primaire.

Nous assistons à un retour au pays – pas encore massif, mais remarquable – d’émigrés et de descendants d’émigrés. Dans ce contexte, la perception des Marocains « de l’intérieur » de ces MRE, souvent négative par le passé, a-t-elle changé ?

Jusqu’à présent, la spécificité de cette population était d’être restée figée dans une culture marocaine des années 1960. Mais ce qui valorisait ou donnait une différence à cette communauté, et qui aurait pu être mal perçu, a disparu. Le fait est que le royaume lui-même a évolué, le Maroc urbain est devenu ouvert et globalisé. Les différences ne sont plus aussi fortes qu’avant. Il n’y a plus de clash. Il y a eu un rééquilibrage.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire