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jeudi 31 juillet 2025

L’intelligence artificielle et l’avancée de l’impérialisme postnational : une analyse sociologique

Max Mansoubi, Walking Makes The Road,  30/7/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Max Mahmoud Mansoubi est un universitaire aujourd’hui retraité et vivant dans la Silicon Valley (Californie). Il a étudié à l'université de Florence, puis à l’université de Pise (Italie) où il a obtenu son doctorat. Il a mené des activités d’enseignement et de recherche dans diverses universités et institutions privées italiennes. Au cours de sa longue carrière, qui a débuté au milieu des années 1970, il a également été journaliste, critique de cinéma, animateur de radio, chroniqueur, éditeur de livres universitaires, architecte logiciel, directeur de réseau et de centre de données, fondateur de start-up, directeur technique et PDG. 

Le monde connaît actuellement de profondes transformations catalysées par les technologies numériques, en particulier l’IA. Le développement de l’intelligence artificielle générale (IAG) et la possibilité théorique d’une superintelligence ajoutent de nouvelles dimensions à la dynamique du pouvoir mondial. Ces technologies n’émergent pas de manière isolée, mais s’inscrivent dans un système mondial caractérisé par la diminution de la souveraineté des États-nations, l’intensification de l’interdépendance économique et la complexité des systèmes de gouvernance transnationaux, dont elles sont également le produit. Cette note de laboratoire soutient que l’IA et ses itérations avancées jouent un rôle déterminant dans la reconfiguration du pouvoir mondial et l’émergence de ce que l’on pourrait appeler l’impérialisme postnational.


Colonialisme numérique, par Zoran Svilar

Cadre théorique

Le pouvoir passe des États-nations à des entités transnationales, une caractéristique déterminante de la mondialisation. Comme l’ont fait valoir Saskia Sassen et Manuel Castells, les paradigmes de la société en réseau et de la ville mondiale révèlent comment le capital et l’influence circulent à travers les frontières, remodelant l’autorité des États. La théorie des souverainetés qui se chevauchent de David Held et le concept de réalisme cosmopolite d’Ulrich Beck fournissent des éléments essentiels pour comprendre cette évolution.

Le déterminisme technologique, en particulier dans sa forme douce, suggère que la technologie façonne les résultats sociaux sans les déterminer de manière rigide. La théorie critique de la technologie d’Andrew Feenberg met l’accent sur la co-construction de la technologie et de la société. L’IA, l’IAG et la Superintelligence doivent être considérées comme des systèmes sociotechniques, c’est-à-dire qu’elles évoluent grâce aux interactions entre les possibilités [« affordances »] technologiques et les acteurs sociaux.

Le concept d’« Empire » de Michael Hardt et Antonio Negri est essentiel. Dans cette optique, l’impérialisme ne consiste plus en une conquête territoriale, mais en l’imposition de systèmes de contrôle et de valeurs par le biais du capitalisme mondial, des institutions internationales et, désormais, des technologies numériques.

L’IA et la restructuration du pouvoir mondial

Le développement de l’IA est principalement impulsé par des entreprises transnationales (par exemple Google, Meta, Microsoft, Tencent), des institutions de recherche mondiales et des organismes de gouvernance supranationaux. Ces acteurs transcendent les limites des États-nations et forment un empire diffus et interconnecté. La propriété et le déploiement des technologies d’IA contribuent à un nouveau mode d’influence qui n’est pas lié à la géographie, mais aux flux de données, au contrôle algorithmique et aux dépendances infrastructurelles.

Nick Couldry et Ulises Mejias ont inventé le terme « colonialisme des données » pour décrire l’extraction de l’expérience humaine comme matière première pour le développement de l’IA. Ce phénomène reflète l’extraction coloniale classique, mais s’effectue par des moyens numériques. La gouvernance algorithmique, qui fonctionne souvent sans contrôle démocratique, permet une forme de contrôle impérial dans laquelle les décisions qui affectent des milliards de personnes sont prises par des systèmes opaques appartenant à un petit nombre d’entités.

L’IA permet la capitalisation des connaissances, de l’information et des capacités cognitives (capitalisme cognitif), où l’attention, l’interaction et même le travail émotionnel des êtres humains sont exploités et monétisés. Le déploiement de l’IA dans les plateformes de travail et les systèmes de surveillance intensifie cette tendance, entraînant de nouvelles asymétries de pouvoir et une restructuration de la dynamique du travail à l’échelle mondiale.

L’IAG et l’horizon de la superintelligence : une nouvelle avant-garde impériale ?

L’IAG, en tant que système capable d’effectuer toutes les tâches intellectuelles dont l’être humain est capable, représente un bond qualitatif en matière de capacités technologiques. Les acteurs qui contrôlent l’IAG auront une influence sans précédent sur la production de connaissances, la prise de décision et, éventuellement, la gestion des risques existentiels. L’IAG devient ainsi un atout stratégique comparable à l’énergie nucléaire au XXe siècle.

Des théoriciens comme Nick Bostrom affirment que les superintelligences, c’est-à-dire des entités largement plus intelligentes que les humains, pourraient remodeler la civilisation. Si elle était monopolisée par un seul acteur ou une seule coalition, la superintelligence pourrait imposer un nouvel ordre impérial, caractérisé non pas par la force brute, mais par une domination cognitive totale. Il s’agirait d’un empire postnational, non gouverné par des humains, mais peut-être par des intermédiaires machiniques.

La course au développement de l’IAG est intrinsèquement géopolitique. La Chine, les USA et les conglomérats technologiques transnationaux en sont les principaux acteurs. La lutte porte moins sur la suprématie nationale que sur l’accès aux données d’entraînement, aux infrastructures informatiques et à la marge de manœuvre réglementaire. Il en résulte un passage d’une géopolitique westphalienne à une géopolitique des plateformes.

Caractéristiques des futures puissances impériales postnationales

Ces puissances n’auront pas besoin d’armées terrestres ni de frontières officielles. Le contrôle s’exercera par le biais de la dépendance aux plateformes, des points d’étranglement des infrastructures (services cloud, réseaux satellitaires, production de puces) et des cadres de gouvernance numérique.

Les empires futurs combineront des acteurs publics et privés, avec des frontières floues entre le pouvoir des entreprises et celui de l’État. La responsabilité juridique sera fragmentée et la gouvernance sera mise en œuvre par le biais de conditions d’utilisation, d’algorithmes et d’organismes de normalisation.

Dans l’impérialisme postnational, le contrôle des flux d’informations, guidé par l’IA et la curation algorithmique, sera primordial. L’IA déploiera des technologies persuasives avancées pour façonner le discours public, influençant les résultats électoraux, le comportement des consommateurs et l’opinion publique grâce à des messages personnalisés et à une présentation sélective de l’information. L’intégration omniprésente de l’IA dans la vie quotidienne lui permet déjà de guider subtilement la pensée et l’action collectives, servant ainsi les objectifs de ceux qui contrôlent l’infrastructure informationnelle.

L’architecture économique émergente sera fondamentalement remodelée par une centralisation extrême du capital, des données et des capacités de production. Dans ce nouveau paradigme, la valeur sera principalement générée non pas par les moyens industriels traditionnels, mais par le contrôle et l’exploitation d’écosystèmes d’IA sophistiqués. Cela englobe l’ensemble du cycle de vie de l’intelligence artificielle : de la collecte et de la curation méticuleuses de vastes quantités de données d’entraînement, en passant par le développement et le perfectionnement de modèles d’IA avancés, jusqu’au déploiement d’applications innovantes. L’objectif ultime dans ce cadre est la monétisation du travail cognitif à une échelle sans précédent, transformant la production intellectuelle humaine en une ressource marchandisée gérée et optimisée par l’IA.

L’avènement de l’intelligence artificielle générale (AGI) ou de la superintelligence inaugure une ère où les empires postnationaux pourraient redéfinir fondamentalement leurs rôles, pour devenir des entités principalement axées sur la gestion planétaire. Ce profond changement dépasse l’influence géopolitique traditionnelle et englobe des domaines critiques tels que la modélisation climatique sophistiquée, la gestion globale de la biosphère et l’atténuation proactive des risques existentiels. La capacité même de ces IA avancées à traiter de vastes ensembles de données, à prédire des tendances écologiques complexes et à optimiser l’allocation des ressources confère à ces empires émergents une autorité techno-morale. Cette autorité, qui découle de leurs prouesses technologiques inégalées et de leur engagement en faveur du bien-être mondial, devrait dépasser l’efficacité et l’influence des institutions internationales existantes, souvent entravées par des intérêts nationalistes et des inefficacités bureaucratiques. Dans ce paradigme futur, la gouvernance des défis les plus urgents de la Terre ne relèverait plus uniquement de la compétence des États-nations ou de leurs organisations intergouvernementales, mais serait de plus en plus influencée et potentiellement dirigée par ces entités postnationales technologiquement avancées.

Défis et contre-forces

Les tendances anti-impérialistes émergentes contre les forces centralisatrices de l’IA comprennent l’IA open source, la gouvernance décentralisée des données et la souveraineté numérique. Des technologies telles que la blockchain et l’apprentissage fédéré soutiennent cette tendance en permettant une gestion transparente et distribuée des données et une formation décentralisée des modèles d’IA, atténuant ainsi les risques liés à la confidentialité et au contrôle. En fin de compte, une surveillance démocratique de l’IA est essentielle pour garantir la responsabilité, le développement éthique et une large participation, empêcher la consolidation du pouvoir et garantir que l’IA serve les intérêts de la société plutôt que de nouvelles formes d’impérialisme.

Les efforts déployés par l’UE, l’UNESCO et la société civile pour établir des lignes directrices éthiques et des contraintes juridiques en matière d’IA constituent des tentatives pour lier le développement de l’IA aux normes démocratiques. Cependant, leur application reste faible et fragmentée.

La résistance culturelle à l’homogénéisation algorithmique, qui se manifeste dans les mouvements indigènes pour la souveraineté des données et les critiques de la conception occidentale de l’IA, remet en question les tendances universalistes des empires postnationaux.

Conclusion

L’IA, l’IAG et la superintelligence ne sont pas de simples innovations technologiques, mais des éléments fondamentaux d’un nouvel ordre mondial. L’impérialisme post-national qu’elles engendrent se caractérise par un contrôle déterritorialisé, une gouvernance hybride, une domination épistémique et une concentration économique. Ces évolutions posent des défis importants aux conceptions traditionnelles de la souveraineté, de la citoyenneté et de la démocratie. Les futures recherches sociologiques devront s’interroger de toute urgence sur ces changements, en soulignant la nécessité de cadres inclusifs, éthiques et pluralistes qui empêchent l’émergence d’un ordre impérial médiatisé par le numérique.

Bibliographie

Beck, U., Qu’est-ce que le cosmopolitisme ?, Aubier 2006

Bostrom, N.,  Superintelligence, Dunod, 2017

Castells, M., La société en réseaux : l’ère de l’information, Fayard, 1998

Couldry, N., & Mejias, U. A. (2019). The Costs of Connection: How Data Is Colonizing Human Life and Appropriating It for Capitalism. Stanford University Press.

Feenberg, A. (1999). Questioning Technology. Routledge.

Hardt, M., & Negri, A.? Empire, 10/18, 2004

Held, D. (1995). Democracy and the Global Order: From the Modern State to Cosmopolitan Governance. Stanford University Press.

Mezzadra, S., & Neilson, B. (2013). Border as Method, or, the Multiplication of Labor. Duke University Press.

Sassen, S. (2006). Territory, Authority, Rights: From Medieval to Global Assemblages. Princeton University Press.

Srnicek, N. (2017). Platform Capitalism. Polity Press.

UNESCO,  Recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle,  2021 

Zuboff, S., L’Âge du capitalisme de surveillance, Zulma, 2020

mercredi 30 juillet 2025

NOTRE GÉNOCIDE : version française du rapport de B'Tselem

 « Dans l’immédiat, la reconnaissance du fait que le régime israélien commet un génocide dans la bande de Gaza et la profonde inquiétude qu’il puisse s’étendre à d’autres zones où les Palestiniens vivent sous domination israélienne exigent une action urgente et sans équivoque de la part de la société israélienne et de la communauté internationale.

 C’est le moment d’agir. C’est le moment de sauver ceux qui ne sont pas encore perdus à jamais et d’utiliser tous les moyens disponibles en vertu du droit international pour mettre fin au génocide des Palestiniens par Israël. »

Ce sont là les derniers mots du rapport accablant que vient de publier l’ONG israélienne B’Tselem et que Tlaxcala rend ici accessible aux lecteurs francophones qui ne connaissent ni l’hébreu, ni l’arabe ni l’anglais. À lire et faire lire...

Présentation audio (90 secondes)



mardi 29 juillet 2025

Notre génocide
Un rapport de l'organisation israélienne B’Tselem

B’Tselem, la principale organisation israélienne de défense des droits humains, vient de rendre public un rapport de 88 pages en hébreu, arabe et anglais dont on trouvera ci-dessous la présentation ainsi qu'un résumé exécutif, en attendant la traduction du texte intégral du rapport

B’Tselem, Juillet 2025 

النسخة العربية  גרסה עברית English Español

Depuis octobre 2023, Israël a modifié sa politique envers les Palestiniens. Son offensive militaire contre Gaza, menée depuis plus de 21 mois, a entraîné des massacres, directs et indirects, ainsi que des atteintes graves à l'intégrité physique et mentale de toute une population, la destruction des infrastructures de base dans toute la bande de Gaza et des déplacements forcés à grande échelle, le nettoyage ethnique s'ajoutant à la liste des objectifs de guerre officiels.

À cela s'ajoutent les arrestations massives et les mauvais traitements infligés aux Palestiniens dans les prisons israéliennes, transformées en véritables camps de torture, ainsi que la destruction du tissu social de Gaza, notamment par la destruction des institutions éducatives et culturelles palestiniennes. Cette campagne constitue également une atteinte à l'identité palestinienne elle-même, par la destruction délibérée de camps de réfugiés et les tentatives de saper l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA). L'examen de la politique israélienne dans la bande de Gaza et de ses conséquences tragiques, ainsi que les déclarations de hauts responsables politiques et militaires israéliens sur les objectifs de l'attaque, conduisent à la conclusion sans équivoque qu'Israël mène une action coordonnée et délibérée visant à détruire la société palestinienne dans la bande de Gaza. Autrement dit : Israël commet un génocide contre les Palestiniens de la bande de Gaza.

Le terme « génocide » désigne un phénomène socio-historique et politique impliquant des actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Tant moralement que juridiquement, le génocide ne peut être justifié en aucune circonstance, y compris en tant qu'acte de légitime défense.

 Un génocide survient toujours dans un contexte : des conditions qui le favorisent, des événements déclencheurs et une idéologie directrice. L'attaque actuelle contre le peuple palestinien, y compris dans la bande de Gaza, doit être comprise dans le contexte de plus de soixante-dix ans durant lesquels Israël a imposé un régime violent et discriminatoire aux Palestiniens, prenant sa forme la plus extrême contre ceux qui vivent dans la bande de Gaza. Depuis la création de l'État d'Israël, le régime d'apartheid et d'occupation a institutionnalisé et systématiquement employé des mécanismes de contrôle violent, d'ingénierie démographique, de discrimination et de fragmentation de la collectivité palestinienne. Ces fondements posés par le régime ont permis le lancement d'une attaque génocidaire contre les Palestiniens immédiatement après l'attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023. L'agression contre les Palestiniens de Gaza est indissociable de l'escalade de la violence infligée, à des degrés divers et sous des formes diverses, aux Palestiniens vivant sous domination israélienne en Cisjordanie et en Israël. La violence et les destructions dans ces zones s'intensifient au fil du temps, sans qu'aucun mécanisme national ou international efficace ne puisse les enrayer. Nous mettons en garde contre le danger clair et réel que le génocide ne se limite pas à la bande de Gaza et que les actions et l’état d’esprit qui le sous-tendent ne s'étendent à d'autres régions. La reconnaissance du fait que le régime israélien commet un génocide dans la bande de Gaza et la profonde inquiétude que ce génocide puisse s’étendre à d’autres zones où vivent des Palestiniens sous domination israélienne exigent une action urgente et sans équivoque de la part de la société israélienne et de la communauté internationale, ainsi que l’utilisation de tous les moyens disponibles en vertu du droit international pour mettre fin au génocide d’Israël contre le peuple palestinien.

 Notre Génocide — Résumé exécutif

Juillet 2025

Depuis octobre 2023, Israël a fondamentalement modifié sa politique envers les Palestiniens.

À la suite de l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023, Israël a lancé une campagne militaire intense contre la bande de Gaza, toujours en cours plus de 21 mois plus tard.

Cette offensive a engendré :

  • des tueries de masse, tant par frappes directes que par la création de conditions de vie catastrophiques ayant causé des dizaines de milliers de morts ;
  • des atteintes physiques et psychologiques graves à la population entière ;
  • la destruction à grande échelle des infrastructures et des conditions de vie ;
  • l'effondrement du tissu social, y compris les institutions éducatives et culturelles palestiniennes ;
  • des arrestations massives et des mauvais traitements infligés à des détenus dans des prisons israéliennes, devenues des camps de torture pour des milliers de Palestiniens sans procès ;
  • des déplacements forcés massifs, y compris des tentatives de nettoyage ethnique déclarées comme objectif officiel de guerre ;
  • et une attaque ciblée contre l’identité palestinienne, via la destruction systématique de camps de réfugiés et la délégitimation de l’UNRWA.

Le résultat est un préjudice grave, en grande partie irréversible, pour plus de 2 millions de personnes vivant à Gaza.

Les déclarations de responsables politiques et militaires israéliens, croisées avec les effets observés sur le terrain, conduisent à une conclusion sans équivoque : Israël mène une campagne coordonnée et délibérée visant à détruire la société palestinienne dans la bande de Gaza. En d’autres termes, Israël commet un génocide.

Le génocide comme phénomène

Le terme "génocide" désigne un phénomène socio-historique et politique récurrent dans l’histoire de l’humanité. Depuis la Convention de l’ONU de 1948, il est reconnu comme l’un des crimes les plus graves en droit international, impliquant des actes perpétrés dans l’intention de détruire, totalement ou partiellement, un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

Le génocide ne se limite pas aux massacres. Il peut aussi se manifester par :

  • la destruction des conditions de vie,
  • l’entrave à la reproduction,
  • les violences sexuelles massives,
  • les déplacements forcés.

Ces actes visent à anéantir un groupe distinct de manière planifiée, sur la base d’une idéologie de destruction, et ne peuvent en aucun cas être justifiés, même au nom de la "légitime défense".

Le contexte du génocide en cours

Ce génocide s’inscrit dans un cadre plus large: plus de 70 ans de régime dapartheid et doccupation imposé par Israël aux Palestiniens, fondé sur :

  • la séparation systématique,
  • l’ingénierie démographique,
  • le nettoyage ethnique,
  • la violence institutionnalisée,
  • la déshumanisation et la présentation des Palestiniens comme une menace existentielle.

L’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, bien que criminelle et ciblant des civils, a servi de catalyseur pour déclencher cette politique d’extermination. Le choc social et politique en Israël a alimenté un glissement brutal : du contrôle à l’annihilation.

Extension du modèle génocidaire

L’agression contre Gaza ne peut être dissociée de l’intensification de la violence exercée :

  • en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est),
  • et à l’intérieur même d’Israël.

Dans ces territoires aussi, des crimes graves sont commis sans aucune responsabilité pour les auteurs. La violence s’intensifie, se banalise et pourrait s'étendre.

Le rôle de B’Tselem

B’Tselem, organisation israélienne de défense des droits humains, documente depuis 35 ans les violations systématiques des droits des Palestiniens. Depuis octobre 2023, ses équipes ont recueilli :

  • des centaines de témoignages directs,
  • des preuves d’une violence sans précédent,
  • des déclarations publiques de dirigeants israéliens confirmant cette politique.

À B’Tselem, Israéliens juifs et Palestiniens travaillent ensemble, portés par la conviction que les droits humains doivent être défendus sans discrimination, entre la mer Méditerranée et le Jourdain.

Appel à l’action

L’offensive israélienne, menée en toute impunité, s’intensifie. Le massacre à Gaza et les déplacements forcés en Cisjordanie ne pourraient se poursuivre sans l’inaction — voire le soutien — de la communauté internationale, en particulier de l’Europe et des USA. L’argument du "droit à la légitime défense" est utilisé pour justifier cette violence, y compris par des livraisons d’armes.

Reconnaître que le régime israélien commet un génocide dans la bande de Gaza impose une réponse urgente et ferme, tant de la société israélienne que de la communauté internationale.

Il est temps d’agir avec tous les outils du droit international pour stopper le génocide contre le peuple palestinien.

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lundi 28 juillet 2025

Le débat sur le burkini fait rage au Maroc

 S.A., bladi .net, 27/7/2025     


      
                        

Face à la « récurrence de cas d’interdiction visant des femmes marocaines empêchées d’accéder à certaines piscines et infrastructures hôtelières sur le territoire national en raison du port du voile ou du maillot de bain dit “burkini” », une association a déposé une plainte auprès du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH).

« Cette plainte s’appuie sur des données médiatiques et des témoignages de terrain, ainsi que sur les propos confirmés par la députée Nadia El Kansouri dans sa question écrite adressée à la ministre du Tourisme, au sujet de ces pratiques que le centre considère comme une violation flagrante des libertés constitutionnelles et une atteinte aux principes d’égalité et de non-discrimination stipulés aux articles 6 et 19 de la Constitution marocaine », explique-t-on.

À lire : Le burkini banni dans plusieurs piscines au Maroc

Aux yeux de l’organisme de défense des droits, ces comportements portent atteinte à l’essence même de la liberté vestimentaire et de croyance, et constituent une discrimination manifeste envers la femme marocaine du fait de ses choix religieux. « La Constitution marocaine affirme, dans son préambule, la lutte contre toutes les formes de discrimination, et fonde la vie publique sur les constantes de la nation marocaine, au premier rang desquelles figure l’islam tolérant », rappelle-t-il, faisant savoir que « les interdictions ont souvent lieu dans l’enceinte même de la piscine, et non à l’entrée de l’hôtel, ce qui peut entraîner des interventions physiques déplacées de la part des employés, pouvant s’apparenter à des actes de harcèlement sexuel et d’atteinte à l’intimité corporelle ».

À lire : Interdite d’un club au Maroc à cause de son voile

Inquiet face à la répétition de ces pratiques dans plusieurs établissements hôteliers », l’organisme appelle à « l’ouverture d’une enquête urgente pour évaluer l’ampleur des violations, et à tenir juridiquement responsables les établissements impliqués dans cette exclusion fondée sur la tenue vestimentaire ». Il précise que « les justifications avancées, selon lesquelles le “burkini” représenterait un danger sanitaire ou un vecteur de contamination, ne reposent sur aucun rapport scientifique fiable, d’autant plus que la majorité des hommes portent des shorts de bain longs fabriqués dans les mêmes matières sans être inquiétés ».

À lire : Plus de 70% des Français sont pour l’interdiction du burkini à la piscine

Pour le centre, « la controverse autour du “burkini” révèle une crise plus profonde liée à la question de savoir qui détient le droit de définir les critères d’“acceptabilité” dans l’espace public, et d’imposer un modèle culturel uniforme qui ignore la diversité de la société marocaine, où vivent des femmes voilées et non voilées au sein d’un même système de valeurs ». L’organisme appelle à « l’élaboration d’un code de conduite national contraignant pour le secteur touristique et hôtelier, stipulant le respect de la Constitution, et garantissant à tous les citoyens et citoyennes l’accès aux services touristiques sans discrimination fondée sur la tenue vestimentaire, les convictions ou les origines culturelles ».

À lire : Maroc : une femme en burkini interdite d’accès à la piscine

Il demande aux institutions de l’État concernées d’« intervenir immédiatement afin de garantir le respect des droits et libertés fondamentales dans tous les établissements publics et privés, dans le respect de la dignité du citoyen marocain et de ses spécificités culturelles et religieuses ».

dimanche 27 juillet 2025

Un romancier suédois à la conquête de New York : “la permission d’être plus sauvage”
Rencontre avec Jonas Hassen Khemiri

Autofiction, fantastique ou comédie du déracinement ? Avec The Sisters, Jonas Hassen Khemiri signe son œuvre la plus audacieuse à ce jour.

Joumana Khatib, The New York Times, 17/6/2025
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala


Joumana Khatib est rédactrice à la New York Times Book Review.

Après avoir vécu pendant des années avec l’impression d’avoir été « envoûté par une malédiction », l’auteur suédois Jonas Hassen Khemiri s’est lancé dans l’écriture d’un roman pour sauver sa propre vie.


Pour la première fois, Jonas Hassen Khemiri a écrit un roman en anglais, qu’il a ensuite traduit en suédois. Photo Peter Garritano pour The New York Times

En apparence, tout allait bien : il était l’un des écrivains et dramaturges les plus reconnus de Suède, son précédent livre La clause paternelle avait été finaliste du National Book Award, et il avait fondé sa propre famille. Pourtant, il demeurait hanté par la figure de son père, dont les longues absences durant son enfance avaient laissé une empreinte existentielle douloureuse.

Cette ombre paternelle étouffait le sens des possibles de Khemiri et il cherchait désespérément à s’en débarrasser. Elle le suivait alors qu’il sillonnait le monde, rencontrait ses idoles et apprenait à façonner la langue pour traduire sa réalité. Il n’est pas exagéré de dire que Khemiri a consacré sa vie à réfléchir aux malédictions — qui ne sont, selon lui, rien d’autre que « des histoires qui tentent de prédire notre avenir ».

Son nouveau roman, The Sisters [Les Sœurs, à paraître en sept. 2025], publié le 17 juin chez Farrar, Straus and Giroux, est sa tentative de s’en libérer définitivement. Le livre suit Ina, Evelyn et Anastasia Mikkola, trois sœurs grandissant autour de Stockholm, gravitant autour d’un narrateur autofictionnel nommé Jonas.

Comme Jonas (et comme Khemiri lui-même), les Mikkola sont suédo-tunisiennes, et luttent contre un héritage familial lourd : leur mère, vendeuse de tapis, est persuadée que la famille est maudite, et chacune des sœurs suit un chemin radicalement différent après une enfance dysfonctionnelle.

Ina, anxieuse et rigide, incarne parfaitement le syndrome de la fille aînée — mais reste profondément attachante. Evelyn, la belle du milieu, erre jusqu’à découvrir, sur le tard, une passion pour le théâtre. Anastasia, rongée par la colère, se transforme lors d’un séjour en Tunisie pour apprendre l’arabe, où elle fait une rencontre décisive. Jonas, dans le roman, les croise à l’adolescence et nourrit une longue fascination pour le trio qui finit par révéler une connexion plus profonde qu'il n'aurait pu l'imaginer.

En plus de sa longueur imposante — plus de 600 pages — le roman adopte une structure originale. Chaque section couvre une période de plus en plus courte : un an, six mois, une minute. Khemiri y entrelace aussi des épisodes autobiographiques : ses années d’adolescent zonard à Stockholm, sa dépression, et ses mois exubérants à New York.

Il a visité New York pour la première fois à 18 ans, partageant un logement avec « une strip-teaseuse et deux soûlards australiens » — une période qu’il décrit comme la plus heureuse de sa vie.

« Tu te souviens de cette citation de Naguib Mahfouz : ‘Le foyer, ce n’est pas là où tu nais, c’est là où tu cesses de fuir’ ? C’est ce que j’ai ressenti en arrivant ici » ;

 

Khemiri, dans la poussette, avec des membres de sa famille à Uppsala, en Suède, en 1980. Photo  via Jonas Hassen Khemiri

En déjeunant dans un restaurant au bord de la patinoire du Rockefeller Center, lieu de légendes douteuses de la famille Mikkola qui attirent néanmoins les sœurs dans la ville, il était facile d'imaginer Khemiri, aujourd'hui âgé de 46 ans, ici adolescent : un jeune homme nerveux d’1 m 90, captivé par une lecture de Paul Auster, tout juste sorti de sa trilogie new-yorkaise ou errant pendant des heures et se demandant ce qui dans la ville lui procurait un tel bonheur.

L'écrivain Darin Strauss enseigne aux côtés de Khemiri au programme d'écriture créative de l'Université de New York, à New York et à Paris. « Il a 90 ans et 12 ans », dit Strauss. « C'est la personne la plus mature et la plus innocente que l'on puisse connaître. »

Son premier roman, Un rouge œil rouge (Ett öga rött, 2003, inédit en français), raconte l’histoire d’un adolescent suédois d’origine nord-africaine qui veut devenir un « sultan de la pensée », imperméable à la norme dominante. Le livre s’est vendu à plus de 200 000 exemplaires en Suède, mais de nombreux critiques, bien qu’enthousiastes, ne savaient pas comment classer ce jeune auteur apparemment inclassable.

Dans une interview donnée à une publication usaméricaine destinée aux Suédois, Khemiri évoquait comment même les critiques positives trahissaient une forme d’intolérance. Il cite une critique qui affirmait que son livre donnait l’impression que « quelqu’un avait plongé un micro dans une famille immigrée ».

« Plongé ? » a-t-il rétorqué. « Donc les Suédois sont au-dessus, et les immigrés en dessous ? »

 « L'identité est fluide et toutes les étiquettes sont inventées », dit Khemiri. « Même nos noms». Photo Peter Garritano pour The New York Times

Trois ans plus tard parut le roman Montecore, un tigre unique ainsi que la pièce très acclamée Invasion!, une comédie noire cinglante et hilarante sur les réalités politiques de la vie en tant qu’homme du Moyen-Orient dans un monde post-11 septembre. Cette pièce valut à Khemiri un Obie Award pour l’écriture dramatique.

En grandissant, Khemiri ressentait souvent une pression intense à « prouver » sa suédité, bien qu’il soit né en Suède (et d’une mère suédoise). Ses origines familiales et son apparence physique — il s’est un jour décrit comme « un gars qui n’a pas l’air suédois, avec des cheveux de fille » — faisaient que d’autres remettaient parfois en question son identité.

Le père tunisien de Khemiri a enseigné un temps le français et l’arabe au lycée, et cette éducation multilingue a éveillé très tôt chez Khemiri une conscience aiguë du pouvoir que confère le langage. Tout cela a nourri une carrière d’écrivain prolifique : au cours des vingt dernières années, il a publié six romans et sept pièces de théâtre.

Des personnages qui lui ressemblent, certains portant même le prénom de Jonas, apparaissent fréquemment dans ses romans. « Jonas est toujours en mouvement », expliquait Khemiri dans un e-mail. « Ce prénom récurrent rappelle que l’identité est fluide et que toutes les étiquettes sont inventées. Même nos noms. »

Mais selon Khemiri lui-même, Les Sœurs est son roman le plus personnel. Son obsession croissante pour le passage du temps — et ce sentiment que le temps s’accélère avec l’âge — a orienté l’histoire. Les sœurs Mikkola le guidaient depuis les coulisses de son esprit, disait-il, l’encourageant à abandonner ses croyances préconçues sur un destin écrit à l’avance.

Quand les Mikkola sont apparues dans sa tête, elles lui parlaient en anglais — et c’est donc dans cette langue qu’il a écrit le livre, une première pour lui. Cela lui a permis de raconter des épisodes de sa vie qui auraient été trop douloureux à exprimer autrement.

Contrairement au suédois, au français ou à l’arabe, l’anglais — la langue du rappeur Nas et des stars de basket usaméricaines qu’il adorait, et une sorte de monnaie culturelle chez les adolescents suédois à la recherche d’un statut culturel — représentait pour lui un territoire linguistique plus neutre pour explorer des expériences sensibles.

Compte tenu du rôle central de New York dans Les Sœurs, il était naturel que Khemiri retourne y écrire ce roman. En 2021, il s’est installé à Brooklyn avec sa famille, quittant Stockholm, emmenant ses deux jeunes fils qui ne parlaient pas un mot d’anglais, après avoir obtenu une bourse Cullman de la New York Public Library.

Khemiri dans la branche principale de la New York Public Library. Il a écrit Les Sœurs pendant son séjour en tant que boursier. Photo Peter Garritano pour le New York Times.

Après avoir rédigé une première version en anglais et l’avoir présentée à son éditeur suédois, Khemiri se souvient d’un moment quelque peu gênant : C’est merveilleux que tu aies un nouveau livre, lui dit l’éditeur, mais pourquoi n’est-il pas en suédois ?

Khemiri a alors traduit ce premier manuscrit en suédois — publié en 2023 sous le titre Systrarna — puis l’a retraduit en anglais.

Quand il était plus jeune, « j’étais fasciné par les feux d’artifice littéraires, par le fait de repousser les limites du langage », dit-il, citant Vladimir Nabokov et Marguerite Duras parmi ses inspirations de l’époque. « En tant qu’écrivain plus âgé, j’ai compris que les possibilités sont en réalité infinies si je sors ma boussole et vais dans la direction de la vérité. »

Cela en valait la peine, cela a même été libérateur, a-t-il ajouté, « d’écrire des histoires inventées qui semblent plus sincères que ma vie réelle ».

La romancière Madeleine Thien s’est liée d’amitié avec Khemiri pendant leur résidence à la bibliothèque, alors qu’elle travaillait elle aussi sur un livre, et se souvient de lui comme d’un camarade attentif et malicieux.

« Il a toujours gardé ce regard émerveillé sur la bibliothèque, sur la ville, tout en refusant de se comporter comme on s’y attendrait de la part d’un intellectuel universitaire» : par exemple en projetant des films et en faisant du yoga dans les bureaux, et en promouvant en général une attitude espiègle parmi les autres boursiers.

Les sœurs Mikkola, ajoute-t-elle, étaient « si réelles pour lui que j’avais l’impression qu’elles étaient là, tout près ».

Strauss, collègue de Khemiri à N.Y.U., a appris à connaître une autre figure importante — bien réelle cette fois — grâce aux descriptions vivantes de Khemiri.

Alors qu’ils discutaient de leurs parents autour d’un repas, au début de leur amitié, Khemiri confia à Strauss que lorsqu’il cherchait « la permission d’être plus sauvage qu’il ne l’est en réalité, il invoquait ‘Hassen’ » — Hassen étant son deuxième prénom, mais aussi celui de son père, que Strauss comprit comme un homme imprévisible.

Khemiri expliqua à Strauss qu’il « ne pouvait pas être cette personne tout le temps ». Il a en lui trop de choses constantes, fiables, pour être un vrai rebelle. Mais savoir qu’il pouvait s’appuyer sur « Hassen » lui permettait d’être plus libre dans son travail.

Pourtant, « Hassen » est un héritage complexe. Cette sauvagerie n’était qu’un des aspects d’un homme qui faisait aussi des prédictions sombres et punitives sur le destin de son fils. (Le père de Khemiri est décédé en janvier.)

« Comme toute personne à qui on a déjà lancé une malédiction le sait, même quand on essaie de faire exactement l’inverse de ce qu’elle annonce, on vit toujours dans son ombre », a déclaré Khemiri. « On n’est jamais vraiment libre. »

Mais une malédiction, au fond, n’est qu’une histoire. Peu importe combien de temps on y croit — même si elle concerne votre propre vie — cela ne veut pas dire qu’elle est vraie.

 

Les Sœurs

Jonas Hassen KHEMIRI

Stockholm, 1991. Ina, Evelyn et Anastasia surgissent dans la vie de Jonas. Trois sœurs insaisissables, aussi magnétiques qu'éphémères. Lune excelle au basket, l'autre ensorcelle par ses récits, la dernière, regard perçant et couteau dissimulé, sait exactement où frapper. Très vite, Jonas pressent qu'un lien inintelligible les relie à sa propre histoire, à cet homme qu'il a toujours cherché à comprendre : son père. Puis un jour, elles disparaissent. Pendant trente ans, leurs trajectoires s'entrecroisent ici et là, furtivement, se frôlant sans jamais vraiment se toucher. Mais Jonas ne peut pas les oublier. Pourquoi les sœurs Mikkola l'obsèdent-elles à ce point ? Et pourquoi ont-elles cette impression tenace que leurs vies sont dictées par une force obscure ? Une malédiction : “Tout ce que vous aimez, vous le perdrez”.
De Stockholm à Tunis, de Paris à New York, du souvenir à l'oubli, Jonas Hassen Khemiri livre une odyssée littéraire d'une force et d'une subtilité redoutables, où le temps s'accélère et se fragmente, où la mémoire vacille et où la fiction se glisse dans les failles du réel.
septembre, 2025
14.50 x 24.00 cm
688 pages
Traduit par Marianne SÉGOL-SAMOY

ISBN : 978-2-330-20882-0
Prix indicatif : 26.80€



samedi 26 juillet 2025

La mort de l’artiste libanais Ziad Rahbani à 69 ans : une perte dévastatrice pour la culture arabe

Nadia Elias, Al-Quds Al-Arabi, 26/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

C’est avec une grande tristesse que le peuple libanais a appris la nouvelle du décès du grand et brillant artiste libanais Ziad Rahbani, à l’âge de 69 ans, après une lutte contre la maladie.
Emad Hajjaj

Nombreux sont ceux qui ont exprimé leur profonde tristesse suite à sa disparition soudaine, partageant ses photos sur les réseaux sociaux et exprimant leur tristesse face à cette immense perte pour l’art et la culture libanaise et arabe. C’était une voix libre qui mettait en lumière l’injustice et l’imposture, brisant le silence par la parole et l’action.

Ziad Rahbani, né le 1er janvier 1956, était le fils de Fairouz et du regretté musicien Assi Rahbani. Il est reconnu comme l’un des musiciens et hommes de théâtre les plus éminents du Liban, ainsi que comme dramaturge, compositeur, critique politique, commentateur radio et journaliste accompli.

Connu pour son appartenance à la gauche et son soutien à l’idée de résistance, il est resté un fervent défenseur de la cause palestinienne et s’est opposé au système politique traditionnel libanais. Ses œuvres, axées sur une critique satirique et directe de la réalité sociale et politique libanaise, lui ont valu une large audience au Liban et dans le monde arabe.

Rahbani est célèbre pour ses pièces révolutionnaires, devenues des classiques du théâtre libanais et transmises de génération en génération avec amour et intérêt. Parmi les plus marquantes, on peut citer : « Sahrieh », « Nazl al-Surur », « Haga Fashal », « Asb’l Bi-Luqra Shou? », « Film Amriki Tall », « Lawla Fashat Al-Amal », « Bi’s-Karama wa al-Sha’b al-’Aneed », etc.

Il a puisé sa matière théâtrale dans le vocabulaire de la vie quotidienne, présentant ses personnages dans la langue du peuple et avec un talent comique rare, ce qui le fait ressortir comme un acteur comique habile qui sait choisir ses rôles en fonction de sa personnalité et de ses capacités.

Ziad a débuté sa carrière artistique très jeune, écrivant et composant pour sa mère, Fairouz. Il est devenu un troisième pilier culturel après ses parents, proposant une nouvelle vision du théâtre arabe contemporain alliant musique, comédie, politique et audace.

Malgré son retrait relatif de la vie artistique ces dernières années, il a conservé une grande considération auprès d’un large public d’intellectuels et d’amateurs d’art authentique.

Les détails des funérailles seront dévoilés dans les prochaines heures, avec la participation de sa mère, Fairouz, de sa sœur, Rima, et de son frère, Hali.

Les communautés officielles, artistiques et populaires du Liban l’ont pleuré, le président Joseph Aoun exprimant sa « douleur suite au décès du grand artiste Ziad Rahbani, décédé après une carrière artistique exceptionnelle qui a profondément marqué notre conscience culturelle ».

Il a déclaré : « Ziad Rahbani n’était pas seulement un artiste, mais une entité intellectuelle et culturelle à part entière. Plus encore, il était une conscience vivante, une voix rebelle contre l’injustice et un miroir honnête pour les personnes souffrantes et marginalisées. Il écrivait sur la douleur des gens et jouait sur les cordes de la vérité sans ambiguïté. Par son théâtre engagé et sa musique, débordante de créativité, oscillant entre le classique, le jazz et la musique orientale, il a présenté une vision artistique unique et a ouvert de nouvelles perspectives sur l’expression culturelle libanaise, lui permettant d’acquérir, par ses innovations, une renommée internationale ».

Le Président de la République a ajouté : « Ziad était un prolongement naturel de la famille Rahbani, qui a donné au Liban tant de beauté et de dignité. Il est le fils du créateur Assi Rahbani et de Fairouz, notre ambassadrice auprès des étoiles, à qui nous présentons aujourd’hui nos sincères condoléances, et nous sommes de tout cœur avec elle dans cette grande perte. Nous partageons avec elle la douleur de perdre quelqu’un qui était pour elle plus qu’un soutien. Nous présentons également nos condoléances à l’honorable famille Rahbani pour cette grande perte. »

Il a conclu en déclarant : « Les nombreuses œuvres remarquables de Ziad resteront vivantes dans la mémoire des Libanais et des Arabes, inspirant les générations futures et leur rappelant que l’art peut être une résistance et que les mots peuvent être une prise de position. Que Ziad Rahbani repose en paix, et que sa musique et ses pièces, vibrantes de mémoire et de vie, demeurent un phare de liberté et un appel à la dignité humaine. »

Le Premier ministre Nawaf Salam a également exprimé son deuil, écrivant : « Avec la disparition de Ziad Rahbani, le Liban perd un artiste créateur exceptionnel et une voix libre, restée fidèle aux valeurs de justice et de dignité. Ziad incarnait un profond engagement envers les causes de l’humanité et de la nation. Sur scène, par la musique et les mots, Ziad a dit ce que beaucoup n’osaient pas dire, et a touché les espoirs et les souffrances des Libanais pendant des décennies. Par sa franchise douloureuse, il a insufflé une nouvelle conscience à la culture nationale. J’offre mes plus sincères condoléances à sa famille et à tous les Libanais qui l’aimaient et le considéraient comme leur voix. »

Le ministre de la Culture, le Dr Ghassan Salameh, a écrit sur son compte X : « Nous redoutions ce jour, car nous savions que son état de santé se détériorait et que son désir de se faire soigner diminuait. Les projets de le soigner au Liban ou à l’étranger étaient devenus des idées dépassées, car Ziad n’avait plus la capacité d’imaginer le traitement et les opérations que cela nécessiterait. Que Dieu ait pitié du créatif Rahbani . Nous le pleurerons en chantant ses chansons éternelles. »

Quant à l’actrice libanaise Carmen Lebbos, qui était en couple avec Ziad Rahbani, elle a couvert sa page de noir, écrivant tristement : « Pourquoi est-ce ainsi ? J’ai l’impression que tout a disparu... J’ai l’impression que le Liban est vide. »



 

 شو هالأيام

كأنه المصاري قشطت لحالا عهيدا نتفة وهيدا كتير

حلوة دي حلوة دي حلوة دي بتعجن في الفجرية

بيقولولك من عرق جبينه طلع مصاري هالإنسان

طيب كيف هيدا وكيف ملايينه وما مرة شايفينه عرقان

مش صحيح مش صحيح مش صحيح الهوا غلاب

شو هالإيام اللي وصلنالا قال إنه غني عم يعطي فقير

كأنه المصاري قشطت لحالا عهيدا نتفة وهيدا كتير

حلوة دي حلوة دي حلوة دي بتعجن في الفجرية

الغني من تلقاء نفسه حابب يوزع ورق المال

مانه بخيل أبدا على عكسه ذكركم يا ولاد الحلال

ليل يا لال ليل يا لال ليل

كل واحد منا عنده ستيله ما بيمنع إنو يصير تنسيق

جبلي لمضيلك قلمي ستيله كل الشعوب بكرا هتفيق

يا سلام يا سلام يا سلام سلم

شو هالإيام اللي وصلنالا قال إنه غني عم يعطي فقير

كأنه المصاري قشطت لحالا عهيدا نتفة وهيدا كتير

حلوة دي حلوة دي حلوة دي بتعجن في الفجرية

كل المصاري اللي مضبوبة الما بتنعد وما بتنقاس

أصلا من جياب الناس مسحوبة لازم ترجع ع جياب الناس

هيا دي هيا دي هيا دي هيا الأصلية

هيا دي هيا دي هيا دي هيا الأصلية

C’est quoi ces jours qu’on vit, dis-moi ?


On dirait que l’argent tombe tout seul,
Un p’tit pour lui, pour l’autre, un plein seau d’or.
Oh qu’elle est belle, oh qu’elle est belle,
Elle pétrit dès l’aube, sans faire d’effort.

On te raconte : “Il l’a gagnée en peinant”,
À la sueur du front, fier et vaillant.
Mais celui-là, avec ses millions,
Jamais vu transpirer, ni d’près, ni d’loin !

Refrain :
C’est quoi ces jours qu’on vit, dis-moi ?
Un riche qui donne à un pauvre, tu crois ?
On dirait qu’les billets pleuvent du ciel,
Un p’tit pour lui, pour l’autre, un arc-en-ciel.
Oh qu’elle est belle, oh qu’elle est belle,
Elle pétrit dès l’aube, fine et rebelle.

Le riche soudain veut tout partager ?
C’est pas un radin ? Il faut arrêter !
C’est pas d’la bonté, ni du grand cœur,
C’est un vieux théâtre, peint sans couleur.

Souviens-toi, brave peuple oublié,
C’qu’il t’a pris, faudrait le rendre en entier.
Mais il te sourit, te jette un billet,
Et tout l’monde applaudit sans se poser.

Refrain
C’est quoi ces jours qu’on vit, dis-moi ?
Un monde à l’envers où tout va de soi.
On dirait qu’les billets poussent en fleurs,
Un p’tit pour toi, pour lui, tout le bonheur.
Oh qu’elle est belle, oh qu’elle est belle,
Elle pétrit dès l’aube, sous les chandelles.

Layl ya lal, layl ya lal,
Chacun son style, chacun son bal.
Mais unissons nos cris, nos voix,
Demain les peuples se lèveront pour ça !

Tous ces trésors qu’on peut même pas compter,
Sont tirés d’nos poches, volés en beauté.
Il est temps qu’ça change, qu’on dise assez,
Que l’or du monde nous soit rendu en paix.

Refrain
C’est quoi ces jours qu’on vit, dis-moi ?
Un riche qui donne à un pauvre, pour quoi ?
On dirait qu’les billets tombent tout seuls,
Un p’tit pour lui, pour l’autre, un arc-en-ciel.
Mais la vérité, la seule, la vraie,
C’est qu’ça doit revenir chez toi, chez moi.

Oui, c’est celle-là, c’est celle-là,
La seule vraie route, la seule vraie voix.
Oui, c’est celle-là, c’est celle-là —
La vraie justice, et pas d’bla-bla.

 

بلا ولا شي

 ولا فيه بهالحب مصاري ولا ممكن فيه ليرات

ولا ممكن فيه أراضي ولا فيه مجوهرات

تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

تعي نقعد تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

بلا ولا شي بحبك بلا ولا شي

بلا كل أنواع تيابك بلا كل شي فيه تزييف

بلا كل أصحاب صحابك التقلا والمهضومين

تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

تعي نقعد تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

بلا ولا شي وحدك بلا ولا شي

بلا جوقة أمّك فيّي ورموش وماسكارا

بلا ما النسوان تحيك بلا كل هالمسخرة

تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

تعي نقعد تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

 

Je t’aime sans rien

Je t’aime sans rien, sans rien du tout,
Sans un sou, sans billet, sans bijou.
Y a pas d’argent dans mon amour,
Ni lingots d’or, ni grand détour.
Viens qu’on s’pose sous un coin d’ombre,
Elle est à personne, douce et sans nombre.
Aime-moi… et pense un peu.
Viens qu’on s’pose, rien que tous les deux.

[Refrain]
Je t’aime sans rien, sans rien du tout,
Pas d’apparat, pas de décousu.
Sans robe chic, sans défilé,
Sans les faux-amis trop bien habillés.
Viens qu’on s’pose sous un coin d’ombre,
Elle est à personne, douce et sans nombre.
Aime-moi… et pense un peu.
Viens qu’on s’pose, rien que tous les deux.


Je t’aime sans rien, rien que toi-même,
Sans ta troupe, ni leurs faux problèmes.
Pas d’mascara ni p’tit brushing,
Ni les commères qui parlent de rien.
Viens t’asseoir loin de leurs regards,
À l’abri du bruit, tout est plus clair.
Aime-moi… et pense un peu.
Viens qu’on s’pose, loin des envieux.

[Refrain final]
Je t’aime sans rien, sans maquillage,
Pas besoin d’artifice ni de page.
Sans les conseils, sans les discours,
Aime-moi vrai, aime-moi court.
Viens qu’on s’pose sous un coin d’ombre,
Elle est à personne, douce et sans nombre.
Aime-moi… et pense un peu.
Viens qu’on s’pose, rien que tous les deux.