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Accidents de la route : l’Afrique en tête des décès mondiaux L’Afrique enregistre le taux le plus élevé de mortalité routière au monde, avec 19,6 décès pour 100.000 habitants, selon un rapport de l’OMS. Bien que 22 pays africains aient réduit les décès depuis 2010, le continent subit encore 24% des décès routiers mondiaux. Les plus touchés sont les hommes, les 18-59 ans et les usagers vulnérables, notamment les piétons (31%) et les motards (17,5%).

lundi 24 février 2025

De quoi “le procès Kastet” est-il le nom ?

 

 Salma El Harrak, enass, 21/2/2025

* Selma El Harrak est journaliste et étudiante-chercheure en sciences de l’information et de la communication. 

 La politique de musellement des voix reste fermement en place au Maroc. Hamid Mahdaoui, Ismail Laghzaoui, et maintenant Ridouan Kastet—la liste ne cesse de s’allonger, et l’année 2025 ne fait que commencer.

Le 10 février dernier démarrait le procès de l’activiste Ridouan Kastet à la chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tanger. Malgré un fort soutien juridique de la part des avocats, sa demande de mise en liberté provisoire  fut rejetée par la Cour. Un sit-in de solidarité a été organisé devant le tribunal en soutien à Kastet. La prochaine audience est prévue pour le 24 février.

Récit de l’arrestation d’un activiste pour la Palestine

Mercredi 5 février 2025, l’activiste et blogueur Ridouan Kastet a été arrêté à Tanger. Connu pour son soutien à la cause palestinienne et sa critique de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, Kastet fait désormais l’objet de lourdes poursuites judiciaires 

Pour l’heure, et avant le débat sur le fond dans son procès, peu d’éléments filtrent sur les raisons de cette arrestation et ces poursuites. La presse locale de Tanger suggère que son arrestation soit « liée à des publications sur son compte Facebook exprimant sa solidarité avec la cause palestinienne et son opposition à la normalisation ». 

Une source anonyme, nous a révélé que la poursuite de Kastet est liée à une publication sur les réseaux sociaux considérée comme une « infraction criminelle », impliquant des accusations d’incitation à la haine, à la violence et à la provocation. Les mêmes sources indiquent que le procureur l’a inculpé en vertu du Code pénal pour des infractions telles que  « outrage à des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions », « outrage à une entité constituante », « incitation à commettre un crime via des moyens électroniques » et « incitation à la discrimination et à la haine ».

La source a précisé que son arrestation a été ordonnée par le procureur en raison d’une publication relative à l’assassinat de citoyens israéliens par un Marocain à Tel-Aviv, plutôt que de sa position sur la normalisation.

Kastet était proche d’Al Adl Wal Ihsan (Mouvement de Justice et Bienfaisance), l’une des plus influentes organisations islamistes du Maroc, avant de prendre ses distances envers cette mouvance. Il a également participé au Mouvement du 20 février né en 2011, pourtant des revendications de liberté, de dignité et de justice sociale. Dans un communiqué, Al Adl Wal Ihsan a condamné son arrestation, la qualifiant de « détention politique visant à réprimer la liberté d’expression et à faire taire les voix dissidentes ». Cette organisation a appelé à sa libération « immédiate ».

Un schéma répressif

La répression de l’expression des opinions, en ligne  de même qu’ hors ligne, s’inscrit dans une vague continue de répression des dissidents au Maroc. En 2022 seulement, les autorités ont enquêté, poursuivi et emprisonné au moins sept journalistes et activistes pour avoir critiqué le gouvernement. D’autres ont été poursuivis pour avoir abordé des questions religieuses ou exprimé leur solidarité avec des détenus politiques, comme l’a signalé Amnesty International.

Dans une interview accordée au Monde Afrique, Maâti Mounjib a déclaré : « Le Maroc vit sa période la plus autoritaire depuis trente ans. » Mounjib, historien marocain, a été arrêté en 2021. À l’âge de 61 ans, il a été provisoirement libéré le 23 mars 2021 après près de trois mois de détention à la prison d’El Arjat, près de Rabat. Défenseur de la liberté d’expression, il avait été condamné en janvier 2021 à un an de prison pour « atteinte à la sécurité de l’État » et « fraude ».

En juillet dernier, activistes et prisonniers politiques ont connu un bref répit lorsque le roi Mohammed VI a exercé son droit en vertu de l’article 58, celui d’accorder des grâces royales. Les journalistes Omar Radi, Soulaimane Raissouni et Taoufik Bouachrine ont été libérés en même temps que plusieurs autres activistes en ligne, également détenus suite à l’expression d’opinions dissidentes. Cependant, la vague de répression a depuis repris, comme en témoignent les arrestations de Laghzaoui et maintenant de Kastet.

Selon le rapport 2024 de Human Rights Watch, le journaliste Hamid Mahdaoui a été condamné le 11 novembre à 18 mois de prison pour diffamation présumée contre le ministre de la Justice Abdelatif Ouahbi, et condamné à une amende de 1,5 million de dirhams marocains (environ 150 000 dollars américains).

L’arrestation de Kastet s’inscrit dans une nouvelle vague, touchant les personnes soutenant la cause palestinienne. L’activiste Ismail Laghzaoui,et qui venait à peine d’être libéré de prison, en a fait les frais suite à un procès à Casablanca. Laghzaoui a été condamné en décembre à un an de prison pour avoir appelé à un blocus de l’ambassade des États-Unis en raison de son soutien à Israël. Il a été accusé d’« incitation à commettre des crimes et délits par des moyens électroniques ». Sa peine fut réduite à quatre mois de prison, dont deux avec sursis.  

Les attaques ciblant les personnes solidaires coïncident avec le retour en force de la normalisation. Les autorités locales d’Agadir ont interdit un sit-in prévu le 5 février devant le Parc des Expositions, où s’est tenue le Salon Halieutis du 6 au 9 février. Le rassemblement avait été organisé pour protester contre la participation d’une délégation israélienne, selon une déclaration de l’Observatoire marocain contre la normalisation, qui a dénoncé ce qu’il a décrit comme une « oppression autoritaire ».

Contradictions légales et constitutionnelles

La constitution marocaine garantit en principe la liberté d’expression et la liberté de la presse. L’article 28 stipule : « Toute personne a le droit d’exprimer et ou diffuser librement des informations, des idées et des opinions, dans les seules limites expressément prévues par la loi. » De plus, la loi affirme explicitement que « La liberté de la presse est garantie et ne peut être restreinte par aucune forme de censure préalable. » Cependant, ces garanties sont sapées par l’interprétation vague et large des restrictions légales par l’État, permettant aux autorités de réprimer la dissidence.

D’après le même rapport de Human Rights Watch, « les autorités ont de plus en plus recours à des accusations douteuses d’inconduite sexuelle pour cibler les dissidents. Omar Radi, Soulaimane Raissouni et Taoufik Bouachrine ont tous été arrêtés, jugés  puis emprisonnés sous de telles allégations, une tactique utilisée ces dernières années pour discréditer les opposants. » De nombreux cas démontrent comment le système judiciaire est utilisé à l’image d’un outil pour occulter l’opposition, en contradiction avec les engagements constitutionnels du Maroc en matière de liberté d’expression.

Jusqu’à quand cette oppression va-t-elle durer ?

L’intensification de la répression au Maroc soulève de sérieuses inquiétudes quant à l’engagement du pays en faveur des droits de l’homme, et des principes démocratiques. Cela est particulièrement préoccupant à l’approche de la Co-organisation de la Coupe du Monde de la FIFA en 2030 par le Maroc. Comment un pays qui réduit au silence les voix critiques sur les réseaux sociaux peut-il se présenter comme un partenaire mondial pour un tel événement ?

Les activistes et journalistes continuent de vivre sous la menace constante de poursuites judiciaires. Beaucoup sont poursuivis par le Code pénal plutôt que par le Code de la presse, et écopent de lourdes peines pour leurs opinions. Alors que ces lignes sont écrites, un groupe de sept militants du Hirak du Rif, dont les leaders Nasser Zefzafi et Nabil Ahamajik, restent derrière les barreaux, purgeant de la sorte des peines allant jusqu’à 20 ans de prison pour s’être récrié  contre les conditions de vie dans leur région délaissée. La question demeure : Jusqu’à quand cette oppression va-t-elle durer ?

Ridouan Kastet risque jusqu’à cinq ans de prison en fonction des charges retenues contre lui. La prochaine audience est prévue pour le 24 février. Ridouan comme plusieurs autres citoyens ont tous besoin de notre solidarité…


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