La France n'en fait pas assez pour respecter ses engagements de lutte contre le changement climatique et doit prendre des mesures supplémentaires dans les neuf mois. La justice a rendu jeudi une décision "historique" qui devrait alimenter la campagne présidentielle.
Saisi par la commune de Grande-Synthe, le Conseil d'Etat, plus haute juridiction administrative française, a donné raison à cette ville du Nord qui s'estime menacée par la montée du niveau de la mer, soulignant que les trajectoires actuelles de la France ne lui permettaient pas de respecter ses engagements dans le cadre de l'accord de Paris.
Il a donc ordonné "au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (...) afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs", soit une baisse de 40% d'ici 2030 par rapport à 1990.
Le gouvernement a jusqu'au 31 mars, soit en pleine campagne pour la présidentielle, pour revoir sa copie. Et si les juges estiment les mesures toujours insuffisantes, le Conseil pourra prononcer une astreinte financière.
Ce processus assez long n'aboutira pas avant le scrutin présidentiel, mais donnera des arguments aux critiques du bilan d'Emmanuel Macron en la matière.
La décision, inédite en France, intervient juste après que le Haut Conseil pour le Climat (HCC) eut estimé une nouvelle fois dans son rapport annuel que "les efforts actuels sont insuffisants pour garantir l'atteinte des objectifs" de la France. Malgré une baisse des émissions de 1,9% en 2019 et estimée à 9,2% en 2020, chiffre exceptionnel dû à la mise à l'arrêt de l'économie par la pandémie de Covid-19.
- "Pas sérieusement contesté" -
La trajectoire sera d'autant plus difficile à respecter que l'Union européenne s'apprête à revoir à la hausse ses objectifs avec des répercussions attendues pour la France, souligne le HCC, organisme indépendant créé par Emmanuel Macron pour évaluer la politique climatique du pays.
Un constat "pas sérieusement contesté" par le gouvernement, écrivent les juges.
Dans un communiqué, Matignon a "pris acte" de la décision et "rappelé sa détermination à renforcer son action climatique". Notamment en faisant appliquer rapidement la loi climat-résilience en discussion au Parlement "dès lors" qu'elle aura été adoptée, par un "engagement fort" au niveau de l'UE, dont Paris assurera la présidence début 2022, ou encore par la poursuite des aides à la transition, par exemple pour l'achat de véhicules propres.
Il y a dans la décision de jeudi "une forme de reconnaissance des choses qui ont été faites, mais ne sont pas suffisantes et devront être complétées," estime-t-on à Matignon.
Quant à l'expiration du délai peu avant la présidentielle (pressentie les 10 et 24 avril), la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili n'y voit pas malice. "Que ça fasse partie du débat politique, que tous les acteurs et tous les secteurs s'emparent de ce sujet, c’est extrêmement important", a-t-elle dit à la presse en marge d'un déplacement.
"C'est une journée historique," a réagi de son côté l'avocate de Grande-Synthe, l'ancienne ministre de l'Ecologie Corinne Lepage.
Le jugement "reconnait de manière absolument indubitable que les efforts qui sont faits actuellement sont notoirement insuffisants," s'est-elle félicitée.
"L'étau se resserre autour de l'Etat", a commenté de son côté Celia Gautier, porte-parole de l'Affaire du siècle, coalition de quatre ONG qui s'était jointe à l'action de Grande-Synthe et poursuit également l'Etat pour "inaction climatique" dans une autre procédure. Soutenues par une pétition signée par plus de 2,3 millions de personnes, elles ont obtenu en février une première condamnation de l'Etat, reconnu responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement.
Les militants écologistes ont déployé une nouvelle stratégie de contentieux juridiques sur le climat ces dernières années, et les premières décisions en la matière tombent depuis quelques mois, au détriment de l'Etat.
Les justices néerlandaise et allemande ont elles aussi récemment ordonné un relèvement des ambitions climatiques de leur Etat respectif. Ce qui a été rapidement fait en Allemagne.
Les plaignants français s'inquiètent déjà qu'il n'en soit pas de même. "Nous allons veiller au grain," promet Me Lepage. Alors que Celia Gautier exhorte le gouvernement à cesser de "choisir le déni (...) et la posture de l'autruche".
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