Jassim Ahdani, Jeune Afrique, 23/4/2025
À Marrakech comme à Rabat, les mobilisations du 45e Printemps amazigh
ont réaffirmé des revendications identitaires fortes, entre luttes
locales et mémoire collective qui va au-delà des frontières du royaume.
Deux marches distinctes ont été organisées le dimanche 20 avril, l’une à Marrakech, l’autre à Rabat, à l’occasion du 45e anniversaire de Tafsut Imazighen, le « Printemps amazigh ». Si la première a pu se dérouler dans un cadre paisible, la seconde a été interrompue par les forces de l’ordre.
Dans la cité ocre, vers 11 heures, entre 3 000 et 3 500 personnes se sont rassemblées aux pieds des remparts de Bab Doukkala, en dépit d’un dispositif sécuritaire visible et d’un message initial des autorités interdisant la manifestation. Deux camions à jet d’eau, une dizaine de véhicules des forces auxiliaires et sept ambulances étaient mobilisés. « On a senti qu’il y avait volonté de nous empêcher de marcher », témoigne une source présente sur place. Ce n’est qu’à 11 h 45 que les autorités ont autorisé le départ du cortège, qui a parcouru environ 4,5 kilomètres jusqu’à la mosquée Koutoubia, sous encadrement policier.
Soixante ONG se sont jointes à l’événement, choisissant Marrakech pour sa proximité avec la région d’Al Haouz, touchée par un violent séisme le 8 septembre 2023. Outre la commémoration de Tafsut, la marche visait à exprimer la solidarité avec les sinistrés et à appeler l’État à accélérer le processus de reconstruction. Selon les chiffres officiels, environ 3 200 familles vivent encore sous des tentes, malgré la mobilisation d’un fonds de 16 milliards de dirhams (plus de 1,5 milliard d’euros).
À Rabat, la marche prévue le même jour n’a pas pu se tenir comme espéré. Environ 200 manifestants avaient prévu de défiler de la place Bab El Had au Parlement, mais ont été bloqués par un important dispositif sécuritaire. Des échauffourées mineures ont été signalées. « Deux manifestants venus de Nador ont été blessés et évacués à l’hôpital », note un activiste présent, leurs blessures n’étant pas jugées graves.
Une synergie nord-africaine
Sous le mot d’ordre « Pour une identité amazighe de l’État », les participants ont insisté sur la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, notamment dans l’enseignement et les médias. Selon les ONG participantes, bien que le tamazight ait été officialisé en 2011, les institutions publiques peinent encore à traduire cette avancée dans les faits.
Des critiques ont également été adressées au gouvernement d’Aziz Akhannouch, accusé de ne pas avoir honoré ses engagements électoraux en matière d’intégration de la langue et de la culture amazighes. En ce sens, des voix se sont élevées contre ce qu’elles ont qualifié de régression dans la représentation médiatique et académique de l’amazighité. En guise d’exemple, le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) et le ministère de la Culture ont récemment lancé un programme de traduction des œuvres des Marocains du monde vers l’arabe… sans y inclure le tamazight.
Si, à Marrakech, la manifestation s’est articulée autour de revendications ancrées dans les réalités locales, à Rabat, les slogans ont principalement porté sur des dossiers institutionnels. Mais au-delà de ces spécificités, une convergence entre les deux mobilisations reste notable. Qu’il s’agisse de Marrakech ou de Rabat, toutes deux ont réaffirmé un appel désormais récurrent dans la mouvance amazighe : la libération des détenus du Hirak du Rif.
Autre similarité : dans les deux villes, des étendards de la Kabylie et de l’Azawad (nord du Mali) ont été brandis aux côtés des fameux drapeaux tricolores amazighs. Un geste lourd de symbolique, synonyme d’un sentiment d’appartenance à un bassin culturel commun. Car au-delà des doléances, « Tafsut, c’est une date phare célébrée un peu partout, dans les villages, les villes, les campus universitaires, sans lieu central », résume un des leaders de la marche avortée à Rabat.
Le Printemps amazigh de 1980
Tafsut, commémorée chaque année en avril, trouve ses racines non pas au Maroc mais dans les événements de 1980 en Kabylie, lorsqu’une conférence sur la poésie amazighe préislamique fut interdite à Tizi Ouzou. Depuis, la date est devenue un moment symbolique pour les militants amazighs à travers l’Afrique du Nord et la diaspora.
Dans un article paru en avril 2023 sur le site amadalamazigh, le chercheur marocain Mounir Kejji rend compte de l’« Impact du Printemps amazigh d’avril 1980 sur le Maroc ». Le 19 avril 1981, le linguiste Boujemâa Habbaz fut enlevé à Rabat. Il ne sera jamais retrouvé. Dans la revue Amazigh, lancée par Ouzzine Aherdan et censurée à l’époque, un article intitulé « Pour une vraie définition de notre culture nationale » signé Ali Sadki Azaykou a valu à son auteur, historien, une condamnation à une année de prison en 1982. L’avocat Hassan Id Balkassm, lui, a été arrêté pendant une semaine la même année pour avoir écrit son nom en tifinagh sur la plaque de son cabinet.
Du côté d’Agadir, « quatre hôtels ont été fermés pour avoir accroché des plaques en tifinagh sur leur devanture », tandis que « la seule association amazighe active dans le Souss pendant cette période, à savoir l’université d’été d’Agadir, s’est vue interdire sa session annuelle », rappelle Mounir Kejji dans son article.
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