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mercredi 13 août 2025

L’Espagne s’apprête à déclassifier des milliers de documents secrets sur le Sahara occidental et la Marche verte

ECSAHARAUI, 3/8/2025
Traduit par SOLIDMAR

Madrid (ECS).- Le gouvernement de Madrid entend déclassifier des milliers de documents classifiés antérieurs à 1982, notamment des documents relatifs au retrait soudain du Sahara occidental, à la Marche verte et à la diplomatie secrète pendant la transition démocratique. Ce secret d’État classifié pendant de nombreuses années suscite un intérêt bien au-delà des frontières espagnoles. 

Selon un article publié dans le journal El País le 28 juillet, le gouvernement de Pedro Sánchez est sur le point d’adopter une loi qui représente un changement historique dans la gestion des secrets d’État. Le projet de réforme, qui remplacera la Loi de 1968 sur les secrets officiels héritée du régime franquiste, propose la déclassification immédiate de tous les documents classifiés datant de plus de 45 ans, sauf dans les cas où cela présenterait un risque exceptionnel pour la sécurité nationale. Le journal explique que « le processus de déclassification concernera tous les documents antérieurs à 1982 ».

Derrière cette initiative démocratique se cache une partie importante de l’histoire de la diplomatie espagnole qui pourrait être récupérée. Les chercheurs espagnols attendent ce moment depuis des décennies, tandis que leurs voisins du sud, le Sahara occidental et le Maroc, l’observent avec beaucoup d’enthousiasme. Les documents en question comprennent ceux liés à la fin de la présence espagnole au Sahara occidental, à la Marche verte du 6 novembre 1975 et à la politique secrète de l’Espagne envers le Maroc pendant la transition politique.

Le journal souligne que « parmi ces documents figurent des détails sur le processus qui a conduit au retrait précipité du Sahara occidental en 1975, alors que Franco était sur son lit de mort ». Ce retrait a eu lieu dans un contexte régional très tendu et a souvent été décrit comme improvisé et mené dans des circonstances mystérieuses. Pour le Maroc, tout document attestant la nature des engagements de l’Espagne à l’époque ou indiquant une reconnaissance implicite de la souveraineté marocaine sur le territoire aurait une grande valeur diplomatique et symbolique. Dans le cas contraire, cela constituerait une grave crise diplomatique entre Rabat et Madrid.

Cependant, l’accès à ces archives n’est pas garanti. Le ministre de la Présidence du gouvernement, Félix Bolaños, a averti que la quantité de documents en question est « énorme » (ingente) et que le processus de déclassification « ne sera pas immédiat », mais « progressif, en donnant la priorité aux documents liés aux violations des droits humains ».

À cela s’ajoutent des difficultés matérielles, car « les documents doivent être identifiés, organisés, classés et indexés avec précision » avant d’être transférés à la commission d’archives compétente, puis déposés dans les archives publiques. En d’autres termes, il ne suffit pas que les documents existent et soient déclassifiés, ils doivent également être physiquement accessibles.

La disparité éventuelle de la documentation aura des conséquences politiques, car elle permet à l’État espagnol de maintenir une sorte d’« amnésie stratégique », tout en limitant le droit à la vérité des communautés concernées, en particulier le peuple sahraoui.

Au Maroc, plusieurs médias proches du régime ont suivi cette évolution avec un mélange d’espoir prudent et de vigilance. L’ouverture des archives pourrait révéler les secrets de la Marche verte ou les détails cachés de l’accord tripartite de Madrid. Elle pourrait également confirmer des éléments qui sont restés longtemps cachés, tels que des concessions implicites, la médiation usaméricaine ou les doutes de la haute hiérarchie militaire espagnole.

Pour la démocratie espagnole, le défi est double : premièrement, rendre ces archives fonctionnelles et réellement accessibles, plutôt que simplement déclassifiées sur papier ; deuxièmement, assumer la responsabilité de leur contenu. Comme le souligne El País, « les chercheurs ne peuvent exiger ce qu’ils ne connaissent pas ». Le défi ne se limite donc pas à l’ouverture des dossiers ; il exige également la création d’un catalogue public rigoureux et consultable, sans lequel la transparence restera un mirage.

mardi 12 août 2025

À Tiznit, dans le sud du Maroc, la hausse des refoulements de migrants inquiète les associations

 Romain Philips Rana AldiabInfoMigrants, 7/8/2025                                                                                                       Un camp de migrants à Tiznit au sud du Maroc. Crédit : DR
Un camp de migrants à Tiznit au sud du Maroc. Crédit : DR

Ces derniers mois, les associations humanitaires de Tiznit, dans le sud du Maroc, observent une hausse des expulsions et s’inquiètent de la situation dans cette ville dépourvue de structures d’accueil.

C’est un ballet régulier et de plus en plus intense que décrit Roméo Nyamsi, de l’antenne de Tiznit d’Alarme Phone Sahara. Il arpente quotidiennement les rues de Tiznit, ville de 90 000 habitants dans le sud du Maroc, et constate depuis ces six derniers mois "des expulsions de plus en plus fréquentes". "Les bus arrivent tous les 2-3 jours et laissent environ 50 à 70 migrants", raconte-t-il à InfoMigrants.

Déposés à chaque fois dans des endroits différents de la ville située à une centaine de kilomètres d'Agadir et quelque 700 km de Rabat, à l’abri des regards, ces migrants - principalement des Soudanais, Guinéens, Camerounais et Ivoiriens - sont refoulés après avoir été arrêtés dans le nord du pays.

"La plupart vivent de la mendicité"

Une fois envoyés à Tiznit, les migrants "font comme ils peuvent". "Ils se débrouillent. La plupart vivent de la mendicité", ajoute-t-il, regrettant l’absence de centre d’accueil "pour les accueillir, les intégrer ou les aider".

Auparavant, un camp existait dans la ville, mais, en mars dernier, un incendie - tuant deux personnes - a ravagé ce lieu de vie. Depuis, "on essaie de trouver un autre endroit pour que les gens puissent au moins se reposer mais on n’a pas trouvé. C’est compliqué d’obtenir cela", raconte le référent d’Alarme Phone Sahara.

"Ils mendient en groupes dispersés près des feux de circulation. Certains dorment en plein air sur l’un des ronds-points de Tiznit", confirme El Madani Dahbi, responsable de la section locale de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) à InfoMigrants.

La population migrante de la ville, qui peine à se procurer eau et nourriture en quantité suffisante, vit donc "grâce à la solidarité des habitants". Tiznit "représente un cas emblématique de ville moyenne où les acteurs locaux se voient déléguer de facto la gestion de l’accueil des migrants dispersés depuis 2015 par l’État marocain", rapportait déjà un rapport de l’institut Convergences migrations en 2021.

"L’arrêt de toute forme d’expulsions arbitraires"

La situation actuelle de Tiznit commence en tout cas à inquiéter les associations de défense des droits humains. Début août, l’Association marocaine des droits de l’Homme a indiqué dans un communiqué suivre "avec une grande inquiétude" les expulsions de migrants d'Afrique subsaharienne "en l'absence des conditions minimales d'hébergement et de prises en charge sanitaire et psychologique".

Elle regrette des expulsions "sans aucune considération pour les droits de l'homme ni planification pour préserver la dignité des déportés et garantir le respect des droits fondamentaux", sans toutefois pouvoir les chiffrer. "C’est difficile de savoir les chiffres exacts des expulsions qui se sont intensifiées ces derniers mois car les migrants sont déposés très tôt le matin, secrètement, et très peu de personnes restent", ajoute El Madani Dahbi.

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Certains deviennent marchands ambulants, arrivent à se faire employer au marché, comme assistants d’artisans ou dans des fermes, rapportent les humanitaires interrogés, "mais une fois l'argent récolté, ils repartent pour le nord du Maroc, espérant traverser la mer pour rejoindre l'Europe". Depuis les côtes du nord, ils tentent d'atteindre le sud de l'Espagne, tandis qu'à l'ouest les exilés essayent de rallier l'archipel des Canaries.

Mais ces routes sont de plus en plus contrôlées par les autorités marocaines. Depuis le réchauffement des relations diplomatiques entre Rabat et Madrid en 2022, le Maroc a fait de la lutte contre l'immigration irrégulière une de ses priorités. Selon le ministère de l'Intérieur marocain, près de 80 000 migrants ont été empêchés de rejoindre l'Union européenne depuis le Maroc au cours de l'année 2024. En 2023, ce sont 87 000 migrants qui ont été interpellés sur la route vers l’Europe et encore 70 000 l’année précédente. Et la majorité de ces personnes sont originaires d’Afrique subsaharienne.

L’AMDH réclame donc "l’arrêt de toute forme d’expulsions arbitraires" et la mise en place d’un "plan humanitaire global" car le Maroc reste un pays de transit pour des milliers de migrants désireux de rejoindre l'Union européenne (UE). 

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Routes migratoires : près de 80 000 migrants interceptés par le Maroc en 2024

lundi 11 août 2025

Christopher Nolan sous le feu des critiques après un tournage au Sahara occidental

 Charlotte Amrouni, Les Inrockuptibles, 8/8/2025

En plein tournage de son prochain film intitulé “The Odyssey”, Christopher Nolan fait face à de vives critiques. En cause : son choix de filmer plusieurs scènes au Sahara occidental occupé.
Deux ans après Oppenheimer, Christopher Nolan prépare une nouvelle fresque, cette fois adaptée de L’Odyssée d’Homère. Le tournage de cette relecture portée par Zendaya et Matt Damon a commencé le 17 juillet dans la ville de Dakhla, située au Sahara occidental – un lieu qui a rapidement suscité une vive controverse. Dans un manifeste publié fin juillet, le Festival du cinéma du Sahara (FiSahara) dénonce ainsi leur présence dans “une ville occupée et militarisée dont la population autochtone sahraouie est soumise à une répression brutale de la part des forces d’occupation marocaines”

Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental demeure effectivement une zone de vives tensions, depuis sa cession en 1976. “En tournant une partie de The Odyssey dans un territoire occupé classé comme ‘désert pour le journalisme’ par Reporters sans frontières, Nolan et son équipe, peut-être sans le savoir et sans le vouloir, contribuent à la répression du peuple sahraoui par le Maroc et aux efforts du régime marocain pour normaliser son occupation du Sahara occidental”, déclare María Carrión, directrice exécutive de FiSahara.

Mobilisation internationale
Une prise de parole soutenue par des centaines d’activistes, journalistes et artistes, dont l’acteur Javier Bardem ou le cinéaste Rodrigo Sorogoyen. Tous·tes ont ainsi signé ce manifeste appelant “Christopher Nolan, Universal et les sociétés impliquées dans The Odyssey à reconnaître publiquement qu’ils n’auraient pas dû tourner de scènes à Dakhla, et à ne pas les inclure dans le film ou à obtenir le consentement du peuple sahraoui pour le faire”.
Bien que le FiSahara ait réclamé la suspension du tournage, celui-ci n’a duré que quatre jours et s’est achevé avant le début de la mobilisation. La production se poursuit désormais en Sicile et au Royaume-Uni, tandis que Christopher Nolan n’a pas encore réagi. Une absence de réponse déplorée par María Carrión, qui exhorte toujours le cinéaste et ses équipes à “montrer leur soutien envers la population sahraouie, sous occupation militaire depuis cinquante ans et régulièrement emprisonnée et torturée dans le cadre de sa lutte pacifique pour l’autodétermination”.

Une lettre à Christopher Nolan

Traduite de l'espagnol par SOLIDMAR

Bonjour Monsieur Nolan, je m’appelle Ahmed Fadel, je suis un Sahraoui originaire de Dakhla, l’ancienne Villa-Cisneros, où vous tournez votre film. J’ai quitté ma ville il y a 50 ans, comme la plupart de ses habitants.

Je me souviens des deux seuls cinémas qui existaient : le cinéma Lumen et le cinéma Sahara. J’y allais tous les dimanches pour voir des films de grands artistes comme James Stewart, Marlon Brando, Jack Nicholson, Dustin Hoffman, Robert Redford, Paul Newman, Clint Eastwood, Steve McQueen, Katherine Hepburn, Bette Davis, Audrey Hepburn et Jane Fonda.

Tous ces artistes ont laissé un héritage à ma génération. Des artistes qui représentaient un monde plus humain, plus juste, avec plus de valeurs et qui luttaient toujours pour ce qui est le plus important pour l’être humain : sa liberté.

Ces deux cinémas ont été détruits par l’envahisseur marocain, ceux qui constituaient leur public soit sont morts en combattant ou sont toujours réfugiés depuis lors. Les propriétaires, les portiers et les ouvreurs de ces cinémas ont également péri.

Aujourd’hui, 50 ans plus tard, vous visitez ma ville occupée pour tourner un film qui justifie l’invasion de ma ville captive, l’extermination de son peuple et la destruction de ses deux seuls cinémas.

Cela me fait énormément de peine que parmi mes souvenirs de cette époque, je doive maintenant parler à mes petites-filles, à qui je racontais « À l’est d’Éden », « Un nouvel espoir », « Les Dents de la mer », « Taxi Driver », « La Grande Évasion », de Christopher Nolan et de son « Odyssée » dans la ville occupée de leur grand-père, où sont morts leurs arrière-grands-parents qu’elles n’ont jamais connus.

Ahmed Mohamed Fadel
Ancien guérillero et militant sahraoui

dimanche 10 août 2025

Dégradation des conditions carcérales des détenus sahraouis : alerte sur le cas du journaliste El Bachir Khadda

 OMCT, 8/8/2025

Sahara Occidental - Genève - Paris, 8 août 2025 – L’Observatoire pour la protection des défenseur·es des droits humains (OMCT-FIDH) et Équipe Media expriment leur profonde inquiétude face à la dégradation des conditions de détention du défenseur des droits humains et journaliste saharaoui El Bachir Khadda, arbitrairement détenu depuis 2010 au Maroc. L’Observatoire et Équipe Media alertent également sur le sort de l’ensemble des défenseur·es des droits humains sahraoui·es arbitrairement détenu·es dans le pays et qui souffrent de conditions de détention discriminatoires.

L’Observatoire et Équipe Media ont été informés du refus d’accès aux soins et du harcèlement dont est victime le journaliste sahraoui M. El Bachir Khadda, ainsi que de l’impunité dont bénéficie les auteurs des actes de torture à son encontre. Figure historique du média indépendant « Équipe Média » et membre de l’Observatoire Sahraoui des Droits de l’Homme au Sahara, M. Khadda a été enlevé à Laâyoune en 2010, avant d’être soumis à des actes de torture en représailles de sa couverture médiatique critique des autorités marocaines. Il a été condamné à 20 ans de prison en 2017 par la Cour d’appel de Salé, près de Rabat, pour des faits qualifiés d’« actes criminels ». Sa détention a été reconnue comme arbitraire par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire.

Durant ses quinze années de détention arbitraire à la prison de Salé, d’Aarjat puis de Tiflet 2, l’état de santé mental et physique de M. Khadda s’est considérablement détérioré. Les actes de torture à son encontre lors de son arrestation lui provoquent encore aujourd’hui des douleurs dorsales chroniques et des troubles visuels accrus. La quasi-absence de communication avec ses proches, due à l’éloignement de la prison, aggrave également sa détresse psychologique. Toutes ses demandes d’accès à un examen médical indépendant ont systématiquement été rejetées par l’administration pénitentiaire et les gardiens n’hésitent pas à affirmer que « les ennemis de la nation ne méritent pas de ressources médicales », en référence à son appartenance sahraouie. En 2024, M. Khadda a même été menacé de sanctions disciplinaires pour avoir insisté pour consulter un neurologue. La privation d’accès à des soins médicaux appropriés met aujourd’hui sa vie en danger, ainsi que celle des autres détenus sahraouis qui font l’objet des mêmes restrictions.

L’Observatoire avait déjà récemment déploré le refus de soins du journaliste sahraoui M. Mohamed Lamin Haddi, également détenu arbitrairement depuis quinze ans à la prison de Tiflet 2, dans un état d’isolement prolongé et avec des communications avec ses proches très limités. Pour rappel, l’accès rapide à des soins médicaux appropriés et indépendants est garanti par la Règle 27, alinéa 1, des Règles Nelson Mandela (Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus), ainsi que par le point 20(b) des lignes directrices de Robben Island. En 2022, le Comité des Nations Unies contre la torture avait déjà condamné le Maroc pour restrictions d’accès aux soins d’un détenu sahraoui et avait appelé les autorités à prendre des mesures concrètes à cet égard.

Au-delà du refus d’accès aux soins, M. Khadda subit également un harcèlement continu lié à son appartenance sahraouie de la part du personnel pénitentiaire et des autres détenus de la prison Tiflet 2. Les gardiens qualifient eux-mêmes les détenus sahraouis d’« ennemis de la nation », encouragent les détenus marocains à insulter les sahraouis de « traîtres à la patrie » en les récompensant par des cigarettes, de la nourriture supplémentaire, voire des objets contondants destinés à être utilisés contre les détenus sahraouis. Les mêmes gardiens organisent aussi des séances d’humiliation au cours desquelles les détenus marocains sont contraints de scander des slogans nationalistes tels que « Le Sahara est marocain », sous peine de sanctions telles que l’isolement ou la suppression des visites familiales. Lorsque M. Khadda a tenté de signaler ces abus à plusieurs reprises, les gardiens ont refusé d’intervenir et ont fermé les yeux sur les passages à tabac des détenus sahraouis, notamment lors des transferts vers les douches ou l’infirmerie.

L’Observatoire et Équipe Média constatent avec inquiétude l’impunité dont bénéficient les auteurs des actes de torture et de mauvais traitements infligés à M. Khadda lors de son arrestation et de sa détention et exigent des autorités judiciaires marocaines des enquêtes impartiales et approfondie, des poursuites et des sanctions. Bien que le Maroc ait ratifié la Convention contre la Torture et consacré la prohibition de la torture et des mauvais traitements à l’article 12 de sa Constitution, aucune suite n’a jamais été donnée aux 42 plaintes déposées par le journaliste depuis 2011. La dernière en date, déposée le 30 juin 2025 et concernant des « représailles et refus de soins », est restée à ce jour lettre morte.

L’Observatoire et Équipe Média appellent les autorités marocaines et l’administration de la prison de Tiflet 2 à prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité, l’intégrité physique et le bien-être psychologique de M. El Bachir Khadda.

Les autorités marocaines et l’administration pénitentiaire doivent immédiatement rétablir des conditions de détention conformes aux standards nationaux et internationaux en matière de droits humains pour tou·tes les détenu·es sahraoui·es, et mettre fin à l’usage de la détention prolongée comme instrument pour faire taire les voix des journalistes et défenseur·es des droits humainssahraoui·es.

samedi 9 août 2025

Lancement d’actions judiciaires en France contre les entreprises opérant illégalement au Sahara Occidental occupé


Centre d’analyse du Sahara Occidental (CASO), Paris, le 4 août 2025

À compter du 1er janvier 2026, le Centre d’analyse du Sahara Occidental (CASO) engagera des actions contentieuses devant les juridictions françaises, dans le cadre de ses missions d’intérêt général, contre toute entreprise ou entité économique ayant contribué, directement ou indirectement, à l’exploitation des ressources naturelles du Sahara Occidental, territoire non autonome selon les Nations unies, sans le consentement libre et exprimé du peuple sahraoui.

Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), notamment son arrêt du 4 octobre 2024 (affaires jointes C‑778/21 P et C‑798/21 P), qui a rappelé de manière solennelle que les accords entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc ne peuvent s’appliquer au Sahara Occidental qu’avec le consentement du peuple sahraoui. La CJUE a en outre reconnu au Front Polisario qualité pour agir au nom de ce peuple.

En conséquence, le CASO entend :

dénoncer devant les tribunaux toute activité économique menée par des sociétés françaises ou opérant sur le territoire national en lien avec l’exploitation illégale des ressources du Sahara Occidental (produits agricoles, énergie, tourisme, pêche, logistique, etc.) ;

poursuivre pour pratiques commerciales trompeuses, atteintes aux droits des peuples, ou complicité de pillage, sur le fondement du droit français, du droit européen et des principes du droit international public ;

saisir également les autorités de contrôle compétentes, notamment en matière douanière, de conformité ESG, ou de devoir de vigilance (loi n°2017‑399).

Le CASO met également en place une cellule de veille juridique et citoyenne, en lien avec des juristes, des élus et des organisations de défense des droits humains, afin de documenter chaque dossier et d’établir la responsabilité des acteurs économiques impliqués.

Il est temps de rappeler, en droit comme en conscience, qu’aucun bénéfice économique ne saurait justifier la violation du droit à l’autodétermination d’un peuple colonisé.

vendredi 8 août 2025

Le cyprès de l’Atlas, unique au Maroc, en danger critique d’extinction

 , The Conversation, 22/7/2025

Professeur émérite, Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU)     

Majestueux mais en danger, le cyprès de l’Atlas marocain subit à la fois le réchauffement climatique et la pression locale des activités humaines. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Alors qu’on ne le trouve que dans une unique vallée au Maroc, le cyprès de l’Atlas est aujourd’hui menacé par l’exploitation humaine et a été durement touché par le séisme qui a frappé le Maroc en septembre 2023. Pourtant, cette espèce, protégée et plantée dans d’autres régions, résiste particulièrement bien au réchauffement climatique.

Le bassin méditerranéen est l’un des 36 points chauds de biodiversité d’importance mondiale en raison de sa grande biodiversité, souvent propre à la région. Il est en effet riche de plus de 300 espèces d’arbres et d’arbustes contre seulement 135 pour l’Europe non méditerranéenne. Parmi ces espèces, un certain nombre sont endémiques, comme le genévrier thurifère, le chêne-liège, plusieurs espèces de sapins mais aussi le remarquable cyprès de l’Atlas.

Décrit dès les années 1920, ce cyprès cantonné dans une seule vallée du Haut Atlas, au Maroc, a intéressé nombre de botanistes, forestiers et écologues, qui ont étudié cette espèce très menacée, mais aussi potentielle réponse au changement climatique.

Un arbre singulier et endémique de sa vallée

Le premier à faire mention en 1921 de la présence de ce cyprès dans la vallée de l’oued N’Fiss, dans le Haut Atlas, est le capitaine Charles Watier, inspecteur des eaux et forêts du Sud marocain. Mais c’est en 1950 que Henri Gaussen, botaniste français, qualifie ce conifère de cyprès des Goundafa, l’élève au rang d’espèce et lui donne le nom scientifique de Cupressus atlantica Gaussen.

C’est à l’occasion de son voyage au Maroc en 1948 qu’il a constaté que cet arbre, dont la localisation est très éloignée de celles des autres cyprès méditerranéens, est bien une espèce distincte. En particulier, son feuillage arbore une teinte bleutée et ses cônes, que l’on appelle familièrement des pommes de pin, sont sphériques et petits (entre 18 et 22 mm) alors que ceux du cyprès commun (Cupressus sempervirens), introduit au Maroc, sont beaucoup plus gros (souvent 3,5 cm) et ovoïdes.

Le cyprès de l’Atlas se développe presque uniquement au niveau de la haute vallée du N’Fiss, région caractérisée par un climat lumineux et très contrasté.

Paysage de ma vallée du N’Fiss au Maroc, avec une population de Cyprès. Au premier plan, quelques arbres en forme de flèche
Une population de cyprès dans la vallée. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

On a aujourd’hui une bonne estimation de la superficie couverte par cette espèce dans la vallée du N’Fiss, qui abrite donc la population la plus importante de cyprès de l’Atlas. : environ 2 180 hectares, dont environ 70 % couverts de bosquets à faible densité. Dans les années 1940 et 1950, elle était estimée entre 5 000 et 10 000 hectares. En moins de cent ans, on aurait ainsi perdu de 50 à 80 % de sa surface ! Malgré les imprécisions, ces chiffres sont significatifs d’une régression importante de la population.

Des cyprès aux formes très diverses

Dans ces espaces boisés, la densité des arbres est faible et l’on peut circuler aisément entre eux. Les couronnes des arbres ne se rejoignent jamais et, hormis sous celles-ci, le soleil frappe partout le sol nu.

L’originalité de cette formation est que cohabitent aujourd’hui dans cette vallée de magnifiques cyprès multiséculaires aux troncs tourmentés, des arbres plus jeunes, élancés et en flèche pouvant atteindre plus de 20 mètres de hauteur et des arbres morts dont ne subsistent que les troncs imputrescibles. Ce qui est frappant, et que signalait déjà le botaniste Louis Emberger en 1938 dans son fameux petit livre les Arbres du Maroc et comment les reconnaître, c’est que la majorité des arbres « acquièrent une forme de candélabre, suite à l’amputation de la flèche et à l’accroissement des branches latérales ».

Des cyprès en forme de candélabre. Ce sont les branches sur l’extérieur de l’arbre qui continuent à se développer. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Une pression humaine ancienne et toujours forte

L’allure particulière de ces arbres et la proportion importante d’arbres morts sont avant tout à imputer à l’être humain qui, depuis des siècles, utilise le bois de cyprès pour la construction des habitations et pour le chauffage. Il coupe aussi le feuillage pour nourrir les troupeaux de chèvres qui parcourent la forêt.

En plus de ces mutilations, les arbres rencontrent des difficultés pour se régénérer, en lien avec le surpâturage, toutes les jeunes régénérations des arbres étant systématiquement broutées. La pression anthropique est ainsi une composante fondamentale des paysages de forêt claire de cyprès de l’Atlas.

Un bosquet d’arbre dans la vallée, près d’un village, avec une chaîne de montagnes dans le fond
La présence humaine a façonné le paysage de la forêt claire de cyprès de l’Atlas marocain. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Cette dégradation des arbres et la régression de la population de cyprès ne sont sans doute pas récentes. La vallée du N’Fiss est le berceau des Almohades, l’une des plus importantes dynasties du Maroc, qui s’est étendue du Maghreb à l’Andalousie, du XIIe au XIIIe siècle. La mosquée de Tinmel, joyau de l’art des Almohades, s’imposait au fond de cette vallée, témoin de la fondation de cette grande dynastie. Et il est fort à parier que c’est du bois local, donc de cyprès, qui a été utilisé à l’origine pour la toiture de cette monumentale construction.

Pourquoi aller chercher bien loin du cèdre, comme certains historiens l’ont suggéré, alors qu’une ressource de qualité, solide et durable, existait localement ? L’étude anatomique de fragments de poutres retrouvées sur le site devrait permettre de confirmer cette hypothèse, les spécialistes différencient facilement le bois de cyprès de celui des autres essences de conifères. Dans tous les cas, il est certain que lors de cette période, le cyprès a subi une forte pression, du fait de l’importance de la cité qui entourait ce site religieux.

On notera enfin, confortant les relations intimes entre le cyprès et les populations locales, les utilisations en médecine traditionnelle : massages du dos avec des feuilles imbibées d’eau ou encore décoction des cônes employée comme antidiarrhéique et antihémorragique.

Le séisme du 8 septembre 2023

Le 8 septembre 2023, le Maroc connaît le séisme le plus intense jamais enregistré dans ce pays par les sismologues. Les peuplements de cyprès se situent autour de l’épicentre du séisme. Ce dernier affecte la vallée du N’Fiss et cause d’importants dégâts matériels, détruisant des habitations et des villages et causant surtout le décès de près de 3 000 personnes. Le séisme a également endommagé le patrimoine architectural, et notamment la mosquée de Tinmel, presque entièrement détruite, qui fait, depuis, l’objet de programme de restauration.

Malgré son intensité (6,8), le séisme ne semble pas avoir eu d’effets directs sur les cyprès par déchaussements ou par glissements de terrain, bien que cela soit difficile à apprécier. Ceux-ci ont néanmoins subi des dégâts collatéraux.

Lors du réaménagement de la route principale, des arbres ont été abattus, notamment un des vieux cyprès (plus de 600 ans) qui avait pu être daté par le Pr Mohamed Alifriqui, de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. De plus, des pistes et des dépôts de gravats ont été implantés au sein même des peuplements, à la suite d’une reconstruction rapide, et évidemment légitime, des villages. Cela a cependant maltraité, voire tué, de très vieux cyprès.

Une arbre coupé au sol
Très vieux cyprès abattu lors de la reconstruction d’une route. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Protéger une espèce en danger critique d’extinction

Malgré la distribution restreinte de l’espèce et l’importante dégradation qu’elle subit, une forte diversité génétique existe encore dans cette population. Cependant, il existe un risque important de consanguinité et de perte future de biodiversité au sein de cette vallée. Ainsi, C. atlantica est classé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) parmi les 17 espèces forestières mondiales dont le patrimoine génétique s’appauvrit.

Une autre menace est celle du changement climatique qui affecte particulièrement le Maroc et ses essences forestières. Les six années de sécheresse intense que cette région du Maroc a subies n’ont sans doute pas amélioré la situation, même si l’impact sur les cyprès semble moins important que sur les chênes verts, sur les thuyas ou sur les genévriers qui montrent un dépérissement spectaculaire.

Pour toutes ces raisons, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a classé le cyprès de l’Atlas comme étant en danger critique d’extinction. Il faut alors envisager des stratégies à grande échelle afin d’assurer la survie voire la régénération des forêts de cyprès. Cela passe à la fois par la fermeture de certains espaces, afin d’y supprimer le pâturage, et par l’interdiction des prélèvements de bois.

Tout ceci ne sera cependant possible qu’en prévoyant des mesures compensatoires pour les populations locales.

Replanter dans la vallée, mais aussi dans le reste de la région

Il est aussi nécessaire de replanter des cyprès, ce qui nécessite la production de plants de qualité, même si les tentatives menées par le Service forestier marocain ont pour le moment obtenu un faible taux de réussite.

Le cyprès de l’Atlas, adapté à des conditions de forte aridité, pourrait d’ailleurs constituer une essence d’avenir pour le Maroc et pour le Maghreb dans son ensemble face au changement climatique. Dans le bassin méditerranéen, le réchauffement provoque en effet une aridification croissante et notamment une augmentation de la période de sécheresse estivale. Henri Gaussen disait déjà en 1952 :

« Je crois que ce cyprès est appelé à rendre de grands services dans les reboisements de pays secs. »

Et pourquoi ne pas penser au cyprès de l’Atlas pour les forêts urbaines ? Un bon moyen de préserver, hors de son aire naturelle, cette espèce menacée.

Conservation, reboisements et utilisation raisonnée nécessitent ainsi des investissements financiers importants. Richard Branson, le célèbre entrepreneur britannique, s’est particulièrement investi dans le développement de la vallée du N’Fiss et est notamment venu au secours de ses habitants à la suite du séisme meurtrier d’il y a deux ans. Si son but est d’améliorer la vie et le futur des habitants de la vallée, espérons qu’il saura aussi s’intéresser à cet écosystème particulier, et que d’autres fonds viendront soutenir les efforts de conservation.


jeudi 7 août 2025

4 livres inspirants pour l’été

Envie de lectures qui nourrissent l’esprit autant que le cœur ? Cet été, on glisse dans son tote bag des livres qui font réfléchir, vibrer, et se sentir puissantes. 

« Incendie des rêves » de Dominique Nouiga (Le Fennec)

« Incendie des rêves » de Dominique Nouiga est un roman vibrant et poétique. Les protagonistes ? Deux jeunes femmes, Atika et Ichraq, qui portent en elles des blessures et des secrets enfouis. Leur échappatoire ? Une école de cirque. L’une se libère à travers les acrobaties, l’autre, dans la mise en scène. Ensemble, elles transforment leurs douleurs en puissance créatrice. « Incendie des rêves » de Dominique Nouiga est un récit captivant qui explore des thèmes forts comme la sororité et la résilience.

 

« Paroles d’honneur» de Leïla Slimani (autrice) et Laetitia Coryn (dessinatrice) (Le Fennec)

Rabat, été 2015. Une rencontre, puis mille voix qui s’élèvent. Dans cette BD qui est une adaptation de son essai coup-de-poing « Sexe et mensonges » (Les Arènes), Leïla Slimani fait revivre les témoignages recueillis. Ces derniers sont crus, bouleversants et puissants. Ce sont ceux de femmes marocaines qui osent parler sexualité, désir, douleur et révolte. Cette BD leur donne la parole, cette parole longtemps étouffée. L’intime notamment féminin reste tabou au Maroc. Cette BD est une lecture nécessaire !

« Les Intrépides – Tome 2» de l’association Mentor’elles (Sochepresse)

Elles sont quinze, elles sont Marocaines, elles sont intrépides. Cheffes d’entreprise, artistes, sportives ou scientifiques, elles se sont toutes réaliser en défiant des obstacles. Parmi ces femmes d’exception, Amina Laraki Slaoui, la présidente de l’Amicale marocaine des handicapés, la cinéaste Izza Genini, la présidente de l’Association de lutte contre le Sida, Hakima Himmich, la styliste Fadila El Gadi, l’arbitre internationale Bouchra Kerboubi, l’architecte Aziza Chaouni ou encore les stars de la robotique, Laila et Imane Berchane. Ce deuxième tome des Intrépides est un véritable livre-trésor, bilingue (français et arabe) et illustré, à mettre entre toutes les mains. Au fil des pages, il démontre que les modèles existent, et qu’avec audace et passion, on peut gravir toutes les montagnes. Oui, même celles qu’on croyait infranchissables !

« Les Racines. Fresque familiale à Casablanca» de Meriem Hadj Hamou (La Croisée des chemins)

Retourner chez soi, c’est parfois comme ouvrir une boîte de Pandore. Kamélia, de retour à Casablanca pour un enterrement, ne sait pas encore qu’elle va plonger dans les méandres de son histoire familiale, au cœur d’une villa hantée par les secrets. Ce roman sensible et intense, entre mémoire intime et fresque collective, explore les tensions entre modernité et tradition, héritage matériel et émotionnel. Portée par une écriture fine et poétique, l’autrice nous offre une lecture miroir, pour toutes celles qui cherchent à comprendre d’où elles viennent pour mieux choisir où elles vont.

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mercredi 6 août 2025

Hiroshima et Nagasaki : 80e anniversaire du plus grand attentat terroriste de l’histoire


Jorge Majfud, 08/06/2025

Traduit par Tlaxcala

Le numéro du magazine Time du 13 août 1945 cite Truman : « Il y a seize heures, un avion américain a largué une bombe sur Hiroshima, une importante base militaire japonaise. Cette bombe avait une puissance équivalente à 20 000 tonnes de TNT... C’est une bombe atomique. C’est un avantage de la puissance fondamentale de l’univers ; ce qui a été accompli est la plus grande réussite de la science dans toute son histoire... [...] nous sommes désormais prêts à détruire plus rapidement et plus complètement toutes les entreprises productives que les Japonais possèdent sur leur sol... s’ils n’acceptent pas nos conditions, ils peuvent s’attendre à une autre pluie de feu, comme cette terre n’en a jamais vu ». 


À Londres, Winston Churchill évoque également ces prouesses scientifiques : « Nous devons prier pour que cette horreur conduise à la paix entre les nations et que, au lieu de causer des ravages incommensurables dans le monde entier, elle devienne la source éternelle de la prospérité mondiale ».

En couverture de son numéro du 20 août, le même magazine accueillait le lecteur avec un grand disque rouge sur fond blanc et un X barrant le disque. Ce n’était pas la première bombe atomique de l’histoire larguée sur une population humaine, mais le soleil ou le drapeau du Japon. À la page 29, dans un article intitulé « Awful Responsibility » (« Une terrible responsabilité »), le président Truman traçait les lignes de ce qui allait devenir plus tard le passé. En homme de foi, comme toujours lorsqu’il est placé au pouvoir par Dieu, Truman reconnaissait : « Nous rendons grâce à Dieu que cela nous soit arrivé avant nos ennemis. Et nous prions pour qu’Il nous guide afin que nous l’utilisions selon Sa volonté et Ses desseins ». Dans l’inversion sémantique du sujet et de l’objet, « cela » fait référence à la bombe atomique qui « nous est tombée dessus » ; par « nos ennemis », il fait évidemment référence à Hitler et Hirohito ; par « nous », il fait référence à nous, les protégés de Dieu.

En réalité, la barbarie du feu avait commencé bien avant. Le général LeMay avait été le cerveau qui avait planifié le bombardement de plusieurs villes japonaises, telles que Nagoya, Osaka, Yokohama et Kobe, entre février et mai 1945, trois mois avant les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki.

Dans la nuit du 10 mars, LeMay ordonna de larguer 1 500 tonnes d’explosifs sur Tokyo à partir de 300 bombardiers B-29. 500 000 bombes tombèrent entre 1 h 30 et 3 h du matin. 100 000 hommes, femmes et enfants moururent en quelques heures et un million d’autres personnes furent gravement blessées. Précurseurs des bombes au napalm, des gelées enflammées qui collaient aux maisons et à la chair humaine furent testées avec succès. « Les femmes couraient avec leurs bébés comme des torches enflammées sur le dos », se souvient Nihei, une survivante.

Lorsque la guerre était décidée et terminée, une semaine après les bombes atomiques, des centaines d’avions usaméricains ont largué des dizaines de milliers de bombes sur différentes villes du Japon, faisant des milliers de victimes supplémentaires, vouées à l’oubli. Le général Carl Spaatz, euphorique, proposa de larguer une troisième bombe atomique sur Tokyo. La proposition ne fut pas retenue car Tokyo avait déjà été réduite en ruines depuis longtemps et n’existait plus que sur les cartes en tant que ville importante.

L’Empire japonais avait également tué des dizaines de milliers de Chinois lors de bombardements aériens, mais ce n’étaient pas les Chinois qui importaient à l’époque. En fait, ils n’ont jamais compté et avaient même été interdits d’entrée aux USA par la loi de 1882. Le même général Curtis LeMay répétera cette stratégie de massacre aveugle et à distance convenable en Corée du Nord et au Vietnam, qui fera des millions de morts parmi les civils, comme s’ils n’étaient que des fourmis. Tout cela pour une bonne cause (la liberté, la démocratie et les droits de l’homme).

Peu après les innombrables bombardements sur des civils innocents et sans défense, l’héroïque général LeMay reconnaîtra : « Si nous avions perdu la guerre, j’aurais été condamné comme criminel de guerre ». Au contraire, tout comme le roi Léopold II de Belgique et d’autres nazis de Hitler promus à des postes élevés au sein de l’OTAN, LeMay a également été décoré à plusieurs reprises pour ses services à la civilisation, notamment par la Légion d’honneur, décernée par la France.


Rien de nouveau. Le récit des faits n’est pas seulement destiné à la consommation nationale. Il est exporté. Dans le port de Shimoda, un buste du capitaine Matthew Perry rappelle et rappellera, pour les siècles à venir, le lieu et la date où le capitaine usaméricain a libéré le commerce du Japon au XIXe siècle à la force des canons et a rendu possible la volonté du dieu de ces chrétiens si particuliers. Un siècle plus tard, en 1964, le même gouvernement japonais a décerné l’Ordre du Soleil levant au général Curtis LeMay pour ses services à la civilisation. Quelle a été sa contribution ? Le général LeMay a innové dans les tactiques militaires pendant la Seconde Guerre mondiale en bombardant sans discernement une demi-douzaine de grandes villes japonaises en 1945. Quelques mois avant les célèbres bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, cent mille civils ont péri en une seule nuit à Tokyo sous une pluie d’autres bombes américaines. LeMay a reconnu : « ça ne me gêne pas de tuer des Japonais ».

Bien sûr, tout ne s’est pas passé comme il le souhaitait. Des années plus tard, il recommanda au jeune président inexpérimenté Kennedy de lancer quelques bombes atomiques sur La Havane afin d’éviter un mal plus grand. Kennedy n’était pas d’accord. Quelques décennies plus tard, lors d’une des premières conversations sur le sujet de Cuba, Alexander Haig, nouveau secrétaire d’État, déclara au président Ronald Reagan : « Donnez-moi l’ordre et je transformerai cette île de merde en un parking vide ».

En 1968, le général Curtis LeMay sera candidat à la vice-présidence pour le parti raciste et ségrégationniste appelé Parti indépendant des USA. Il obtient un score - respectable pour un troisième parti -  de 13,5 % des voix. En 2024, il aurait pu facilement remporter la victoire au sein du parti démocrate-républicain.

Après le plus grand acte terroriste de l’histoire, les gouvernements japonais ne lésineront pas sur les excuses pour le crime d’avoir été bombardés de toutes les manières possibles et sans pitié.



mardi 5 août 2025

Tontons flingueurs en croisade : comment des extrémistes évangéliques et d’anciens membres des forces spéciales ont détourné l’humanitaire à Gaza

À Gaza, l’humanitarisme a été détourné par des croisés armés de fusils, d’exorcismes et d’une mission divine visant à refaire le champ de bataille à l’image de Dieu.

Sarah B., DD Geopolitics , 31/7/2025
Traduit par Tlaxcala

Sommaire

I. Le retour de la croisade…………………………………………………….2

II. Une nouvelle race de mercenaires : rencontrez les croisés……......4

III. La doctrine de la délivrance……………………………………………..15

IV. Les enfants : la lutte contre la traite comme couverture………......20

V. Gaza : un champ de bataille pour l’âme………………………………..23

VI. Au-delà de Gaza, un réseau de domination…………………………..26

VII. L’ombre des complots et des fronts du renseignement………..…29

VIII. Conclusion : l’instrumentalisation de la foi………………………....31

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