Blog du Réseau de solidarité avec les peuples du Maroc, du Sahara occidental, de Palestine et du monde, créé en février 2009 à l'initiative de Solidarité Maroc 05, AZLS et Tlaxcala
Madrid
(ECS).- Le gouvernement de Madrid entend déclassifier des milliers de documents
classifiés antérieurs à 1982, notamment des documents relatifs au retrait
soudain du Sahara occidental, à la Marche verte et à la diplomatie secrète
pendant la transition démocratique. Ce secret d’État classifié pendant de
nombreuses années suscite un intérêt bien au-delà des frontières espagnoles.
Selon un
article publié dans le journal El País le 28 juillet, le gouvernement de
Pedro Sánchez est sur le point d’adopter une loi qui représente un changement
historique dans la gestion des secrets d’État. Le projet de réforme, qui
remplacera la Loi de 1968 sur les secrets officiels héritée du régime
franquiste, propose la déclassification immédiate de tous les documents
classifiés datant de plus de 45 ans, sauf dans les cas où cela présenterait un
risque exceptionnel pour la sécurité nationale. Le journal explique que « le
processus de déclassification concernera tous les documents antérieurs à 1982
».
Derrière
cette initiative démocratique se cache une partie importante de l’histoire de
la diplomatie espagnole qui pourrait être récupérée. Les chercheurs espagnols
attendent ce moment depuis des décennies, tandis que leurs voisins du sud, le
Sahara occidental et le Maroc, l’observent avec beaucoup d’enthousiasme. Les
documents en question comprennent ceux liés à la fin de la présence espagnole
au Sahara occidental, à la Marche verte du 6 novembre 1975 et à la politique
secrète de l’Espagne envers le Maroc pendant la transition politique.
Le journal
souligne que « parmi ces documents figurent des détails sur le processus qui a
conduit au retrait précipité du Sahara occidental en 1975, alors que Franco
était sur son lit de mort ». Ce retrait a eu lieu dans un contexte régional
très tendu et a souvent été décrit comme improvisé et mené dans des
circonstances mystérieuses. Pour le Maroc, tout document attestant la nature
des engagements de l’Espagne à l’époque ou indiquant une reconnaissance
implicite de la souveraineté marocaine sur le territoire aurait une grande
valeur diplomatique et symbolique. Dans le cas contraire, cela constituerait
une grave crise diplomatique entre Rabat et Madrid.
Cependant, l’accès
à ces archives n’est pas garanti. Le ministre de la Présidence du gouvernement,
Félix Bolaños, a averti que la quantité de documents en question est « énorme »
(ingente) et que le processus de déclassification « ne sera pas immédiat
», mais « progressif, en donnant la priorité aux documents liés aux
violations des droits humains ».
À cela s’ajoutent
des difficultés matérielles, car « les documents doivent être identifiés,
organisés, classés et indexés avec précision » avant d’être transférés à la
commission d’archives compétente, puis déposés dans les archives publiques. En
d’autres termes, il ne suffit pas que les documents existent et soient
déclassifiés, ils doivent également être physiquement accessibles.
La disparité
éventuelle de la documentation aura des conséquences politiques, car elle
permet à l’État espagnol de maintenir une sorte d’« amnésie stratégique »,
tout en limitant le droit à la vérité des communautés concernées, en
particulier le peuple sahraoui.
Au Maroc,
plusieurs médias proches du régime ont suivi cette évolution avec un mélange d’espoir
prudent et de vigilance. L’ouverture des archives pourrait révéler les secrets
de la Marche verte ou les détails cachés de l’accord tripartite de Madrid. Elle
pourrait également confirmer des éléments qui sont restés longtemps cachés,
tels que des concessions implicites, la médiation usaméricaine ou les doutes de
la haute hiérarchie militaire espagnole.
Pour la
démocratie espagnole, le défi est double : premièrement, rendre ces archives
fonctionnelles et réellement accessibles, plutôt que simplement déclassifiées
sur papier ; deuxièmement, assumer la responsabilité de leur contenu. Comme le
souligne El País, « les chercheurs ne peuvent exiger ce qu’ils ne
connaissent pas ». Le défi ne se limite donc pas à l’ouverture des dossiers ;
il exige également la création d’un catalogue public rigoureux et consultable,
sans lequel la transparence restera un mirage.
Ces derniers mois, les associations humanitaires de Tiznit, dans le sud du Maroc, observent une hausse des expulsions et s’inquiètent de la situation dans cette ville dépourvue de structures d’accueil.
C’est un ballet régulier et de plus en plus intense que décrit Roméo
Nyamsi, de l’antenne de Tiznit d’Alarme Phone Sahara. Il arpente
quotidiennement les rues de Tiznit,
ville de 90 000 habitants dans le sud du Maroc, et constate depuis ces
six derniers mois "des expulsions de plus en plus fréquentes". "Les bus
arrivent tous les 2-3 jours et laissent environ 50 à 70 migrants",
raconte-t-il à InfoMigrants.
Déposés à chaque fois dans des
endroits différents de la ville située à une centaine de kilomètres
d'Agadir et quelque 700 km de Rabat, à l’abri des regards, ces migrants -
principalement des Soudanais, Guinéens, Camerounais et Ivoiriens - sont
refoulés après avoir été arrêtés dans le nord du pays.
"La plupart vivent de la mendicité"
Une
fois envoyés à Tiznit, les migrants "font comme ils peuvent". "Ils se
débrouillent. La plupart vivent de la mendicité", ajoute-t-il,
regrettant l’absence de centre d’accueil "pour les accueillir, les
intégrer ou les aider".
Auparavant, un camp existait dans la
ville, mais, en mars dernier, un incendie - tuant deux personnes - a
ravagé ce lieu de vie. Depuis, "on essaie de trouver un autre endroit
pour que les gens puissent au moins se reposer mais on n’a pas trouvé.
C’est compliqué d’obtenir cela", raconte le référent d’Alarme Phone
Sahara.
"Ils
mendient en groupes dispersés près des feux de circulation. Certains
dorment en plein air sur l’un des ronds-points de Tiznit", confirme El
Madani Dahbi, responsable de la section locale de l'Association
marocaine des droits humains (AMDH) à InfoMigrants.
La population
migrante de la ville, qui peine à se procurer eau et nourriture en
quantité suffisante, vit donc "grâce à la solidarité des habitants".
Tiznit "représente un cas emblématique de ville moyenne où les acteurs
locaux se voient déléguer de facto la gestion de l’accueil des migrants
dispersés depuis 2015 par l’État marocain", rapportait déjà un rapport de l’institut Convergences migrations en 2021.
"L’arrêt de toute forme d’expulsions arbitraires"
La
situation actuelle de Tiznit commence en tout cas à inquiéter les
associations de défense des droits humains. Début août, l’Association
marocaine des droits de l’Homme a indiqué dans un communiqué suivre
"avec une grande inquiétude" les expulsions de migrants d'Afrique
subsaharienne "en l'absence des conditions minimales d'hébergement et de
prises en charge sanitaire et psychologique".
Elle regrette des
expulsions "sans aucune considération pour les droits de l'homme ni
planification pour préserver la dignité des déportés et garantir le
respect des droits fondamentaux", sans toutefois pouvoir les chiffrer.
"C’est difficile de savoir les chiffres exacts des expulsions qui se
sont intensifiées ces derniers mois car les migrants sont déposés très
tôt le matin, secrètement, et très peu de personnes restent", ajoute El
Madani Dahbi.
.
Certains
deviennent marchands ambulants, arrivent à se faire employer au marché,
comme assistants d’artisans ou dans des fermes, rapportent les
humanitaires interrogés, "mais une fois l'argent récolté, ils repartent
pour le nord du Maroc, espérant traverser la mer pour rejoindre
l'Europe". Depuis les côtes du nord, ils tentent d'atteindre le sud de
l'Espagne, tandis qu'à l'ouest les exilés essayent de rallier l'archipel
des Canaries.
Mais ces routes sont de plus en plus contrôlées par
les autorités marocaines. Depuis le réchauffement des relations
diplomatiques entre Rabat et Madrid en 2022, le Maroc a fait de la lutte contre l'immigration irrégulière une de ses priorités.
Selon le ministère de l'Intérieur marocain, près de 80 000 migrants ont
été empêchés de rejoindre l'Union européenne depuis le Maroc au cours
de l'année 2024. En 2023, ce sont 87 000 migrants qui ont été
interpellés sur la route vers l’Europe et encore 70 000 l’année
précédente. Et la majorité de ces personnes sont originaires d’Afrique
subsaharienne.
L’AMDH réclame donc "l’arrêt de toute forme
d’expulsions arbitraires" et la mise en place d’un "plan humanitaire
global" car le Maroc reste un pays de transit pour des milliers de
migrants désireux de rejoindre l'Union européenne (UE).
En
plein tournage de son prochain film intitulé “The Odyssey”, Christopher
Nolan fait face à de vives critiques. En cause : son choix de filmer
plusieurs scènes au Sahara occidental occupé.
Deux ans après Oppenheimer, Christopher Nolan prépare une nouvelle fresque, cette fois adaptée de L’Odyssée d’Homère. Le tournage de cette relecture portée par Zendaya et Matt Damon
a commencé le 17 juillet dans la ville de Dakhla, située au Sahara
occidental – un lieu qui a rapidement suscité une vive controverse. Dans
un manifeste publié fin juillet, le Festival du cinéma du Sahara (FiSahara) dénonce ainsi leur présence dans “une
ville occupée et militarisée dont la population autochtone sahraouie
est soumise à une répression brutale de la part des forces d’occupation
marocaines”.
Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental demeure effectivement une zone de vives tensions, depuis sa cession en 1976. “En tournant une partie de The Odyssey
dans un territoire occupé classé comme ‘désert pour le journalisme’ par
Reporters sans frontières, Nolan et son équipe, peut-être sans le
savoir et sans le vouloir, contribuent à la répression du peuple
sahraoui par le Maroc et aux efforts du régime marocain pour normaliser
son occupation du Sahara occidental”, déclare María Carrión, directrice exécutive de FiSahara.
Mobilisation internationale
Une
prise de parole soutenue par des centaines d’activistes, journalistes
et artistes, dont l’acteur Javier Bardem ou le cinéaste Rodrigo
Sorogoyen. Tous·tes ont ainsi signé ce manifeste appelant “Christopher Nolan, Universal et les sociétés impliquées dans The Odyssey
à reconnaître publiquement qu’ils n’auraient pas dû tourner de scènes à
Dakhla, et à ne pas les inclure dans le film ou à obtenir le
consentement du peuple sahraoui pour le faire”.
Bien
que le FiSahara ait réclamé la suspension du tournage, celui-ci n’a
duré que quatre jours et s’est achevé avant le début de la mobilisation.
La production se poursuit désormais en Sicile et au Royaume-Uni, tandis
que Christopher Nolan n’a pas encore réagi. Une absence de réponse
déplorée par María Carrión, qui exhorte toujours le cinéaste et ses
équipes à “montrer
leur soutien envers la population sahraouie, sous occupation militaire
depuis cinquante ans et régulièrement emprisonnée et torturée dans le
cadre de sa lutte pacifique pour l’autodétermination”.
Une lettre à Christopher Nolan
Traduite de l'espagnol par SOLIDMAR
Bonjour Monsieur Nolan, je m’appelle Ahmed Fadel, je suis un
Sahraoui originaire de Dakhla, l’ancienne Villa-Cisneros, où vous tournez votre
film. J’ai quitté ma ville il y a 50 ans, comme la plupart de ses habitants.
Je me souviens des deux seuls cinémas qui existaient :
le cinéma Lumen et le cinéma Sahara. J’y allais tous les dimanches pour voir des films de grands
artistes comme James Stewart, Marlon Brando, Jack Nicholson, Dustin Hoffman,
Robert Redford, Paul Newman, Clint Eastwood, Steve McQueen, Katherine Hepburn,
Bette Davis, Audrey Hepburn et Jane Fonda.
Tous ces artistes ont laissé un héritage à ma génération.
Des artistes qui représentaient un monde plus humain, plus juste, avec plus de
valeurs et qui luttaient toujours pour ce qui est le plus important pour l’être
humain : sa liberté.
Ces deux cinémas ont été détruits par l’envahisseur
marocain, ceux qui constituaient leur public soit sont morts en combattant ou
sont toujours réfugiés depuis lors. Les propriétaires, les portiers et les ouvreurs
de ces cinémas ont également péri.
Aujourd’hui, 50 ans plus tard, vous visitez ma ville occupée
pour tourner un film qui justifie l’invasion de ma ville captive, l’extermination
de son peuple et la destruction de ses deux seuls cinémas.
Cela me fait énormément de peine que parmi mes souvenirs de
cette époque, je doive maintenant parler à mes petites-filles, à qui je
racontais « À l’est d’Éden », « Un nouvel espoir », « Les Dents de la mer », «
Taxi Driver », « La Grande Évasion », de Christopher Nolan et de son « Odyssée
» dans la ville occupée de leur grand-père, où sont morts leurs
arrière-grands-parents qu’elles n’ont jamais connus.
Ahmed Mohamed Fadel
Ancien guérillero et militant sahraoui
Sahara Occidental -
Genève - Paris, 8 août 2025 – L’Observatoire pour la protection des
défenseur·es des droits humains (OMCT-FIDH) et Équipe Media expriment
leur profonde inquiétude face à la dégradation des conditions de
détention du défenseur des droits humains et journaliste saharaoui El
Bachir Khadda, arbitrairement détenu depuis 2010 au Maroc.
L’Observatoire et Équipe Media alertent également sur le sort de
l’ensemble des défenseur·es des droits humains sahraoui·es
arbitrairement détenu·es dans le pays et qui souffrent de conditions de
détention discriminatoires.
L’Observatoire et Équipe Media ont été
informés du refus d’accès aux soins et du harcèlement dont est victime
le journaliste sahraoui M. El Bachir Khadda, ainsi que
de l’impunité dont bénéficie les auteurs des actes de torture à son
encontre. Figure historique du média indépendant « Équipe Média » et
membre de l’Observatoire Sahraoui des Droits de l’Homme au Sahara, M.
Khadda a été enlevé à Laâyoune en 2010, avant d’être soumis à des actes
de torture en représailles de sa couverture médiatique critique des
autorités marocaines. Il a été condamné à 20 ans de prison en 2017 par
la Cour d’appel de Salé, près de Rabat, pour des faits qualifiés d’«
actes criminels ». Sa détention a été reconnue comme arbitraire par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire.
Durant ses quinze années de
détention arbitraire à la prison de Salé, d’Aarjat puis de Tiflet 2,
l’état de santé mental et physique de M. Khadda s’est considérablement
détérioré. Les actes de torture à son encontre lors de son arrestation
lui provoquent encore aujourd’hui des douleurs dorsales chroniques et
des troubles visuels accrus. La quasi-absence de communication avec ses
proches, due à l’éloignement de la prison, aggrave également sa détresse
psychologique. Toutes ses demandes d’accès à un examen médical
indépendant ont systématiquement été rejetées par l’administration
pénitentiaire et les gardiens n’hésitent pas à affirmer que « les
ennemis de la nation ne méritent pas de ressources médicales », en
référence à son appartenance sahraouie. En 2024, M. Khadda a même été
menacé de sanctions disciplinaires pour avoir insisté pour consulter un
neurologue. La privation d’accès à des soins médicaux appropriés met
aujourd’hui sa vie en danger, ainsi que celle des autres détenus
sahraouis qui font l’objet des mêmes restrictions.
L’Observatoire avait déjà récemment déploré le refus de soins du journaliste sahraoui M. Mohamed Lamin Haddi,
également détenu arbitrairement depuis quinze ans à la prison de Tiflet
2, dans un état d’isolement prolongé et avec des communications avec
ses proches très limités. Pour rappel, l’accès rapide à des soins
médicaux appropriés et indépendants est garanti par la Règle 27, alinéa
1, des Règles Nelson Mandela (Ensemble des règles minima des
Nations Unies pour le traitement des détenus), ainsi que par le point
20(b) des lignes directrices de Robben Island. En 2022, le Comité des Nations Unies contre la torture avait
déjà condamné le Maroc pour restrictions d’accès aux soins d’un détenu
sahraoui et avait appelé les autorités à prendre des mesures concrètes à
cet égard.
Au-delà du refus d’accès aux soins,
M. Khadda subit également un harcèlement continu lié à son appartenance
sahraouie de la part du personnel pénitentiaire et des autres détenus de
la prison Tiflet 2. Les gardiens qualifient eux-mêmes les détenus
sahraouis d’« ennemis de la nation », encouragent les détenus marocains à
insulter les sahraouis de « traîtres à la patrie » en les récompensant
par des cigarettes, de la nourriture supplémentaire, voire des objets
contondants destinés à être utilisés contre les détenus sahraouis. Les
mêmes gardiens organisent aussi des séances d’humiliation au cours
desquelles les détenus marocains sont contraints de scander des slogans
nationalistes tels que « Le Sahara est marocain », sous peine de
sanctions telles que l’isolement ou la suppression des visites
familiales. Lorsque M. Khadda a tenté de signaler ces abus à plusieurs
reprises, les gardiens ont refusé d’intervenir et ont fermé les yeux sur
les passages à tabac des détenus sahraouis, notamment lors des
transferts vers les douches ou l’infirmerie.
L’Observatoire et Équipe Média
constatent avec inquiétude l’impunité dont bénéficient les auteurs des
actes de torture et de mauvais traitements infligés à M. Khadda lors de
son arrestation et de sa détention et exigent des autorités judiciaires
marocaines des enquêtes impartiales et approfondie, des poursuites et
des sanctions. Bien que le Maroc ait ratifié la Convention contre la
Torture et consacré la prohibition de la torture et des mauvais
traitements à l’article 12 de sa Constitution, aucune suite n’a jamais
été donnée aux 42 plaintes déposées par le journaliste depuis 2011. La
dernière en date, déposée le 30 juin 2025 et concernant des «
représailles et refus de soins », est restée à ce jour lettre morte.
L’Observatoire et Équipe
Média appellent les autorités marocaines et l’administration de la
prison de Tiflet 2 à prendre immédiatement toutes les mesures
nécessaires pour garantir la sécurité, l’intégrité physique et le
bien-être psychologique de M. El Bachir Khadda.
Les autorités marocaines et
l’administration pénitentiaire doivent immédiatement rétablir des
conditions de détention conformes aux standards nationaux et
internationaux en matière de droits humains pour tou·tes les détenu·es
sahraoui·es, et mettre fin à l’usage de la détention
prolongée comme instrument pour faire taire les voix des journalistes et
défenseur·es des droits humainssahraoui·es.
À compter du 1er janvier 2026, le Centre d’analyse du Sahara Occidental (CASO) engagera des actions contentieuses devant les juridictions françaises, dans le cadre de ses missions d’intérêt général, contre toute entreprise ou entité économique ayant contribué, directement ou indirectement, à l’exploitation des ressources naturelles du Sahara Occidental, territoire non autonome selon les Nations unies, sans le consentement libre et exprimé du peuple sahraoui.
Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), notamment son arrêt du 4 octobre 2024 (affaires jointes C‑778/21 P et C‑798/21 P), qui a rappelé de manière solennelle que les accords entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc ne peuvent s’appliquer au Sahara Occidental qu’avec le consentement du peuple sahraoui. La CJUE a en outre reconnu au Front Polisario qualité pour agir au nom de ce peuple.
En conséquence, le CASO entend :
dénoncer devant les tribunaux toute activité économique menée par des sociétés françaises ou opérant sur le territoire national en lien avec l’exploitation illégale des ressources du Sahara Occidental (produits agricoles, énergie, tourisme, pêche, logistique, etc.) ;
poursuivre pour pratiques commerciales trompeuses, atteintes aux droits des peuples, ou complicité de pillage, sur le fondement du droit français, du droit européen et des principes du droit international public ;
Le CASO met également en place une cellule de veille juridique et citoyenne, en lien avec des juristes, des élus et des organisations de défense des droits humains, afin de documenter chaque dossier et d’établir la responsabilité des acteurs économiques impliqués.
Il est temps de rappeler, en droit comme en conscience, qu’aucun bénéfice économique ne saurait justifier la violation du droit à l’autodétermination d’un peuple colonisé.
Professeur émérite, Institut méditerranéen de biodiversité et
d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU)
Majestueux mais en danger, le cyprès de l’Atlas marocain subit à la fois
le réchauffement climatique et la pression locale des activités
humaines.
Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur
Alors qu’on ne le trouve que dans une unique vallée au Maroc,
le cyprès de l’Atlas est aujourd’hui menacé par l’exploitation humaine
et a été durement touché par le séisme qui a frappé le Maroc en
septembre 2023. Pourtant, cette espèce, protégée et plantée dans
d’autres régions, résiste particulièrement bien au réchauffement
climatique.
Le bassin méditerranéen est l’un des 36 points chauds de biodiversité
d’importance mondiale en raison de sa grande biodiversité, souvent
propre à la région. Il est en effet riche de plus de 300 espèces
d’arbres et d’arbustes contre seulement 135 pour l’Europe non
méditerranéenne. Parmi ces espèces, un certain nombre sont endémiques,
comme le genévrier thurifère, le chêne-liège, plusieurs espèces de sapins mais aussi le remarquable cyprès de l’Atlas.
Décrit dès les années 1920, ce cyprès cantonné dans une seule vallée
du Haut Atlas, au Maroc, a intéressé nombre de botanistes, forestiers et
écologues, qui ont étudié cette espèce très menacée, mais aussi
potentielle réponse au changement climatique.
Un arbre singulier et endémique de sa vallée
Le premier à faire mention en 1921 de la présence de ce cyprès dans la vallée de l’oued N’Fiss, dans le Haut Atlas, est le capitaine Charles Watier, inspecteur des eaux et forêts du Sud marocain. Mais c’est en 1950 que Henri Gaussen, botaniste français, qualifie ce conifère de cyprès des Goundafa, l’élève au rang d’espèce et lui donne le nom scientifique de Cupressus atlantica Gaussen.
C’est à l’occasion de son voyage au Maroc en 1948 qu’il a constaté
que cet arbre, dont la localisation est très éloignée de celles des
autres cyprès méditerranéens, est bien une espèce distincte. En
particulier, son feuillage arbore une teinte bleutée et ses cônes, que
l’on appelle familièrement des pommes de pin, sont sphériques et petits
(entre 18 et 22 mm) alors que ceux du cyprès commun (Cupressus sempervirens), introduit au Maroc, sont beaucoup plus gros (souvent 3,5 cm) et ovoïdes.
Le cyprès de l’Atlas se développe presque uniquement au niveau de la
haute vallée du N’Fiss, région caractérisée par un climat lumineux et
très contrasté.
Une population de cyprès dans la vallée.Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur
On a aujourd’hui une bonne estimation de la superficie couverte par
cette espèce dans la vallée du N’Fiss, qui abrite donc la population la
plus importante de cyprès de l’Atlas. : environ 2 180 hectares, dont
environ 70 % couverts de bosquets à faible densité. Dans les années 1940
et 1950, elle était estimée entre 5 000 et 10 000 hectares. En moins de
cent ans, on aurait ainsi perdu de 50 à 80 % de sa surface ! Malgré les
imprécisions, ces chiffres sont significatifs d’une régression
importante de la population.
Des cyprès aux formes très diverses
Dans ces espaces boisés, la densité des arbres est faible et l’on
peut circuler aisément entre eux. Les couronnes des arbres ne se
rejoignent jamais et, hormis sous celles-ci, le soleil frappe partout le
sol nu.
L’originalité de cette formation est que cohabitent aujourd’hui dans
cette vallée de magnifiques cyprès multiséculaires aux troncs
tourmentés, des arbres plus jeunes, élancés et en flèche pouvant
atteindre plus de 20 mètres de hauteur et des arbres morts dont ne
subsistent que les troncs imputrescibles. Ce qui est frappant, et que
signalait déjà le botaniste Louis Emberger en 1938 dans son fameux petit
livre les Arbres du Maroc et comment les reconnaître, c’est
que la majorité des arbres « acquièrent une forme de candélabre, suite à
l’amputation de la flèche et à l’accroissement des branches
latérales ».
Des cyprès en forme de candélabre. Ce sont les branches sur l’extérieur de l’arbre qui continuent à se développer.Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur
Une pression humaine ancienne et toujours forte
L’allure particulière de ces arbres et la proportion importante
d’arbres morts sont avant tout à imputer à l’être humain qui, depuis des
siècles, utilise le bois de cyprès pour la construction des habitations
et pour le chauffage. Il coupe aussi le feuillage pour nourrir les
troupeaux de chèvres qui parcourent la forêt.
En plus de ces mutilations, les arbres rencontrent des difficultés
pour se régénérer, en lien avec le surpâturage, toutes les jeunes
régénérations des arbres étant systématiquement broutées. La pression
anthropique est ainsi une composante fondamentale des paysages de forêt
claire de cyprès de l’Atlas.
La présence humaine a façonné le paysage de la forêt claire de cyprès de l’Atlas marocain.Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur
Cette dégradation des arbres et la régression de la population de
cyprès ne sont sans doute pas récentes. La vallée du N’Fiss est le
berceau des Almohades, l’une des plus importantes dynasties du Maroc,
qui s’est étendue du Maghreb à l’Andalousie, du XIIe au XIIIe siècle.
La mosquée de Tinmel, joyau de l’art des Almohades, s’imposait au fond
de cette vallée, témoin de la fondation de cette grande dynastie. Et il
est fort à parier que c’est du bois local, donc de cyprès, qui a été
utilisé à l’origine pour la toiture de cette monumentale construction.
Pourquoi aller chercher bien loin du cèdre, comme certains historiens
l’ont suggéré, alors qu’une ressource de qualité, solide et durable,
existait localement ? L’étude anatomique de fragments de poutres
retrouvées sur le site devrait permettre de confirmer cette hypothèse,
les spécialistes différencient facilement le bois de cyprès de celui des
autres essences de conifères. Dans tous les cas, il est certain que
lors de cette période, le cyprès a subi une forte pression, du fait de
l’importance de la cité qui entourait ce site religieux.
On notera enfin, confortant les relations intimes entre le cyprès et
les populations locales, les utilisations en médecine traditionnelle :
massages du dos avec des feuilles imbibées d’eau ou encore décoction
des cônes employée comme antidiarrhéique et antihémorragique.
Le séisme du 8 septembre 2023
Le 8 septembre 2023, le Maroc connaît le séisme le plus intense
jamais enregistré dans ce pays par les sismologues. Les peuplements de
cyprès se situent autour de l’épicentre du séisme. Ce dernier affecte la
vallée du N’Fiss et cause d’importants dégâts matériels, détruisant des
habitations et des villages et causant surtout le décès de près de
3 000 personnes. Le séisme a également endommagé le patrimoine
architectural, et notamment la mosquée de Tinmel, presque entièrement détruite, qui fait, depuis, l’objet de programme de restauration.
Malgré son intensité (6,8), le séisme ne semble pas avoir eu d’effets
directs sur les cyprès par déchaussements ou par glissements de
terrain, bien que cela soit difficile à apprécier. Ceux-ci ont néanmoins
subi des dégâts collatéraux.
Lors du réaménagement de la route principale, des arbres ont été
abattus, notamment un des vieux cyprès (plus de 600 ans) qui avait pu
être daté par le Pr Mohamed Alifriqui,
de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. De plus, des pistes et des
dépôts de gravats ont été implantés au sein même des peuplements, à la
suite d’une reconstruction rapide, et évidemment légitime, des villages.
Cela a cependant maltraité, voire tué, de très vieux cyprès.
Très vieux cyprès abattu lors de la reconstruction d’une route.Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur
Protéger une espèce en danger critique d’extinction
Malgré la distribution restreinte de l’espèce et l’importante
dégradation qu’elle subit, une forte diversité génétique existe encore
dans cette population. Cependant, il existe un risque important de
consanguinité et de perte future de biodiversité au sein de cette
vallée. Ainsi, C. atlantica est classé par l’Organisation des
Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) parmi les 17
espèces forestières mondiales dont le patrimoine génétique
s’appauvrit.
Une autre menace est celle du changement climatique qui affecte
particulièrement le Maroc et ses essences forestières. Les six années de
sécheresse intense que cette région du Maroc a subies n’ont sans doute
pas amélioré la situation, même si l’impact sur les cyprès semble moins
important que sur les chênes verts, sur les thuyas ou sur les genévriers
qui montrent un dépérissement spectaculaire.
Pour toutes ces raisons, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a classé le cyprès de l’Atlas comme étant en danger critique d’extinction.
Il faut alors envisager des stratégies à grande échelle afin d’assurer
la survie voire la régénération des forêts de cyprès. Cela passe à la
fois par la fermeture de certains espaces, afin d’y supprimer le
pâturage, et par l’interdiction des prélèvements de bois.
Tout ceci ne sera cependant possible qu’en prévoyant des mesures compensatoires pour les populations locales.
Replanter dans la vallée, mais aussi dans le reste de la région
Il est aussi nécessaire de replanter des cyprès, ce qui nécessite la
production de plants de qualité, même si les tentatives menées par le
Service forestier marocain ont pour le moment obtenu un faible taux de
réussite.
Le cyprès de l’Atlas, adapté à des conditions de forte aridité,
pourrait d’ailleurs constituer une essence d’avenir pour le Maroc et
pour le Maghreb dans son ensemble face au changement climatique. Dans le
bassin méditerranéen, le réchauffement provoque en effet une
aridification croissante et notamment une augmentation de la période de
sécheresse estivale. Henri Gaussen disait déjà en 1952 :
« Je crois que ce cyprès est appelé à rendre de grands services dans les reboisements de pays secs. »
Et pourquoi ne pas penser au cyprès de l’Atlas pour les forêts urbaines ? Un bon moyen de préserver, hors de son aire naturelle, cette espèce menacée.
Conservation, reboisements et utilisation raisonnée nécessitent ainsi des investissements financiers importants. Richard Branson,
le célèbre entrepreneur britannique, s’est particulièrement investi
dans le développement de la vallée du N’Fiss et est notamment venu au
secours de ses habitants à la suite du séisme meurtrier d’il y a
deux ans. Si son but est d’améliorer la vie et le futur des habitants de
la vallée, espérons qu’il saura aussi s’intéresser à cet écosystème
particulier, et que d’autres fonds viendront soutenir les efforts de
conservation.
Envie de lectures qui nourrissent l’esprit autant que le cœur ? Cet
été, on glisse dans son tote bag des livres qui font réfléchir, vibrer,
et se sentir puissantes.
« Incendie des rêves » de Dominique Nouiga (Le Fennec)
« Incendie des rêves » de Dominique Nouiga est un roman
vibrant et poétique. Les protagonistes ? Deux jeunes femmes, Atika et
Ichraq, qui portent en elles des blessures et des secrets enfouis. Leur
échappatoire ? Une école de cirque. L’une se libère à travers les
acrobaties, l’autre, dans la mise en scène. Ensemble, elles transforment
leurs douleurs en puissance créatrice. « Incendie des rêves » de Dominique Nouiga est un récit captivant qui explore des thèmes forts comme la sororité et la résilience.
« Paroles d’honneur» de Leïla Slimani (autrice) et Laetitia Coryn (dessinatrice) (Le Fennec)
Rabat, été 2015. Une rencontre, puis mille voix qui s’élèvent. Dans
cette BD qui est une adaptation de son essai coup-de-poing « Sexe et
mensonges » (Les Arènes), Leïla Slimani fait revivre les témoignages
recueillis. Ces derniers sont crus, bouleversants et puissants. Ce sont
ceux de femmes marocaines qui osent parler sexualité, désir, douleur et
révolte. Cette BD leur donne la parole, cette parole longtemps étouffée.
L’intime notamment féminin reste tabou au Maroc. Cette BD est une
lecture nécessaire !
« Les Intrépides – Tome 2» de l’association Mentor’elles (Sochepresse)
Elles sont quinze, elles sont Marocaines, elles sont intrépides.
Cheffes d’entreprise, artistes, sportives ou scientifiques, elles se
sont toutes réaliser en défiant des obstacles. Parmi ces femmes
d’exception, Amina Laraki Slaoui, la présidente de l’Amicale marocaine
des handicapés, la cinéaste Izza Genini, la présidente de l’Association
de lutte contre le Sida, Hakima Himmich, la styliste Fadila El Gadi,
l’arbitre internationale Bouchra Kerboubi, l’architecte Aziza Chaouni ou
encore les stars de la robotique, Laila et Imane Berchane. Ce deuxième
tome des Intrépides est un véritable livre-trésor, bilingue
(français et arabe) et illustré, à mettre entre toutes les mains. Au fil
des pages, il démontre que les modèles existent, et qu’avec audace et
passion, on peut gravir toutes les montagnes. Oui, même celles qu’on
croyait infranchissables !
« Les Racines. Fresque familiale à Casablanca» de Meriem Hadj Hamou (La Croisée des chemins)
Retourner chez soi, c’est parfois comme ouvrir une boîte de Pandore.
Kamélia, de retour à Casablanca pour un enterrement, ne sait pas encore
qu’elle va plonger dans les méandres de son histoire familiale, au cœur
d’une villa hantée par les secrets. Ce roman sensible et intense, entre
mémoire intime et fresque collective, explore les tensions entre
modernité et tradition, héritage matériel et émotionnel. Portée par une
écriture fine et poétique, l’autrice nous offre une lecture miroir, pour
toutes celles qui cherchent à comprendre d’où elles viennent pour mieux
choisir où elles vont.
Le
numéro du magazine Time du 13 août 1945 cite Truman : « Il y a seize
heures, un avion américain a largué une bombe sur Hiroshima, une importante
base militaire japonaise. Cette bombe avait une puissance équivalente à 20 000
tonnes de TNT... C’est une bombe atomique. C’est un avantage de la puissance
fondamentale de l’univers ; ce qui a été accompli est la plus grande réussite
de la science dans toute son histoire... [...] nous sommes désormais
prêts à détruire plus rapidement et plus complètement toutes les entreprises
productives que les Japonais possèdent sur leur sol... s’ils n’acceptent pas
nos conditions, ils peuvent s’attendre à une autre pluie de feu, comme cette
terre n’en a jamais vu ».
À Londres,
Winston Churchill évoque également ces prouesses scientifiques : « Nous
devons prier pour que cette horreur conduise à la paix entre les nations et
que, au lieu de causer des ravages incommensurables dans le monde entier, elle
devienne la source éternelle de la prospérité mondiale ».
En
couverture de son numéro du 20 août, le même magazine accueillait le lecteur
avec un grand disque rouge sur fond blanc et un X barrant le disque. Ce n’était
pas la première bombe atomique de l’histoire larguée sur une population
humaine, mais le soleil ou le drapeau du Japon. À la page 29, dans un article
intitulé « Awful Responsibility » (« Une terrible responsabilité »), le
président Truman traçait les lignes de ce qui allait devenir plus tard le
passé. En homme de foi, comme toujours lorsqu’il est placé au pouvoir par Dieu,
Truman reconnaissait : « Nous rendons grâce à Dieu que cela nous soit arrivé
avant nos ennemis. Et nous prions pour qu’Il nous guide afin que nous l’utilisions
selon Sa volonté et Ses desseins ». Dans l’inversion sémantique du sujet et
de l’objet, « cela » fait référence à la bombe atomique qui « nous est tombée
dessus » ; par « nos ennemis », il fait évidemment référence à Hitler et
Hirohito ; par « nous », il fait référence à nous, les protégés de Dieu.
En réalité,
la barbarie du feu avait commencé bien avant. Le général LeMay avait été le
cerveau qui avait planifié le bombardement de plusieurs villes japonaises,
telles que Nagoya, Osaka, Yokohama et Kobe, entre février et mai 1945, trois
mois avant les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki.
Dans la nuit du 10 mars, LeMay
ordonna de larguer 1 500 tonnes d’explosifs sur Tokyo à partir de 300
bombardiers B-29. 500 000 bombes tombèrent entre 1 h 30 et 3 h du matin. 100
000 hommes, femmes et enfants moururent en quelques heures et un million d’autres
personnes furent gravement blessées. Précurseurs des bombes au napalm, des
gelées enflammées qui collaient aux maisons et à la chair humaine furent
testées avec succès. « Les femmes couraient avec leurs bébés comme des
torches enflammées sur le dos », se souvient Nihei, une survivante.
Lorsque la
guerre était décidée et terminée, une semaine après les bombes atomiques, des
centaines d’avions usaméricains ont largué des dizaines de milliers de bombes
sur différentes villes du Japon, faisant des milliers de victimes
supplémentaires, vouées à l’oubli. Le général Carl Spaatz, euphorique, proposa
de larguer une troisième bombe atomique sur Tokyo. La proposition ne fut pas
retenue car Tokyo avait déjà été réduite en ruines depuis longtemps et n’existait
plus que sur les cartes en tant que ville importante.
L’Empire
japonais avait également tué des dizaines de milliers de Chinois lors de
bombardements aériens, mais ce n’étaient pas les Chinois qui importaient à l’époque.
En fait, ils n’ont jamais compté et avaient même été interdits d’entrée aux USA
par la loi de 1882. Le même général Curtis LeMay répétera cette stratégie de
massacre aveugle et à distance convenable en Corée du Nord et au Vietnam, qui
fera des millions de morts parmi les civils, comme s’ils n’étaient que des
fourmis. Tout cela pour une bonne cause (la liberté, la démocratie et les
droits de l’homme).
Peu après
les innombrables bombardements sur des civils innocents et sans défense, l’héroïque
général LeMay reconnaîtra : « Si nous avions perdu la guerre, j’aurais été
condamné comme criminel de guerre ». Au contraire, tout comme le roi Léopold II
de Belgique et d’autres nazis de Hitler promus à des postes élevés au sein de l’OTAN,
LeMay a également été décoré à plusieurs reprises pour ses services à la
civilisation, notamment par la Légion d’honneur, décernée par la France.
Rien de
nouveau. Le récit des faits n’est pas seulement destiné à la
consommation nationale. Il est exporté. Dans le port de Shimoda, un buste du
capitaine Matthew Perry rappelle et rappellera, pour les siècles à venir, le
lieu et la date où le capitaine usaméricain a libéré le commerce du Japon
au XIXe siècle à la force des canons et a rendu possible la volonté
du dieu de ces chrétiens si particuliers. Un siècle plus tard, en 1964, le même
gouvernement japonais a décerné l’Ordre du Soleil levant au général Curtis
LeMay pour ses services à la civilisation. Quelle a été sa contribution ? Le
général LeMay a innové dans les tactiques militaires pendant la Seconde Guerre
mondiale en bombardant sans discernement une demi-douzaine de grandes villes
japonaises en 1945. Quelques mois avant les célèbres bombes atomiques sur
Hiroshima et Nagasaki, cent mille civils ont péri en une seule nuit à Tokyo
sous une pluie d’autres bombes américaines. LeMay a reconnu : « ça ne me gêne pas de tuer des Japonais
».
Bien sûr,
tout ne s’est pas passé comme il le souhaitait. Des années plus tard, il
recommanda au jeune président inexpérimenté Kennedy de lancer quelques bombes
atomiques sur La Havane afin d’éviter un mal plus grand. Kennedy n’était pas d’accord.
Quelques décennies plus tard, lors d’une des premières conversations sur le
sujet de Cuba, Alexander Haig, nouveau secrétaire d’État, déclara au président
Ronald Reagan : « Donnez-moi l’ordre et je transformerai cette île de merde
en un parking vide ».
En 1968, le
général Curtis LeMay sera candidat à la vice-présidence pour le parti raciste
et ségrégationniste appelé Parti indépendant des USA. Il obtient un score - respectable
pour un troisième parti - de 13,5 % des
voix. En 2024, il aurait pu facilement remporter la victoire au sein du parti
démocrate-républicain.
Après le
plus grand acte terroriste de l’histoire, les gouvernements japonais ne
lésineront pas sur les excuses pour le crime d’avoir été bombardés de toutes
les manières possibles et sans pitié.
À Gaza, l’humanitarisme a été
détourné par des croisés armés de fusils, d’exorcismes et d’une mission divine
visant à refaire le champ de bataille à l’image de Dieu.