par Luk Vervaet 4 février 2018
Nizar Trabelsi lorsqu'il était encore en prison en Belgique |
En janvier 2017, le président américain Donald Trump
déclarait à la chaine de télévision ABC: « Est-ce
que la torture marche ? Donne-t-elle des résultats ? J’ai posé la question
à des personnes au plus haut niveau des services de renseignement et la réponse
est « oui, absolument ». »
Le mardi 30 janvier 2018, seize ans après l’ouverture du
camp de Guantanamo, Trump annonçait dans son premier discours sur l’État de
l’Union qu’il maintiendrait ouvertes les installations carcérales à
Guantanamo : « Pour y enfermer
les terroristes où que nous les chassions, où que nous les trouvions ».
Ainsi la boucle est fermée. Banni en 2009, le waterboarding et d’autres formes de
torture pourront être réintroduits comme techniques d’interrogation. Le camp de
Guantanamo et d’autres sites secrets de la CIA où ils ont été pratiqués,
resteront ouverts. Nous voilà de retour dans les années Bush, parmi les plus
sombres de l’histoire moderne.
Nizar
Trabelsi et Guantanamo
Mais quel est le lien entre l’affaire de Nizar Trabelsi,
extradé par la Belgique le 3 octobre 2013 à la demande des Etats-Unis, et
Guantanamo ?[1]
C’était début 2009. Devant la chambre de mises en accusation
de la Cour d’appel de Bruxelles, se débattait la demande d’extradition de Nizar
Trabelsi introduite par les autorités américaines en 2008. La défense de Trabelsi,
sous la direction de maître Marc Nève, plaidait que la demande américaine ne
pouvait pas être acceptée. Qu’il fallait la rejeter à tout prix. À cause des
conditions inhumaines de détention aux États-Unis. À cause des méthodes d’interrogatoire
qui y ont cours. À cause des méthodes de recherche utilisées dans ce type de
dossiers.
Nizar Trabelsi dans l'avion de la CIA le 3 octobre 2013 |
Or, pour contrer les arguments de la défense, l’argumentation
centrale du Procureur fédéral disait qu’il n’y avait aucune raison de
s’inquiéter sur le respect des droits des détenus aux États-Unis. Pour le
démontrer, le Procureur fédéral avait repris, dans son réquisitoire écrit, de
larges extraits des promesses électorales d’Obama, élu début novembre 2008. Ces
extraits, reproduits tels quels, provenaient, références à l’appui, du site
internet de RTL. Obama, non seulement y annonçait la fermeture de Guantanamo
mais y faisait aussi valoir que s’annonçait, après tant de dérives, une ère
nouvelle, respectueuse des droits fondamentaux.
Sur ces audiences Marc Nève déclarait : « Sans hésiter, pour rejeter l’ensemble des moyens invoqués par la défense de Nizar Trabelsi, les juges de la Cour d’appel adoptèrent l’exposé présenté par le Procureur fédéral. Ce faisant, la Cour s’est en quelque sorte appropriée ce catalogue de promesses dont, tant d’années plus tard, nous savons à quel point il était trompeur. »[2]
Nizar Trabelsi à son arrivée dans une prison aux Etats-Unis |
Les promesses de la fermeture de Guantanamo et du
bannissement des techniques d’interrogation de torture n’ayant pas été tenues,
le Procureur général et les juges de la Cour d’appel vont-ils révoquer leur
décision ?
Et, au moment où quasi tout le monde pointe la NVA comme
responsable des extraditions illégales par notre pays, le personnel politique
du gouvernement Di Rupo (sans-NVA, composé
des SP.a/PS, CD&V/cdH et Open Vld/MR), qui a donné unanimement le
feu vert à cette extradition, va-t-il se distancier publiquement de cette
décision ?
Ni chez les humains,
ni chez les morts.
Et qu’en est-il de la promesse de détention de Nizar
Trabelsi qui allait être « conforme
aux normes de la Déclaration européenne des droits de l’homme » ?
Nizar Trabelsi aura 48 ans cette année. Pour un plan
d’attentat contre une base militaire américaine, attentat qui n’a jamais eu
lieu, Trabelsi a été condamné à dix ans de prison.
Or aujourd’hui, il se trouve
depuis dix-sept ans en prison, dont treize ans en Belgique et quatre aux États-Unis.
En octobre de l’année passée, à l’occasion du troisième anniversaire de son
extradition, j’ai décrit ses conditions de détention inhumaines dans la prison
américaine[3].
Depuis, rien n’a changé. Pas de nouveau procès à l’horizon,
et des conditions de détention inhumaines.
Selon l’épouse de Trabelsi, Oum
Maryam : « Nizar est détenu
dans un cachot. Il n’y a pas de fenêtre, pas de télévision ni de matelas. Il
dort sur du béton. Trois spots restent allumés 24/24h. Pas de sorties, pas de sport.
Pas de visiteurs. Le dernier repas chaud qu'il a mangé date d’il y a plus de 3
ans à la prison de Bruges. Rajoutons les intimidations des gardiens. C’est un
petit résumé d’un traitement inhumain. Il est enterré vivant. »
Avec une amie, j’ai été voir la pièce « La comptabilité du caméléon » au Théâtre de la Vie à Saint-Josse.
Elle met en scène l’histoire de quatre détenus en fin de peine, choisis pour
une expérience pénitentiaire d’une durée d’un an, dans un chalet sur une île
déserte. Dans un atelier-théâtre, les quatre détenus sont confrontés à
Antigone, la tragédie grecque de Sophocle. Où Antigone prononce cette phrase
terrible : « Ni chez les humains ni chez
les morts », quand elle est condamnée par Créon, et enfermée vivante dans
un tombeau.
« Ni chez les
humains, ni chez les morts » : c’est bien le résumé de l’incarcération
de Nizar Trabelsi.
La justice belge et le ministre Geens ont-ils contrôlé le respect des garanties américaines sur les conditions de détention de la personne que la Belgique a extradée et leur a confiée ?
La justice belge et le ministre Geens ont-ils contrôlé le respect des garanties américaines sur les conditions de détention de la personne que la Belgique a extradée et leur a confiée ?
Si les élections servent à quelque chose, c’est bien d’être le
moment où il est possible d’interpeller les candidats des différents partis.
Faisons-le.
[1] Extradition
pour laquelle la Belgique sera condamnée par la Cour européenne des Droits de
l’Homme le 4 septembre 2014, http://supermax.be/nizar-trabelsi-belgium-condemned-over-unlawful-extradition-of-terrorist-to-the-us-by-melodie-bouchaud/
[2]
Guantanamo chez nous ? Luk Vervaet, Editions Antidote. Préface de Marc
Nève pg 7
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