La friche du Keelbeek est (ou était) – il faut peut-être déjà en parler au passé – un des derniers grands espaces verts du nord de Bruxelles (18 hectares de nature). A partir de 2014, des centaines de Bruxellois – riverains et d’activistes – s’y sont réunis pour en faire la première ZAD de Belgique (« zone à défendre »).
Le combat des zadistes du Keelbeek c’est la rencontre de deux mondes
qui n’avaient pas forcément l’habitude de se côtoyer : d’une part des
gens comme Luk Vervaet qui – depuis plus de 15 ans – voient la Belgique
s’enfoncer dans une spirale sécuritaire et qui militent pour le défense
des droits des détenus. Et d’autre part des militants écologistes qui
voient leur ville se minéraliser, année après année, et demandent un
moratoire sur la démolition des espaces de nature.
Les premiers soulignent l’inefficacité et le caractère profondément
dégradant de la politique carcérale : pour remédier aux maux qu’il
engendre, le système carcéral belge n’a pas trouvé de meilleure solution
que de les placer loin des regards : parquer les détenus en marge de la
ville, loin des lieux de vie de leurs famille et de leurs amis, loin du
palais de justice aussi, loin des cabinets d’avocats chargés de les
défendre …
Les seconds demandent – comme dans la lettre ouverte de Tom
Grimonprez, le 24 novembre 2014 – une meilleure protection du patrimoine
naturel bruxellois. Ceux-ci estiment qu’avant de permettre la
démolition d’un espace de nature, les pouvoirs publics devraient évaluer
le potentiel de certains espaces déjà bâtis, mais inutilisés. Des
milliers de logements restent vides. Plus d’un million de m2 de bureaux
restent totalement inoccupés. Alors pourquoi s’acharner à
imperméabiliser ce qui reste de nature ?
La prison de Haren : ou comment sacrifier un espace naturel à
l’appétit des spéculateurs (en prétendant servir le « bien commun »)
Face à ces critiques, les promoteurs du projet de la méga-prison
utilisent le prétexte de la surpopulation carcérale et du respect de la
dignité des détenus (voir Masterplan Prisons & Internement).
Pour Luk Vervaet – qui travaille en prison depuis les années 1990 –
c’est clairement un faux prétexte … et, il suffit de s’intéresser à la
logique des promoteurs du projet (Macquarie, Denijs …) pour se
convaincre de son caractère foncièrement inutile, et étranger au « bien
commun ».
Macquarie est un groupe financier australien passé maître dans l’art
de transformer les biens publics en « produits financiers », avec le
complicité des États. Depuis quelques années, elle jette son dévolu sont
les réseaux autoroutiers (en France), les aéroports (Aberdeen, Glasgow,
Southampton),les réseaux de chemins de fer, les réseaux hydrologiques,
les réseaux gaziers (en Irlande), les centrales thermiques au gaz (au
Royaume-Uni), les réseaux électriques (en Chine et au Royaume-Uni), mais
aussi … les prisons (Gafton en Australie, Auckland et Wiri en
Nouvelle-Zélande, Haren en Belgique).
Le modus operandi du groupe Macquarie est le suivant : premièrement,
nouer (avec des gestionnaires de services publics) des partenariats
avantageux et peu risqués, deuxièmement en tirer tous ce qu’on peut en
tirer et troisièmement s’en défaire avant de risquer d’en payer les
conséquences. C’est-à-dire que (quand le bien semi-public et n’offre
plus les ‘retours’ attendus) on le jette, et on passe à autre chose.
Bref, si Macquire place ses billes dans les infrastructures publiques,
c’est moins pour répondre à des besoins de société que pour proposer des
« produits spéculatifs » sûrs (avec la promesse de gros dividendes pour
les actionnaires du groupe).
Les effets collatéraux c’est abandon des travaux d’infrastructure, la
dégradation des biens publics, la détérioration des conditions de
travail … Les employés de l’aéroport de Bruxelles en savent quelque
chose : après neuf ans de gestion calamiteuse, Macquarie (propriétaire à
70%) commence à se désintéresser de l’aéroport pour investir … dans le
secteur carcéral belge. Oui, car, (pour les apprentis sorciers du
« financial ingeneering ») il n’y a pas de pari plus sûr que de miser
sur la capacité à enfermer.
L’État fédéral examine la demande – en 2013 – et accepte confier à
Macquarie (via le consortium Cafasso) le projet du futur « village
pénitentiaire » de Haren, sur le site naturel du Keelbeek. Opacité
complète sur les termes de ce contrat. A Bruxelles, le projet a été
confronté à une forte résistance locale – occupations, manifestations et
multiples recours au conseil d’État – qui n’aura hélas pas suffit à
faire échouer le projet. Les travaux de « déblaiement » ont débuté fin
février : aujourd’hui, près de 300 arbres ont déjà abattus …
La lutte du Keelbeek continue, à Haren (où des associations telles que « Haren Observatory »
mettent le doigt sur l’illégalité de la procédure suivie par Cafasso,
le SPF Justice et la Régie des Bâtiments). Elle continue également dans
une foule d’autres coins menacés par la spéculation immobilière : la
plateau Avijl (à Uccle), les jardins Ernotte (à Ixelles), le plateau du
Heysel (à Laeken), ou encore le parc Tenreuken à Boitsfort où la commune
a remporté son recours (début 2018) contre le projet immobilier de la
société Cofinimmo, en lisière de la forêt de Soignes.
A vos agendas …
Ce samedi 14 avril à partir de 11h, le « Tuiniersforum des
jardiniers » organise une journée de mobilisation de 11h à 22h au n°11
de la rue Kortenbach à Haren.
« Des Bruxellois-e-s de tous âges et horizons ont créé le Tuiniersforum des jardiniers pour défendre les jardins auxquels ils sont attachés le 17 avril 2016, à Haren. Deux ans plus tard, des dizaines d’hectares de terres fertiles sont toujours plus menacées et nous y retournons ! Malgré la mobilisation citoyenne constante depuis 10 ans, les gouvernements fédéral et régional veulent imposer leur projet de mégaprison passéiste, ruineux et destructeur. Après avoir clôturé les 20 hectares du terrain, ils ont coupé tous les arbres (des milliers) en ce début d’année, alors que 4 recours sont encore pendants. L’obstination insensée des politiciens à détruire la Terre qui nous fait vivre en piétinant la démocratie doit être combattue fermement. Organisons-nous pour sortir de l’ornière et créer d’autres manières de vivre AVEC la nature et pas contre elle. Tous à Haren le 14/04 ! En partenariat avec le Réseau de soutien à l’agriculture paysanne (programme sur www.luttespaysannes.be) et en solidarité avec les paysans qui nous nourrissent. ».