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dimanche 12 janvier 2020

Maroc : C'est quoi le Makhzen ?

Ce concept qui dérive du verbe khazana, signifiant cacher, préserver , renvoie à une réalité politique traditionnelle où le sultan gardait des ressources matérielles et sociales dont il maîtrisait l’allocation.
Cette centralité politique fonctionnait à travers des relais, des chefs de tribus et des chefs de confréries.
Les informations et les impôts étaient collectés en ayant parfois recours à certaines tribus qui se voyaient allouer en échange des gratifications.
Pour imposer à des communautés territoriales « autonomes » des relations d’allégeance, le Makhzen invoquait la raison divine.Utilisant son armée et sa bureaucratie, le Makhzen, parvint, tout au long de l’histoire, à transformer l’allégeance en obéissance.
Les agents du Makhzen étaient recrutés principalement parmi les familles de Chorfas, les familles de lettrés et les guerriers qui s’étaient particulièrement illustrés dans les luttes contre les tribus. Au XIXe siècle, le makhzen y inclut les riches familles marchandes commerçant avec l’Europe.
Prenant en compte la réalité culturelle du pays et l’existence de structures étatiques, le Protectorat consolida le makhzen mais en le contrôlant par l’administration et l’armée française permettant ainsi, d’étendre sur l’ensemble du territoire, l’autorité administrative et sécuritaire sultanale, régulièrement bafouée et remise en question par les tribus, sur l’ensemble du territoire. (La Siba)
Malgré d’indéniables mutations et modernisations de l’Etat marocain, la makhzénisation ou plutôt des travers propres à l’ancien Makhzen continuent à investir des pans des champs politiques et surtout administratifs du Maroc post colonial.
L’utilisation de ce terme par les journalistes, les chercheurs et les politiciens de gauche, vise surtout, selon Rahma Bourquia, « à critiquer le cercle du pouvoir et ses acteurs, ainsi qu’une forme de personnalisation, à la traditionnelle, de ce pouvoir et de ces modes de fonctionnement » (Culture politique au Maroc, p.42)
« L’administration était et demeure un moyen de mobiliser différentes ressources de légitimation et de soutien social au régime monarchique. A travers le pays une organisation centralisée, principalement contrôlée par le ministère de l’intérieur apparaît dès lors comme l’instrument séculier du pouvoir suprême. » (Claise Alain, .)
N’étant ni le Chérifisme, ni la monarchie, ni l’Etat, ni l’administration, ni la classe dirigeante mais un peu de tout cela, selon une logique historique spécifique, le makhzen est insaisissable à travers les concepts courants du droit constitutionnel et de la science politique.
Comme institution politique et expression symbolique, elle constitue une véritable force dans l’inconscient collectif marocain et un État parallèle, imbriqué dans l’État officiel et hors de lui.
Son aptitude à être à la fois et au-dedans et au-dessus, lui donne une capacité toute particulière d’organisation politique et sociale.
Le Makhzen, soutenu par des groupes et des individus qu’il contrôle et manipule, demeure, par des jeux d’alliance négociées ou imposées, un pourvoyeur de biens matériels et de bienfaits comme l’obtention des autorisations pour des activités économiques (agréments notamment), la nomination à des postes et des fonctions prestigieux ou rémunérateurs, soutiens à travers des organisations partisanes et socio-culturelles.
Les symboles de l’autorité sont, même aux niveaux les plus modestes, constamment réaffirmés, les soutiens clientélistes soigneusement pesés.
Le makhzen, maître de la mobilité sociale, garant de toutes les légitimités, veille aux équilibres fonctionnels.
Il arbitre le jeu des rivalités d’intérêts, de statuts, de fonctions, de carrières. Il pratique la diplomatie avec les uns et exerce l’autorité avec les autres pour que nul ne puisse s’arroger un quelconque monopole.
Le makhzen a pris la forme moderne d’un pouvoir « institutionnel » qui arbitre, légifère et taxe, mais telle une loge maçonnique, à existence occulte mais au pouvoir réel et illimitée, le Makhzen constitue le refuge de toutes les potentialités, agissant dans l’ombre, pour influer de manière déterminante et efficace sur le cours des choses.
Cette omniprésence invisible qui lie et délie, gratifie et reprend induit des comportements soumis, obséquieux dont l’enrichissement d’eux-mêmes et des leurs devient avant une possible déchéance rarement annoncée, le moteur premier de tout investissement.
Les gouverneurs à la tête de chacune des provinces et préfectures, les pachas et les khalifas dans les villes, les caïds à l‘échelon du cercle dans les campagnes, sont autant de relais du circuit d’autorité qui relie le centre du système politico-administratif marocain à sa périphérie.
Leur pouvoir est considérable.
Toute autorisation administrative de quelque importance (passeports, permis de construire, prêt de crédit agricole) est placé sous leur contrôle.
Leur rôle en matière de maintien de l’ordre, de surveillance des populations est essentiel.
La fonction issue de la tradition à savoir la conciliation des litiges continue à leur être dévolue.
Le niveau le plus bas de commandement est aussi le plus imbriqué dans les populations.
Les chioukhs aidés chacun de deux à plusieurs moqqadems contrôlent plusieurs douars dans les campagnes et en général plusieurs quartiers dans les villes.
Sans attribution définie, ils sont les auxiliaires de l’autorité ; ils n’ont pas la qualité de fonctionnaires mais perçoivent une indemnité de fonction.
A la campagne la plupart sont agriculteurs et en ville ils sont employés, commerçants, ouvriers.
Ils sont généralement choisis par le caïd en raison de leur position dans le quartier ou le douar.
Le paiement d’une discrète « sukhra » à l’autorité peut permettre parfois l’obtenir la fonction de cheikh.
Une fois nommé, l’agent se remboursera, sous formes de prébendes ou de rémunérations pour services perçus directement auprès des populations.
La délivrance de tout certificat ou autorisation s’opère sur attestation de l’auxiliaire de l’autorité locale. Dans certains cas elle sera octroyée ou facilitée contre payement d’un bakchich (Claisse p. 295).
Cependant faut-il s’empêcher en parlant de ce pouvoir occulte et tentaculaire dont les prolongements s’étendent au-delà du Maroc, d’indiquer du doigt la puissance maîtresse de cet ingénieux dispositif ?
Le centre nerveux à qui incombe la complexe coordination entre ces différents rouages du Makhzen ?
La réponse à ces questions et à d’autres de la même teneur, se situe sans conteste, dans l’ingéniosité de la monarchie marocaine contemporaine d’avoir adapté au goût du jour la tendance visant à rejeter, par le peuple, la responsabilité des actes posés par les sultans et les rois sur le Makhzen, institution occulte, insaisissable et difficilement identifiable, dédouanant ainsi le roi et son entourage immédiat.
N’entend-t-on pas de manière systématique toutes les couches de la population marocaine attribuer tous les dysfonctionnements du système politique marocain à ceux et celles qui entourent le roi
En conséquence le Makhzen ne sert pas uniquement à concentrer le pouvoir entre les mains d’une classe invisible mais sert également à couvrir les actes de la monarchie prenant de bonne grâce sur lui toute les récriminations.
La définition attribuée aux auxiliaires du Makhzen dans les douars, les villages et même dans les quartiers urbains renvoient pour ce qui concerne l’immigration marocaine en Europe à la fonction et au statut attribués par le Makhzen en 1975 aux Amicales marocaines constituées généralement de personnes largement incultes mais o combien obséquieusement soumises à l’autorité de l’Intérieur .
Leur pratiques au sein de la communauté marocaine consistant à intimider , rapporter et à promouvoir la corruption et le clientélisme n’était pas sans rappeler le rôle des chioukhs et moqaddems notamment durant les années dites de plomb.
Aujourd’hui, et avec la disparition de ces Amicales, le Makhzen a lancé auprès des Marocains résidant à l’étranger, des éléments attachés aux services sécuritaires dont l’objectif et le travail consistent à infiltrer les lieux de culte, les associations et tous les lieux de rassemblement des Marocains du monde.
Ces éléments sont généralement rémunérés par des fonds occultes émanant du ministère du culte, de la DGED ou d’autres antennes liées peu ou prou aux services sécuritaires
Leur rôle est de tenter de déstabiliser et de faire échouer toute action à caractère démocratique ou revendicative émanant des rangs des élites marocaines résidant à l’étranger.
Source : Bruxellois, sûrement!, 27 nov 2016

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