Ce concept qui dérive du verbe khazana,
signifiant cacher, préserver , renvoie à une réalité politique
traditionnelle où le sultan gardait des ressources matérielles et
sociales dont il maîtrisait l’allocation.
Cette centralité politique fonctionnait à travers des relais, des chefs de tribus et des chefs de confréries.
Les informations et les impôts étaient
collectés en ayant parfois recours à certaines tribus qui se voyaient
allouer en échange des gratifications.
Pour imposer à des communautés territoriales « autonomes » des relations d’allégeance, le Makhzen invoquait la raison divine.Utilisant son armée et sa bureaucratie,
le Makhzen, parvint, tout au long de l’histoire, à transformer
l’allégeance en obéissance.
Les agents du Makhzen étaient recrutés
principalement parmi les familles de Chorfas, les familles de lettrés et
les guerriers qui s’étaient particulièrement illustrés dans les luttes
contre les tribus. Au XIXe siècle, le makhzen y inclut les riches familles marchandes commerçant avec l’Europe.
Prenant en compte la réalité culturelle
du pays et l’existence de structures étatiques, le Protectorat consolida
le makhzen mais en le contrôlant par l’administration et l’armée
française permettant ainsi, d’étendre sur l’ensemble du territoire,
l’autorité administrative et sécuritaire sultanale, régulièrement
bafouée et remise en question par les tribus, sur l’ensemble du
territoire. (La Siba)
Malgré d’indéniables mutations et
modernisations de l’Etat marocain, la makhzénisation ou plutôt des
travers propres à l’ancien Makhzen continuent à investir des pans des
champs politiques et surtout administratifs du Maroc post colonial.
L’utilisation de ce terme par les
journalistes, les chercheurs et les politiciens de gauche, vise surtout,
selon Rahma Bourquia, « à critiquer le cercle du pouvoir et ses
acteurs, ainsi qu’une forme de personnalisation, à la traditionnelle, de
ce pouvoir et de ces modes de fonctionnement » (Culture politique au
Maroc, p.42)
« L’administration était et demeure un
moyen de mobiliser différentes ressources de légitimation et de soutien
social au régime monarchique. A travers le pays une organisation
centralisée, principalement contrôlée par le ministère de l’intérieur
apparaît dès lors comme l’instrument séculier du pouvoir suprême. »
(Claise Alain, .)
N’étant ni le Chérifisme, ni la
monarchie, ni l’Etat, ni l’administration, ni la classe dirigeante mais
un peu de tout cela, selon une logique historique spécifique, le makhzen
est insaisissable à travers les concepts courants du droit
constitutionnel et de la science politique.
Comme institution politique et
expression symbolique, elle constitue une véritable force dans
l’inconscient collectif marocain et un État parallèle, imbriqué dans l’État officiel et hors de lui.
Son aptitude à être à la fois et
au-dedans et au-dessus, lui donne une capacité toute particulière
d’organisation politique et sociale.
Le Makhzen, soutenu par des groupes et
des individus qu’il contrôle et manipule, demeure, par des jeux
d’alliance négociées ou imposées, un pourvoyeur de biens matériels et de
bienfaits comme l’obtention des autorisations pour des activités
économiques (agréments notamment), la nomination à des postes et des
fonctions prestigieux ou rémunérateurs, soutiens à travers des
organisations partisanes et socio-culturelles.
Les symboles de l’autorité sont, même
aux niveaux les plus modestes, constamment réaffirmés, les soutiens
clientélistes soigneusement pesés.
Le makhzen, maître de la mobilité sociale, garant de toutes les légitimités, veille aux équilibres fonctionnels.
Il arbitre le jeu des rivalités
d’intérêts, de statuts, de fonctions, de carrières. Il pratique la
diplomatie avec les uns et exerce l’autorité avec les autres pour que
nul ne puisse s’arroger un quelconque monopole.
Le makhzen a pris la forme moderne d’un
pouvoir « institutionnel » qui arbitre, légifère et taxe, mais telle une
loge maçonnique, à existence occulte mais au pouvoir réel et illimitée,
le Makhzen constitue le refuge de toutes les potentialités, agissant
dans l’ombre, pour influer de manière déterminante et efficace sur le
cours des choses.
Cette omniprésence invisible qui lie et
délie, gratifie et reprend induit des comportements soumis, obséquieux
dont l’enrichissement d’eux-mêmes et des leurs devient avant une
possible déchéance rarement annoncée, le moteur premier de tout
investissement.
Les gouverneurs à la tête de chacune des
provinces et préfectures, les pachas et les khalifas dans les villes,
les caïds à l‘échelon du cercle dans les campagnes, sont autant de
relais du circuit d’autorité qui relie le centre du système
politico-administratif marocain à sa périphérie.
Leur pouvoir est considérable.
Toute autorisation administrative de
quelque importance (passeports, permis de construire, prêt de crédit
agricole) est placé sous leur contrôle.
Leur rôle en matière de maintien de l’ordre, de surveillance des populations est essentiel.
La fonction issue de la tradition à savoir la conciliation des litiges continue à leur être dévolue.
Le niveau le plus bas de commandement est aussi le plus imbriqué dans les populations.
Les chioukhs aidés chacun de deux à
plusieurs moqqadems contrôlent plusieurs douars dans les campagnes et en
général plusieurs quartiers dans les villes.
Sans attribution définie, ils sont les
auxiliaires de l’autorité ; ils n’ont pas la qualité de fonctionnaires
mais perçoivent une indemnité de fonction.
A la campagne la plupart sont agriculteurs et en ville ils sont employés, commerçants, ouvriers.
Ils sont généralement choisis par le caïd en raison de leur position dans le quartier ou le douar.
Le paiement d’une discrète « sukhra » à l’autorité peut permettre parfois l’obtenir la fonction de cheikh.
Une fois nommé, l’agent se remboursera,
sous formes de prébendes ou de rémunérations pour services perçus
directement auprès des populations.
La délivrance de tout certificat ou
autorisation s’opère sur attestation de l’auxiliaire de l’autorité
locale. Dans certains cas elle sera octroyée ou facilitée contre
payement d’un bakchich (Claisse p. 295).
Cependant faut-il s’empêcher en parlant
de ce pouvoir occulte et tentaculaire dont les prolongements s’étendent
au-delà du Maroc, d’indiquer du doigt la puissance maîtresse de cet
ingénieux dispositif ?
Le centre nerveux à qui incombe la complexe coordination entre ces différents rouages du Makhzen ?
La réponse à ces questions et à d’autres
de la même teneur, se situe sans conteste, dans l’ingéniosité de la
monarchie marocaine contemporaine d’avoir adapté au goût du jour la
tendance visant à rejeter, par le peuple, la responsabilité des actes
posés par les sultans et les rois sur le Makhzen, institution occulte,
insaisissable et difficilement identifiable, dédouanant ainsi le roi et
son entourage immédiat.
N’entend-t-on pas de manière
systématique toutes les couches de la population marocaine attribuer
tous les dysfonctionnements du système politique marocain à ceux et
celles qui entourent le roi
En conséquence le Makhzen ne sert pas
uniquement à concentrer le pouvoir entre les mains d’une classe
invisible mais sert également à couvrir les actes de la monarchie
prenant de bonne grâce sur lui toute les récriminations.
La définition attribuée aux auxiliaires
du Makhzen dans les douars, les villages et même dans les quartiers
urbains renvoient pour ce qui concerne l’immigration marocaine en Europe
à la fonction et au statut attribués par le Makhzen en 1975 aux
Amicales marocaines constituées généralement de personnes largement
incultes mais o combien obséquieusement soumises à l’autorité de
l’Intérieur .
Leur pratiques au sein de la communauté
marocaine consistant à intimider , rapporter et à promouvoir la
corruption et le clientélisme n’était pas sans rappeler le rôle des
chioukhs et moqaddems notamment durant les années dites de plomb.
Aujourd’hui, et avec la disparition de
ces Amicales, le Makhzen a lancé auprès des Marocains résidant à
l’étranger, des éléments attachés aux services sécuritaires dont
l’objectif et le travail consistent à infiltrer les lieux de culte, les
associations et tous les lieux de rassemblement des Marocains du monde.
Ces éléments sont généralement rémunérés
par des fonds occultes émanant du ministère du culte, de la DGED ou
d’autres antennes liées peu ou prou aux services sécuritaires
Leur rôle est de tenter de déstabiliser
et de faire échouer toute action à caractère démocratique ou
revendicative émanant des rangs des élites marocaines résidant à
l’étranger.
Source : Bruxellois, sûrement!, 27 nov 2016
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